Parler de la doctrine sociale de l’Église, n’est-ce pas parler d’une
morale ? Voilà un mot qui résonne désagréablement à nos oreilles
aujourd’hui ! Ne vaudrait-iol pas mieux parler d’une éthique ? Éthique
est un mot très en vogue, qui ne rebute pas nos contemporains.
Toute communauté, vit suivant des règles, depuis la famille jusqu’à la
communauté européenne, voire la communauté des nations unies en passant
par l’école, la commune, l’association sportive, le syndicat, la région
et tous les autres rassemblements humains petits ou grands.
Ces règles sont le plus souvent écrites mais elles peuvent ne pas
l’être. Il est rare que dans une famille, par exemple, on affiche un
règlement de conduite. Si on le fait parfois, c’est, par exemple, pour
une répartition équitable entre les enfants de certaines tâches bien
particulières comme mettre la table, faire la vaisselle, etc. Dans une
famille, ce sont plutôt des habitudes, des coutumes qui, par la
proximité des membres, les ajustent plus ou moins bien les uns aux
autres.
Donc, toute société, petite ou grande, et surtout si les personnes
viennent d’horizons culturels très divers, a besoin pour se constituer
et perdurer d’établir un code, de définir des recommandations, des
préceptes, des statuts, des lois. Cet ensemble de règles ne constitue
pas encore ce qu’on appelle une éthique mais son substrat
Éthique est un mot d’origine grecque formé sur ethos (ήθος) qui
désigne le séjour habituel, la demeure, le caractère habituel, la
coutume, l’usage, la manière d’être, le caractère, les mœurs. À
l’origine, chez Aristote, ethicon n’est autre que la morale,
c’est-à-dire, expliquent les dictionnaires, cette partie de la
philosophie qui rassemble les principes qui sont à la base de la
conduite de quelqu’un (Larousse), les valeurs qui orientent et motivent
nos actions. Plus savamment, l’éthique est « la science ayant pour objet
le jugement d’appréciation en tant qu’il s’applique à la distinction du
bien et du mal ».
Simplement, on peut dire, dans un premier temps, qu’éthique et morale
désignent la même réalité. Éthique étant d’origine grecque et morale
d’origine latine (mores : les mœurs).
Au fil du temps, les choses se sont compliquées. Beaucoup d’auteurs
donnant des sens différents à ces mots. Ce n’est pas le lieu ici
d’évoquer toutes les définitions diverses qui ont été données. Chaque
auteur ayant sa conception. Certains disent que la morale donne les
fondements tandis que l’éthique applique la morale à des domaines
particuliers ; dans ce sens, l’éthique économique ou l’éthique politique
se réfèrent aux mêmes principes fondamentaux. D’autres disent que la
morale est la norme qui impose un devoir, ce que je dois faire ou ne pas
faire tandis que l’éthique est un appel à l’action, donne une
orientation. D’autres encore diront que l’éthique est la science de la
morale. Bref, nous sommes devant un foisonnement de sens.
Ce qui est sûr et clair c’est qu’aujourd’hui, l’évocation de la morale
renvoie à une époque lointaine, à une attitude obsolète et intolérable,
celle de vouloir faire la morale aux uns ou aux autres.
Pour bien comprendre cette attitude largement répandue, il faut se
rendre compte que durant la seconde moitié du XXe siècle s’est
produite en Europe occidentale une véritable révolution culturelle. Une
révolution culturelle qui n’a pas connu, comme en Chine, des exécutions
sommaires et des camps de travail mais, malgré sa douceur, cette
révolution fut très profonde. Pour l’identifier, voyons comment elle
s’est passée dans l’école.
L’enfant qui entre à l’école primaire au lendemain de la seconde guerre
mondiale se trouve d’emblée confronté à des exigences d’ordre moral qui
s’expriment, par exemple, dans les « bulletins » qui vont sanctionner son
parcours et qui sont conçus conformément à la loi.
On y lit, en introduction : « Ce « Livret de notes » a été médité
spécialement à votre intention. Les conseils et les pensées qu’il
contient vous apprendront comment vous devez faire pour vous
perfectionner chaque jour, comment vous devez remplir vos devoirs envers
vos parents, vos professeurs et vos condisciples.
Si vous les comprenez bien et si vous les mettez en pratique dans votre
vie journalière, incontestablement vous grandirez en sagesse et en
force.
Continuez vos efforts pour faire le bien et avoir le mal en horreur.
Vous répondrez ainsi à ce que désirent vos parents, à ce que souhaitent
vos professeurs.
Mais ne l’oubliez pas, tout dépend de vous. »
Cet avertissement insiste donc sur les devoirs de l’élève et considère
que le bien à faire et le mal à éviter sont connus. Suit un Extrait
de la législation scolaire qui insiste sur la propreté, la bonne tenue,
l’obéissance, le respect. Chaque page réservée aux cotes du mois est
précédée d’une injonction appelant l’élève à aimer l’école, son maître,
ses camarades, stimulant l’assiduité, l’attention, l’étude, le soin des
cahiers et des livres, la lecture de bons livres. À la fin, une série
d’Aphorismes recommandent le calme, la politesse, la décence, la
tempérance, l’épargne, la sobriété, l’hygiène et invitent à bannir le
vol, le mensonge, à fuir les mauvaises fréquentations. Bref, tout le
travail scolaire est ainsi encadré par des considérations morales qui,
notons-le, ne sont pas justifiées, semblent aller de soi, partagées par
les parents et les enseignants.
Une fois le cursus primaire terminé, l’élève va retrouver le même esprit
à l’école secondaire. En témoigne, par exemple, la devise de l’Athénée
de Namur : Fais ce que dois, advienne que pourra. Et le chant de
l’école souligne : « Fidèles au devoir, forgeons notre savoir ! ». Plus
tard, à l’université, le jeune qui se destine à l’enseignement apprend
que « tout professeur est d’abord un professeur de
morale… ».
De la maison à l’université donc, l’étudiant est, à cette époque,
confronté à la même morale bien établie, une morale du devoir, mais une
morale qui semble aller de soi, rarement justifiée. Il y a un bien et un
mal qui s’imposent. Cette expérience n’a rien d’exceptionnel, on peut,
loin de chez nous, mais à la même époque, en trouver une confirmation.
Albert Camus (1913-1960), dans son dernier roman
autobiographique
inachevé, témoigne du même genre d’éducation : « Personne, en vérité,
n’avait jamais appris à l’enfant ce qui était bien ou ce qui était mal.
Certaines choses étaient interdites et les infractions sévèrement
sanctionnées. D’autres pas. Seuls ses instituteurs, lorsque le programme
leur en laissait le temps, leur parlaient parfois de morale, mais là
encore les interdictions étaient plus précises que les explications. »
Toute la culture de cette époque est imprégnée d’une morale, qu’on
appelle hétéronomique, c’est-à-dire où la loi, la règle (nomos) vient
d’un autre (heteros) que moi, des parents, des professeurs, des
patrons, des ministres. Et les principes de cette morale
étaient certainement les mêmes à l’école catholique qui en ajoutait
d’autres bien sûr à caractère religieux.
Cependant, dans les années 90, le ministère diffuse à travers les écoles
de l’État une brochure intitulée Mon école comme je la
veux !
Ce document nous révèle que nous sommes désormais entrés dans une autre
culture où, si l’on parle encore de devoirs, on insiste surtout sur les
droits à exercer pour que l’école soit comme je la veux ! Même si ce
titre paraît quelque peu démagogique, il reflète bien la nouvelle
culture, celle de l’autonomie, de la revendication des droits, celle où
c’est moi finalement qui décide de ce qui bien ou mal. Culture du désir
comme en témoigne cette publicité imaginée par une banque qui énumère
nos désirs d’objets plus ou moins coûteux sous le titre accrocheur « Je
voudrais… ». Désirs qui, ici, peuvent être exaucés par l’argent que
votre banque se fera un plaisir de vous prêter pour que vous puissiez
« vivre pleinement », être heureux d’un bonheur matériel.
On peut parler d’une révolution culturelle. En effet, le contraste est
saisissant si l’on confronte les insistances respectives : au lieu de la
loi extérieure, j’impose mon je ; face aux devoirs se dressent mes
droits ; il ne s’agit plus d’abord de connaître, d’obéir, de recevoir
mais plutôt de vouloir, de réclamer et d’obtenir ; à l’autorité toute
puissante et incontestée, du père, du maître, du professeur, du patron,
s’oppose ma liberté.
Ceux qui ont fait un peu de philosophie constateront que la morale
hétéronomique renvoie clairement à la pensée d’Emmanuel Kant
(1724-1804) pour qui le véritable bien n’est pas d’être heureux mais de
mériter d’être heureux. Autrement dit, le devoir doit primer sur la
recherche du bonheur. Dans cet esprit, une action est morale quand non
seulement elle est conforme au devoir mais encore quand elle est
accomplie par devoir : « Lorsqu’il s’agit de ce qui doit être moralement
bon, ce n’est pas assez qu’il y ait conformité à la loi morale ; il faut
encore que ce soit pour la loi morale que la chose se fasse
[…]. »
La culture de l’autonomie, elle, peut se donner comme représentant
Jean-Paul Sartre (1905-1980) qui conteste radicalement la perspective
de Kant en écrivant : « …il n’est écrit nulle part que le bien existe, qu’il
faut être honnête, qu’il ne faut pas mentir… L’auteur justifie sa
position en expliquant que « tout est permis si Dieu n’existe pas
[…]. Si […] Dieu n’existe pas, nous ne trouvons pas en face de
nous des valeurs ou des ordres qui légitimeront notre conduite. »
Il s’agit certes de positions extrêmes mais elles éclairent et
justifient intellectuellement l’attitude de ceux qui considèrent qu’ils
sont seuls maîtres de leur destinée et seuls référents de leur conduite.
Réellement, dans cette perspective, le sujet fait exactement ce qu’il
veut parce qu’il le veut. Un slogan, en néerlandais dit : « Mijn wil is
wet ».
Avant d’aller plus loin dans notre réflexion, nous pouvons nous demander
quelles sont les causes de cette mutation culturelle bien identifiée. Il
y a plusieurs raisons dont le développement nous entraînerait trop loin
de notre véritable sujet. Disons simplement que l’expérience des régimes
totalitaires qui ont fleuri en Europe notamment dans la première moitié
du XXe siècle ainsi que les mutations sociales qui sont intervenues
après leur chute ont stimulé un appétit de liberté. À cela s’ajoute un
engouement pour la raison scientifique qui a dévalorisé toute autre
raison, philosophique ou religieuse. Ainsi, la morale chrétienne s’est
trouvée mise en question. Enfin, il est sûr que la volonté d’autonomie a
été et est encore une réaction contre le moralisme qu’il soit d’ailleurs
laïc ou chrétien. L’avènement du sujet comme source de valeur fonde
l’individualisme (moi d’abord !) et le relativisme (rien n’est vrai ou
faux, bon ou mauvais en soi !) qui peuvent déboucher sur l’agressivité et
la violence.
Albert Camus écrivait déjà au lendemain de la seconde guerre mondiale : « Rien n’étant
vrai ni faux, bon ou mauvais, la règle sera de se montrer le plus
efficace, c’est-à-dire le plus fort. »
Mais ne nous attardons pas aux causes multiples de cette révolution.
Évaluons plutôt ses enjeux.
Une société construite par et dans une culture hétéronomique est
incontestablement une société cohérente et ordonnée mais, en même temps,
une société où les personnalités risquent d’être étouffées, où règnent
le conformisme, l’incompréhension, l’inquiétude et qui suscite
finalement la révolte.
Une société qui vit, comme la nôtre, dans une culture de l’autonomie,
reconnaît certes la liberté personnelle mais la morale au sens classique
du terme est dissoute dans les volontés particulières. La cohésion
sociale est ébranlée par l’individualisme et elle est aussi, comme la
précédente, traversée par l’inquiétude, le conformisme et peut déboucher
sur la révolte quand le « moi » n’est pas écouté. La dissolution morale et
sociale peut, en partie expliquer le succès de certains mouvements
populistes mais aussi de l’Islam y compris dans sa forme la plus
radicale, réactions suscitées par la nostalgie d’un ordre.
Le problème qui se pose à nous est le suivant : si chacun décide de ce
qui est bien ou mal, comment faire vivre ensemble harmonieusement des
hommes qui vivent selon des principes différents ? Quel ciment social
peut-on espérer ? C’est la question que se pose Guy Haarscher,
philosophe, professeur à l’ULB. Comme les hommes ne font plus confiance
ni à Dieu ni à la Raison (Kant), le risque est grand de sombrer dans
l’anarchie ou la dictature. Il écrit : « Il n’est pas
irrationnel que quelqu’un se soucie à tel point de son pur intérêt
personnel qu’il accepte sans sourciller l’annihilation d’une communauté
entière… »
Un autre philosophe contemporain confirme que dans notre
société très libérale, « toutes les valeurs qui paraissaient encore
évidentes ou sacrées aux yeux des générations précédentes » ont été
noyées, selon l’expression bien connue de Marx et Engels, « dans les
eaux glacées du calcul égoïste » Il écrit : « Dans
ces conditions, il ne peut donc plus exister la moindre base légitime -
c’est-à-dire qu’on ne puisse aussitôt diaboliser comme « conservatrice »,
« réactionnaire » ou « phobique » - pour endiguer le déferlement continu
des nouvelles revendications « sociétales » et de menaces de recours aux
tribunaux correspondantes. Au nom de quoi, en effet, irait-on par
exemple pénaliser la pédophilie, dès lors que les partenaires sexuels
sont supposés consentants […] ? Ou bien refuser aux enfants le
droit de voter dès l’âge de neuf ans, ou celui de choisir de nouveaux
parents à partir de leur douzième année […] ? Ou encore le droit pour
un individu de sexe masculin d’exiger de la collectivité qu’elle
reconnaisse officiellement qu’il est réellement une femme, pour une
Américaine blanche qu’elle est réellement une Noire […] ou pour une
anorexique qu’elle est réellement obèse ? »
Reste-t-il tout de même des limites ? Des valeurs communes ? Oui, des
valeurs floues ou mal fondées comme la tolérance, mais peut-on tout
tolérer ? Les valeurs encore plus ou moins partagées sont surtout des
valeurs négatives : on est contre l’extrême-droite, contre le
conservatisme, contre le fondamentalisme, contre le capitalisme libéral
mais sans qu’on définisse précisément ces notions ; on est contre la
pédophilie mais, en 1996, lors de l’éclatement de l’affaire Dutroux,
face à l’émotion populaire, un homme politique mettait en garde la
population : « qu’on ne vienne pas nous parler de morale ! » Et on a
oublié que dans les années 50-80, dans l’efflorescence de la culture de
l’autonomie, films et romans vantaient pédophilie et inceste qui ont
toujours aujourd’hui leurs partisans avérés. Ne m’a-t-on pas appris à
faire ce que je veux ?
Vous me direz : nous avons des lois ! Certes, mais elles sont fluctuantes
en démocratie, livrées au décompte des volontés
individuelles, et ne consacrent-elles pas, quand on y
regarde de près, des biens particuliers ?
Restent les droits de l’homme, objecterez-vous. Des droits présentés,
dans le Préambule de la Déclaration universelle de 1948, comme
universels indivisibles, fondamentaux et inaliénables. Voilà donc,
apparemment, de bonnes balises, de solides garde-fous. Le problème est
qu’aujourd’hui ils sont de plus en plus contestés ou en conflit avec
l’obsession démocratique. Nous y reviendrons.
Il faut aussi se rendre compte que, face à moi, à la limite, face à mes
désirs érigés en droits, l’autre devient un ennemi, une entrave à ma
liberté. Le mal, dans le fond, vient de l’autre, du patron, du
professeur, du gouvernement. Ainsi, face à la pauvreté dans le
Tiers-Monde, certains riches diront qu’elle est due aux pauvres
eux-mêmes, certains pauvres qu’elle est due aux riches. Personne ne se
met en question !
Comme l’écrit Alain Finkielkraut : « …aucune autorité transcendante, historique ou
simplement majoritaire ne peut infléchir les préférences du sujet
post-moderne ou régenter ses comportements. »
Bref, dans cette déroute de la morale pulvérisée par l’avènement du
moi, la notion d’éthique, elle, semble se maintenir mais comment ? Nous
allons le voir mais auparavant, prenons acte de ce diagnostic porté par
le célèbre sociologue Edgar Morin : « … notre siècle aboutit à la double idée qu’il
n’y a de certitude ni philosophique ni scientifique. Bien entendu, il y
a des tas de certitudes locales, régionales, mais nous n’avons plus de
certitudes absolues sur lesquelles fonder un système de pensée qui
serait une lumière sur toute chose. Il nous reste donc à créer une
pensée qui se fonde justement sur l’absence de fondement. Quelque chose
qui ne soit ni le scepticisme généralisé ni le vide généralisé, mais un
essai d’auto-construction de la pensée avec tout ce que nous apporte
l’information contemporaine.[…] L’éthique ne se fonde que sur
elle-même. »
Alors que « la morale commande », ce qui nous est désormais
insupportable, « l’éthique, elle, recommande », selon la
définition du philosophe André Comte-Sponville.
Et il est indéniable que le mot éthique connaît un grand succès. Nous
entendons chaque jour parler d’éthique politique, d’éthique des
affaires, d’éthique de l’entreprise, d’éthique sportive, de bioéthique,
d’éthique commerciale, d’éthique de l’informatique, d’éthique
environnementale ou ethnoéthique, d’éthique animale, d’éthique
militaire, d’éthique médicale, d’éthique financière, de roboéthique
(éthique appliquée à la robotique), d’éthique du dialogue social…. Des
spécialistes s’investissent dans la métaéthique qui analyse les normes
éthiques. Enfin, on parle d’éthique déontologique lorsque l’éthique
aboutit à la définition d’une déontologie professionnelle (déontologie
des médecins, des avocats, des architectes, etc..). Ajoutons à cette
liste non exhaustive apparemment les colloques, les commissions
régulièrement organisés.
Prenons acte tout d’abord de cette diversité. Il y a des éthiques et non
une éthique. En tout cas, ce phénomène semble au moins indiquer le
besoin de règles dans divers domaines d’activité. Mais il ne peut s’agir
d’un retour à la morale car celle-ci ne comporte, dit-on que des valeurs
négatives, des interdits, des contraintes tandis que l’éthique, elle,
parlerait de valeurs positives, de liberté, de solidarité. La morale
s’exprime, on l’a vu, en termes de devoirs, signe d’une culture morte,
prétend-on, tandis que les éthiques indiquent des repères, font des
recommandations fruits d’une culture démocratique.
Désormais, les éthiques remplacent la morale. En aucun cas, elles ne
prétendent dirent ce qui est bien ou mal en soi. Elles sont l’affaire
de spécialistes, d’orientations philosophiques diverses, de formations
diverses qui, au sein de commissions, vont élaborer, sur telle question,
dans tel domaine, une éthique qui sera une expression démocratique, le
fruit d’un consensus obtenu au terme de négociations et de compromis.
Elles sont, par nature, mouvantes et fluctuantes puisqu’elles sont
tributaires des rencontres de quelques « spécialistes » à un moment donné
sur un sujet donné.
Ces éthiques ne concernent que les affaires publiques. Sur le plan
personnel, chaque conscience est considérée comme autonome, cadrée
seulement par les lois du moment, par des éthiques changeantes.
En tout cas, il n’y a plus de normes fixes puisqu’il n’y a plus, de bien
ou de mal en soi. Tout au plus peut-on déceler, à travers la fortune
actuelle du mot « éthique », l’aveu timide, discret de l’impossibilité de
vivre ensemble sans quelque accord tout fragile soit-il, l’aveu voilé du
danger d’une liberté totale alors que la liberté humaine est relative
puisqu’elle est l’aspiration à l’illimité d’un être limité.
Ce qui est finalement en question dans cette opposition entre morale et
éthique, c’est le problème de la liberté. On rejette la morale comme
contraire à la liberté et on accepte des éthiques comme nécessaires à la
liberté pour qu’elle ne dégénère pas en licence pure et simple.
Loi et liberté s’excluent-elles nécessairement ?
N’y aurait-il pas des règles, des lois libératrices ?
C’est ce que nous devrons examiner.