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iii. Le problème fondamental

Quand nous pensons à l’homme, deux tendances apparemment contradictoires apparaissent. d’une part il est poussé par un besoin de liberté, une aspiration à l’autonomie qui est le signe le plus sûr de sa transcendance par rapport au reste de la création. Et il se fait qu’il est capable de s’autodéterminer, de choisir entre différents biens et de poursuivre celui qu’il a élu. Mais d’autre part, il a besoin des autres non seulement parce qu’il est incapable de pourvoir seul à tous ses besoins mais aussi parce que les autres lui permettent de grandir. Le petit enfant ne peut développer ses potentialités humaines sans l’assistance de l’autre. Sans l’autre humain, il ne peut acquérir le langage ni développer sa pensée. Quel que soit le patrimoine génétique, quels que soient les dons, ses capacités latentes ne peuvent se réaliser facilement sans un environnement favorable⁠[1]. Il en va de même pour les groupes humains. Une famille peut-elle subvenir seule à tous les besoins de ses membres ? A-t-elle toutes les compétences ? A un niveau très élémentaire, un petit groupe d’individus peut survivre un certain temps en autarcie. Mais, la croissance intellectuelle et, à long terme, la survie ne peuvent être assurées. Un groupe restreint et isolé résistera-t-il longtemps aux maladies, aux catastrophes naturelles, à la consanguinité ? Pourra-t-il progresser dans les différents aspects de la créativité humaine ? Plus l’homme croît ou veut croître, plus il a besoin d’associations et institutions diverses « en vue d’atteindre des objectifs qui excèdent les capacités individuelles »[2].

Le développement de l’homme et des groupes exige donc un certain nombre de conditions très larges si l’on veut donner à chacun le maximum de possibilités pour grandir. Cet « ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection, d’une façon plus totale et plus aisée »[3] constitue le bien commun⁠[4].


1. Cf. GRASSE P.-P. : « L’intelligence même très vive, exige que des circonstances lui donnent l’occasion de se manifester. Le milieu social ne crée pas l’intelligence mais conditionne son développement et son expression. avec un instrument de grande qualité, il fera surgir un chef-d’œuvre, ce qui est tout à fait impossible avec un instrument de qualité médiocre. Qualités intellectuelles innées et milieu interviennent dans la formation de la personnalité et dans la valeur de ses productions. Le milieu social modèle l’Homme mais son action se surajoute aux propriétés structurales du cerveau » ( L’homme en accusation, Albin-Michel, 1980, p. 243). d’autres auteurs accentuent davantage le rôle de la société, comme SKRZYPCZAK J.-Fr., L’inné et l’acquis, Chronique sociale, 1981. Le phénomène des enfants sauvages montre clairement quels dégâts irrémédiables entraîne l’absence d’un milieu humain (cf. MALSON Lucien, Les enfants sauvages, Mythe et réalité, Union générale d’éditions, 1964 (Il est dommage que l’auteur en profite pour nier l’existence d’une nature humaine, comme si celle-ci agissait comme un instinct)..
2. CEC 1882.
3. GS 26, 1.
4. Cette notion est très ancienne. Ainsi, dans l’épître de Barnabé, lit-on : « Ne vivez point isolés, retirés en vous-mêmes, comme si vous étiez déjà justifiés, mais rassemblez-vous pour rechercher ensemble ce qui est de l’intérêt commun » (4, 10). L’enseignement chrétien a privilégié l’expression « bien commun » alors que les politiques modernes invoquent volontiers l’« intérêt général ». La notion de « bien » est considérée comme une notion objective alors que le mot « intérêt » renvoie plutôt à un besoin subjectif et particulier. Comme l’écrit le CEC, « il revient à l’autorité d’arbitrer, au nom du bien commun, entre les divers intérêts particuliers » (n°1908). On peut lire sur cette question : DELSOL Chantal, L’État subsidiaire, P.U.F., 1992, chap. X. Dans le même esprit, CLEMENT M. précise que « l’intérêt est une notion relative », instrumentale, alors que le bien est « une notion qui implique le terme ultime d’un agir. (…) Le bien a raison de fin, de cause finale. » Fin de la vie en société, ce bien n’est pas la simple addition des biens de chacun mais bien du tout plutôt que de tous, comme l’avait déjà compris Aristote (Politique, I, 1-1252a) : « Tout État est une société. Le principe de toute société est l’espoir d’un bien puisque toutes les actions des hommes ont en vue quelque bien. Si donc toutes les sociétés visent à un bien déterminé, celle qui est souveraine entre toutes, renfermant en elle toutes les autres, vise aussi le bien qui est le plus haut de tous. Cette société, l’État, est la société politique » ( in Du bien commun, L’Escalade, 1998, pp. 13-15).