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ii. A la recherche de l’universalité

[1]


1. Cf. le Colloque organisé par la Mission permanente du Saint-Siège auprès du Conseil de l’Europe, en collaboration avec le Bureau international catholique de l’Enfance (BICE) et le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) : Le défi de l’universalité, Regards croisés 70 ans après la Déclaration universelle des droits de l’homme, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 10 septembre 2018.

⁢a. Au nom d’un consensus exprimé par l’Assemblée générale des Nations Unies ?

C’est la voie la plus souvent évoquée et pratiquée dans les assemblées et conférences internationales. Au lieu de référer les droits de l’homme, ne fût-ce qu’implicitement, à un droit naturel ressenti comme trop occidental, trop chrétien, trop marqué philosophiquement, ils seront désormais l’objet de discussions qui devront tendre vers l’universel. M. Schooyans souligne à ce point de vue l’influence du philosophe américain John Rawls⁠[1] « célèbre pour sa conception de la justice procédurale, qui aboutit à réduire la justice à l’équité[2] et à la fairness (loyauté). Cette conception de l’équité est également sous-jacente au « nouveau paradigme ». Celui-ci ignore les catégories de bien et de mal, ressortissant à l’éthique de la conviction, qui fourniraient des normes de conduite. Or, selon la nouvelle éthique - celle du nouveau paradigme -, la norme morale doit être cherchée dans l’agreement, la fairness : l’ouverture loyale aux idées d’autrui, la tolérance pour toutes les opinions. L’éthique sera procédurale : ce qui est correct (right) ou faux (wrong) résultera d’une décision consensuelle, conventionnelle, issue - s’il le faut - d’un vote. Une décision « démocratique » sera une décision issue d’un vote majoritaire »[3]. Cette procédure peut paraître idéale, dans la mesure où elle semble parfaitement démocratique. Mais, comme le fait aussi remarquer M. Schooyans, « ce qui caractérise la démocratie est antérieur à l’usage de la règle de la majorité, sur base de laquelle fonctionne un régime de ce type. Cependant, la démocratie ne se caractérise pas d’abord par un mode de fonctionnement des sociétés. Au sens moderne du mot, la démocratie se définit essentiellement par un consensus fondamental de tout le corps social portant sur le droit de tout homme à vivre, et à vivre dans la dignité. C’est d’abord ce droit qui doit être promu et protégé (…). Par conséquent, c’est la nécessité de cette protection qui justifie le législateur à réprimer les agissements des individus qui s’arrogent le « droit » de disposer de la vie, de la liberté ou des biens d’autrui »[4].

Antidémocratique, à ce niveau-là, la technique du consensus dissout la notion même de droit de l’homme puisque le consensus est tributaire de l’évolution des cultures et de leur importance respective. Elle ouvre la porte à de nouvelles tyrannies, celle du désir et celle de la violence civile. Si l’homme n’est plus qu’ »un individu, appelé à se donner des vérités, à se donner une éthique », il n’est plus une personne ouverte à un ordre qui le dépasse et l’englobe mais  »une unité de force, d’intérêt et de jouissance. Cette anthropologie entraîne aussitôt une conception purement empirique de la valeur. Les valeurs s’expriment et se mesurent dans la fréquence des choix que l’on observe entre les individus. Les valeurs, c’est finalement ce qui fait plaisir aux individus. Or ces valeurs-là ne peuvent que diviser les hommes. Cette conception de la valeur est donc, à terme, non seulement destructrice du tissu social, mais elle est également le prolégomène à une nouvelle barbarie.

Il s’ensuit que chaque fois qu’au nom de cette nouvelle conception des droits de l’homme, on propose de « nouveaux droits » individuels - droit à l’homosexualité, à l’avortement, à l’euthanasie, etc. -, on avance d’un cran dans la marche conduisant à la sacralisation civile de la violence. Cependant, pour faire bonne mesure, le droit à la violence individuelle devra être protégé par la violence des institutions. Cette violence-ci sera d’ailleurs double : elle portera certes sur les corps, devenus « disponibles », mais elle portera surtout sur le moi psychologique des individus.

Car la meilleure façon de juguler la contestation et la déviance, c’est de les prévenir en imposant à l’universalité des hommes la même « nouvelle éthique » consignée dans des conventions ayant force de loi. Par sa nature même, cette « nouvelle éthique » sera donc intolérante, sans quoi elle ne pourrait procurer aucune uniformisation des individus »[5].


1. 1927-2002.
2. CAPITANT Henri dans son Vocabulaire juridique, PUF, 1936, définit ainsi l’équité : « conception d’une justice qui n’est pas inspirée par les règles du droit en vigueur et qui même peut-être contraire à ces règles ». Lalande précise qu’il s’agit d’un « sentiment sûr et spontané du juste et de l’injuste ; en tant surtout qu’il se manifeste dans l’appréciation d’un cas concret et particulier ». Autre définition encore : « L’équité est un sentiment de justice naturelle et spontanée, fondée sur la reconnaissance des droits de chacun, sans qu’elle soit nécessairement inspirée par les lois en vigueur. Ce sentiment se manifeste, par exemple, lorsqu’on doit apprécier un cas particulier ou concret sans se laisser guider par les seules règles du droit. » (toupie.otg)
3. Op. cit., p. 77.
4. Bioéthique et population : le choix de la vie, Le Sarment, Fayard, 1994, p. 80.
5. SCHOOYANS Michel, Droits de l’homme et démocratie, in Pâque Nouvelle, n° 2, 1999, pp. 19-20.

⁢b. Au nom de l’« image avérée du malheur » ?

Devant la revendication subjectiviste apparemment illimitée de nouveaux droits qui tôt ou tard portent préjudice aux droits d’autres individus, Chantal Delsol convaincue que « nous ne pouvons plus aujourd’hui énoncer des normes morales absolues », estime possible de définir des « biens » et une hiérarchie de « biens » en se fondant sur l’« image avérée du malheur ». Si la morale ne peut plus décréter le bon comportement, peut-être l’expérience pourra « nous apprendre certains traits de ce qu’est la « vie malheureuse » ». Il s’agit, bien sûr, de « l’expérience répétée, étudiée, statistiquement traduite » qui seule peut mettre en question un droit⁠[1]. Ainsi, si l’on constate statistiquement que l’enfant sans père est source de problèmes divers, le droit de la mère célibataire à l’enfant pourra-t-il perdre sa légitimité.

On voit tout de suite la fragilité d’une telle norme livrée au jeu des circonstances, des sensibilités, des cultures. De plus, même si certains comportements génèrent de manière indubitable des effets nocifs, ceux-ci ne sont pas nécessairement toujours immédiatement perceptibles et certains dégâts ne sont pas toujours faciles à mesurer⁠[2].

Enfin chacun sait, d’expérience, que la nocivité reconnue d’un mode de vie se heurte au roc de la liberté individuelle. Sinon le tabac serait interdit depuis longtemps et les comportements sexuels à risques bannis.


1. Op. cit., pp. 145-146: « Notre contemporain va évidemment demander à quel titre on se permet d’affirmer cette hiérarchie ? Au titre de la prise en compte de « biens » et de la hiérarchie des « biens ». Ces « biens » ne se fondent en aucun cas sur une morale, car nous ne pouvons plus aujourd’hui énoncer des normes morales absolues, mais sur l’image avérée du malheur ? Nul ne pourrait délégitimer le comportement de la mère célibataire au nom d’une morale traditionnelle. Mais l’expérience répétée, étudiée, statistiquement traduite, du mal-être de son enfant, nous oblige à poser la question de la légitimité de ce comportement. Au moins la simple honnêteté nous le commande-t-elle. Dans la démocratie pluraliste contemporaine, nul ne peut plus décréter ce qu’et la « bonne vie ». Mais au moins l’expérience peut-elle nous apprendre certains traits de’ ce qu’est la « vie malheureuse ».
2. Dans la mouvance de la libération sexuelle, dans les années 70, se sont multipliés les témoignages positifs en faveur de la pédophilie et de l’inceste. On se souvient du Souffle au cœur de Louis Malle ( (1971), du mouvement pour la libéralisation de l’inceste, des prises de positions d’écrivains comme Gabriel Matzneff ou Tony Duvert, d’un philosophe comme René Schérer et de l’engouement général pour le personnage mythique de Lolita, créé par Vladimir Nabokov. Vingt ans plus tard, suite à l’affaire Dutroux et à quelques autres, ici et là, la pédophilie devint le crime absolu, la faute par excellence à tel point que toute personne accusée de telle pratique fut désormais présumée coupable (Cf. GUILLEBAUD J.-Cl., La tyrannie du plaisir, Seuil, 1998, pp. 19-26 et 71-73.

⁢c. Au nom d’une « croyance éduquée » ?

Le philosophe agnostique Guy Haarscher est bien conscient que les droits de l’homme seraient plus consistants et sauveraient leur intention universaliste s’il était possible de les enraciner dans l’existence d’un Dieu créateur. Mais Dieu est mort et l’Église qui était la gardienne des normes a vu son influence rétrécir comme peau de chagrin. Pour comble de malheur, il n’est plus possible non plus de les fonder sur une métaphysique rationaliste dans la mesure où cette discipline est aussi dévalorisée que la religion, de toute façon réservée à une poignée d’intellectuels et battue en brèche par l’individualisme..

Alors, quelle solidité offrir aux droits de l’homme ? Comment les légitimer ? Ils sont pourtant indispensables car l’homme moderne est menacé de deux grands maux : « le machiavélisme politique » qui se préoccupe plus d’efficacité que de moralité de moyens et risque de nous livrer à des « princes » sans scrupules et surtout l’« hédonisme radical » qui nous rend égoïstes, indifférents à autrui, dissout le corps social. Face à cette dérive, « il est nécessaire qu’un cran d’arrêt soit installé, sans quoi la pente de désenchantement menant au nihilisme du « tout est permis », « tout est possible » sera dévalée avant que l’intellectuel « humaniste » ait simplement le temps de se retourner »[1].

Au terme de sa réflexion, Guy Haarscher dresse un bilan désenchanté: « notre hédonisme de protégés ne garantit nullement notre engagement pour le droit de tous (nous sommes à maints égards des humanistes imaginaires) ; le machiavélisme des gouvernants ne « lâchera » des droits qu’au profit de ceux qui sont capables de les imposer. Dans les deux cas, le sort des véritables destinataires de cette morale - les humiliés et offensés incapables de peser par eux-mêmes sur les Realpolitiker, ou d’intéresser réellement les hédonistes assoupis de l’Occident tardif - est sans espoir. Et s’il fallait se porter au delà du machiavélisme et de l’hédonisme pour fonder une morale de l’extrême urgence et garantir les droits de ceux qui se trouvent en deçà de tout combat possible, du moins dans l’immédiat, nous nous trouverions confrontés à la crise de la religion et à celle tout aussi inéluctable, de la métaphysique rationaliste. Alors que reste-t-il ? » Il répond : « Cette éducation, justement, cette volonté – sans appui, sans filet protecteur, sans Grand Cosmos accueillant pour la justifier – de transmettre l’héritage, de continuer. »[2]

La seule solution éminemment fragile est puisque, du fait de notre éducation, nous croyons à la nécessité et à l’universalité des droits de l’homme, d’éduquer les autres à y croire aussi et encore.⁠[3]

L’auteur se rend parfaitement compte de l’extrême précarité de cette attitude dont X. Dijon a perçu le danger car, écrit-il, comment l’entêtement de ce philosophe courageux et désespéré « résistera-t-il aux autres convictions, tout aussi têtues peut-être, qui disent elles, le contraire des droits de l’homme ? Subjectivité pour subjectivité, rien désormais ne départage les croyances (…) Aucune instance ne tranchera puisque l’histoire contemporaine a vu s’effacer la juridiction à compétence universelle (…) En effet, le monothéisme judéo-chrétien a perdu sa raison d’être publique, remplacé par la laïcité d’un côté, le paganisme de l’autre ; de même la raison des Lumières décidément trop abstraite au regard soit de la singularité individuelle soit de la particularité nationale, a perdu tout le crédit dont elle avait besoin pour régir le cours des choses politiques. Or si l’universalité inhérente à la nature humaine ne relève plus d’aucune instance tierce qui en jugerait, si donc ladite universalité ne réside plus que dans les convictions purement subjectives des humains qui l’estiment telle ou telle, pourra-t-elle jamais s’exprimer ailleurs que dans le rapport de force, lequel, privé de raison précisément, tournerait bientôt à la violence ? »[4]


1. Philosophie des droits de l’homme, Ed. de l’Université de Bruxelles, 1993, pp. 138-139.
2. Id., p. 130.
3. Cette idée veut mettre en pratique ce que le §7 du Préambule de la Déclaration de 1948 prévoit : « une conception commune de ces droits et libertés est de la plus haute importance pour remplir pleinement cet engagement » (c’est-à-dire « assurer, en coopération avec l’Organisation des Nations U nies, le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (§6).
4. Droit naturel, op. cit., pp. 587-588.

⁢Au nom d’un « ordre éthique » ?

Le président tchèque Vaclav Havel a puisé dans son expérience de dissident sous le régime communiste une réflexion qui vaut la peine d’être méditée⁠[1]. « Durant ces longues années de dissidence, écrit-il, une question assez bizarre, presque hérétique, me venait souvent à l’esprit. Je me demandais pourquoi l’homme était appelé à jouir de tels ou tels droits, quelle en était l’origine, qui avait décrété qu’ils nous appartenaient et d’où venait notre certitude tranquille que nous étions même habilités à avoir des droits. (…) Plus j’y réfléchissais, plus j’inclinais vers l’opinion que l’origine profonde de ces droits se trouve sûrement quelque part bien en deçà d’un quelconque accord. Bref j’étais de moins en moins convaincu que des principes tels que le droit à la vie, la liberté de pensée, le respect de la dignité humaine ou l’égalité devant la loi méritaient sacrifice simplement parce qu’on se serait entendu à les juger raisonnables, adéquats à nos besoins, ou fonctionnels pour favoriser la coexistence des humains sur la terre.(…) Si les droits de l’homme nous apparaissent aujourd’hui sous une forme déterminée par la situation de notre civilisation contemporaine, l’ensemble des valeurs et des impératifs dont ils sont l’expression prend en revanche sa source ailleurs : dans notre expérience intérieure, profonde et foncièrement archétypale du monde et de nous-mêmes dans le monde. (…) Autrement dit, le concept des droits de la personne n’est qu’une des manifestations actuelles de ce qu’on pourrait appeler un ordre éthique dont l’existence compte parmi les expériences fondamentales de cet être conscient qu’est l’homme. » Vaclav Havel se pose alors la question de savoir si ces droits de l’homme sont réellement universels, si leur marque euro-américaine leur permet vraiment de s’imposer à d’autres cultures. Sa position est nette : « Si nous ne voyons dans les droits de l’homme que le simple produit d’un accord sociétal, la réponse à cette question est claire : rien ne nous autorise à demander que les respecte quelqu’un d’extérieur qui n’a pas conclu cet accord ou n’a pas participé à son élaboration. (…) Mais si nous acceptons de reconnaître que le respect des droits de l’homme comme exigence ou impératif politique n’est qu’une expression politique des engagements moraux qui s’ancrent dans l’expérience humaine universelle de l’absolu, alors le scepticisme relativiste ne se justifie plus. Ce qui ne signifie pas que tout soit gagné. Pourtant, cela ouvre au moins une voie : on ne peut défendre avec succès l’universalité des droits de la personne que si l’on s’efforce de chercher ensemble ce qu’une majorité de cultures a de commun et de réviser d’une manière originale les sources les plus profondes de nos diverses cultures. (…) La voie d’une réelle universalité ne réside donc pas dans le compromis entre diverses altérités contemporaines, mais dans la recherche commune de l’expérience commune la plus fondamentale que l’homme a de l’univers et de lui-même en son sein. »

Nous voilà donc invités à chercher en deçà du compromis, en deçà d’un consensus démocratique qui risque de ressembler au plus petit dénominateur commun⁠[2] une loi morale inscrite dans le cœur des hommes. Il se peut qu’en scrutant « l’expérience spirituelle universelle de l’humanité », nous nous rendions compte que quelqu’un la résume et l’identifie !


1. Inauguration du Palais des droits de l’homme, Strasbourg, 29 juin 1995, in HAVEL Vaclav, Il est permis d’espérer, Calmann-Lévy, 1997, pp. 23-27.
2. Le projet de Vaclav Havel annonce l’effort de la Commission théologique internationale, A la recherche d’une éthique universelle, Nouveau regard sur la loi naturelle, Cerf, 2009

⁢e. A la lumière des Écritures et de l’histoire qu’elles ont inspirées

Il est indécent d’invoquer la permanence du mal et de dénoncer l’illusion d’une bonté universelle pour affirmer la naïveté obsolète des droits de l’homme. Il est indispensable au contraire de réfléchir très sérieusement aux moyens intellectuels et politiques qui rendraient plus efficace la référence aux droits de l’homme.

En effet, elle est devenue à travers le monde un espoir pour beaucoup d’hommes dans la mesure où elle permet d’évaluer la qualité humaine des politiques en place. La première urgence, accessible à tous, est de rendre le discours sur les droits de l’homme plus cohérent et de lui donner l’assise solide qui semble lui manquer.

Pour éviter les interprétations délétères et les larmoiements sur l’inefficacité de la référence aux droits de l’homme, il faut, me semble-t-il, respecter ces 6 conditions:

Il s’agit de reconnaître les droits de l’homme.

Certains juristes trouvent l’expression « droits de l’homme » pléonastique dans la mesure où l’homme seul peut être sujet de droits et de devoirs. « d’un continent à l’autre, disait Jean-Paul II, d’un milieu culturel à l’autre, on prend conscience de ce bien commun le plus précieux qu’est, au fond, l’homme lui-même »[1]. Lors de l’Assemblée plénière de l’Académie pontificale des sciences sociales en 2009, il fut clairement affirmé que « les droits de l’homme ne trouvent leur fondement ni dans la volonté de l’homme ni dans ses désirs, mais dans l’anthropologie de l’ordre naturel. »[2]

Néanmoins, il est de plus en plus fréquent d’entendre parler aujourd’hui des droits des animaux ou plus largement des droits de la nature.

Le droit des animaux ?

Influencé par la pensée de Jeremy Bentham⁠[3] qui défendait l’idée que les individus ne conçoivent leurs intérêts que sous le rapport du plaisir et de la peine, le philosophe australien Peter Singer⁠[4] en vint à affirmer que dans la mesure où tous les êtres sont capables de souffrir ou d’éprouver du plaisir, ils doivent être considérés comme moralement égaux⁠[5]. Dès lors, il est aussi immoral de manger la chair des animaux ou les produits d’origine animale que d’être anthropophage. L’idéal donc est le végétarisme ou même le véganisme. En attendant que les habitudes culturelles et économiques changent, il faut prendre soin des animaux. Un autre philosophe, américain cette fois, Tom Regan⁠[6] s’oppose à cet utilitarisme et tient un autre raisonnement : nous traitons avec respect les êtres non rationnels comme les tout petits enfants, les personnes lourdement handicapées et les vieillards séniles, parce que chacun se soucie de sa vie, est « sujet d’une vie » malgré son manque de rationalité. Or l’animal aussi est « sujet d’une vie ». Il ne peut donc être traité comme un moyen. Il établit tout de même une hiérarchie entre les êtres en fonction des biens à perdre dans le cas où il faudrait choisir entre l’homme et l’animal lors d’une catastrophe ou d’un accident par exemple. Comme l’homme a davantage à perdre dans la mort, il devrait avoir priorité sur l’animal.

Dans la mouvance de ces penseurs, une Déclaration Universelle des Droits de l’animal a été proclamée solennellement le 15 octobre 1978 à la Maison de l’UNESCO à Paris. Elle constitue une prise de position philosophique sur les rapports qui doivent désormais s’instaurer entre l’espèce humaine et les autres espèces animales. Son texte révisé par la Ligue Internationale des Droits de l’Animal en 1989, a été rendu public en 1990.

On lit dans le Préambule (c’est nous qui soulignons):

« Considérant que la Vie est une, tous les êtres vivants ayant une origine commune et s’étant différenciés au cours de l’évolution des espèces,

Considérant que tout être vivant possède des droits naturels et que tout animal doté d’un système nerveux possède des droits particuliers,

Considérant que le mépris, voire la simple méconnaissance de ces droits naturels provoquent de graves atteintes à la Nature et conduisent l’homme à commettre des crimes envers les animaux,

Considérant que la coexistence des espèces dans le monde implique la reconnaissance par l’espèce humaine du droit à l’existence des autres espèces animales,

Considérant que le respect des animaux par l’homme est inséparable du respect des hommes entre eux,

Il est proclamé ce qui suit…​ »

Et voici les 10 articles de la déclaration:


Article premier

Tous les animaux ont des droits égaux à l’existence dans le cadre des équilibres biologiques.
Cette égalité n’occulte pas la diversité des espèces et des individus.

Article 2

Toute vie animale a droit au respect.

Article 3

Aucun animal ne doit être soumis à de mauvais traitements ou à des actes cruels.

Si la mise à mort d’un animal est nécessaire, elle doit être instantanée, indolore et non génératrice d’angoisse.

L’animal mort doit être traité avec décence.

Article 4

L’animal sauvage a le droit de vivre libre dans son milieu naturel, et de s’y reproduire.

La privation prolongée de sa liberté, la chasse et la pêche de loisir, ainsi que toute utilisation de l’animal sauvage à d’autres fins que vitales, sont contraires à ce droit.

Article 5

L’animal que l’homme tient sous sa dépendance a droit à un entretien et à des soins attentifs.

Il ne doit en aucun cas être abandonné, ou mis à mort de manière injustifiée.

Toutes les formes d’élevage et d’utilisation de l’animal doivent respecter la physiologie et le comportement propres à l’espèce.

Les exhibitions, les spectacles, les films utilisant des animaux doivent aussi respecter leur dignité et ne comporter aucune violence.

Article 6

L’expérimentation sur l’animal impliquant une souffrance physique ou psychique viole les droits de l’animal.

Les méthodes de remplacement doivent être développées et systématiquement mises en œuvre.

Article 7

Tout acte impliquant sans nécessité la mort d’un animal et toute décision conduisant à un tel acte constituent un crime contre la vie.

Article 8

Tout acte compromettant la survie d’une espèce sauvage, et toute décision conduisant à un tel acte constituent un génocide, c’est à dire un crime contre l’espèce.

Le massacre des animaux sauvages, la pollution et la destruction des biotopes sont des génocides.

Article 9

*La personnalité juridique de l’animal et ses droits* doivent être reconnus par la loi.

La défense et la sauvegarde de l’animal doivent avoir des représentants au sein des organismes gouvernementaux.

Article 10

L’éducation et l’instruction publique doivent conduire l’homme, dès son enfance, à observer, à comprendre, et à respecter les animaux. _

On a relevé au passage, l’insistance sur l’existence de droits alors que la valeur de l’animal étant bien reconnue, ils ne peuvent en soi qu’être l’objet de devoirs de notre part.

Le droit de la nature ?

On assiste, d’une certaine manière, à un retour du paganisme antique qui sacralisait les éléments de la nature ou à des religions primitives, panthéistes ou hylozoïstes⁠[7]. Aujourd’hui s’y ajoutent, ici et là, une certaine misanthropie et un anti-judéo-christianisme affiché. Le livre de la Genèse aurait initié et justifié la destruction de la nature ou du moins son exploitation sans limites.

Cette idée qui n’est pas sans danger est le cheval de bataille de la deep ecology (écologie profonde)⁠[8]. Ce courant de pensée s’élève contre le principe qui veut que l’humanité soit au-dessus de la nature, autrement dit contre l’anthropocentrisme qui place l’homme au centre de la création. La deep ecology se prononce pour un « égalitarisme biocentrique » où les différentes espèces jouissent d’une égalité de droits. La nature n’est plus objet de devoirs de la part de l’homme mais sujet de droits, comme lui. Il n’y adonc plus de différence entre personnes et choses. Cette conception relativement nouvelle car on peut y voir un avatar du paganisme antique exerce une influence certaine sur quelques mouvements écologistes⁠[9]. On en trouve l’exposé ou l’écho chez de nombreux auteurs⁠[10]. La deep ecology ne se contente pas d’établir une curieuse égalité entre tous les éléments de la nature car, dans la mesure où elle considère l’homme comme une menace pour l’équilibre naturel, elle se montre volontiers misanthrope. Ce caractère apparaît notamment dès que l’on aborde la question de la surpopulation sur laquelle nous reviendrons. Et les critiques peuvent s’en donner à cœur joie : « Lorsqu’on en vient à soutenir, écrit l’un d’eux, que le nombre idéal d’êtres humains au regard des besoins des êtres non humains serait de 500 millions (James Lovelock), voire de 100 millions (Arne Naess[11]), j’aimerais qu’on nous explique au juste comment on entend mettre en œuvre cet objectif hautement philanthropique. car, là encore, les rêves des écologistes radicaux tournent souvent au cauchemar, à l’instar de ce programme de mort tranquillement élaboré par William Aiken[12] et publié dans un ouvrage collectif jouissant d’une excellente réputation : « Une mortalité humaine massive serait une bonne chose. Il est de notre devoir de la provoquer. C’est le devoir de notre espèce, vis-à-vis de notre milieu, d’éliminer 90% de nos effectifs » »[13]. Dans le même esprit, un Vert déclare : « Il faut tarir à la source la surproduction d’enfants dans le tiers monde. (…) Il y a des données biologiques prioritaires : ou ils crèvent, ou ils ne viennent pas au monde »[14]. Et le prince Philip, duc d’Edimbourg⁠[15], président de World Wild Fund International déplore qu’il n’y ait pas « de gardiens de l’humanité pour éliminer le surplus de population »[16].

Quelle que soit la motivation de ces prises de position radicales, défense de la nature, sauvegarde de la prospérité, c’est bien l’affirmation d’une « égalité biocentrique », l’oubli de la spécificité humaine, de la dignité particulière de l’homme qui doit être mise en cause. Que dire ? sinon répéter ce qu’écrit notamment H. Jonas⁠[17] : « Concernant (…) l’idée que la nature doit être considérée comme partenaire d’une relation de type contractuel : à mon avis, cela n’est pas cohérent d’un point de vue philosophique. (…) La nature n’est pas un sujet de droit. N’est sujet de droit qu’un sujet qui peut émettre des revendications à mon égard et reconnaître que j’ai des droits en retour vis-à-vis de lui ; des droits soumis à un arbitrage en raison de la réciprocité des droits et des devoirs. N’ayant pas d’obligations à notre égard, la nature n’a pas non plus de droits au sens d’un sujet de droit »[18]

Le droit du sol ?

Il est donc aberrant de parler de droit de la nature, droit des animaux, ou encore comme c’est le cas dans certains mouvements nationalistes de droit du sol. Cette référence au droit du sol, nourrit, en maints endroits, xénophobie et nationalisme. Et ce n’est pas récent : la formule « être né dans une étable ne fait pas d’un homme un cheval »[19] a fait florès sous des formes diverses. Sous le sigle du Forum national, social, radical, en France, on peut lire ce slogan : « Au sang qui a coulé sur le sol sacré de l’Europe, nous ajouterons le sang de nos ennemis. » Cette sacralisation du sol se retrouve un peu partout de Lhassa la céleste, ville interdite à certains territoires musulmans réservés aux croyants. On sait que le territoire autour des villes saintes de La Mecque et de Médine est haram, c’est-à-dire sacré et interdit aux non-musulmans.

On a beaucoup parlé, à la fin du XXe siècle et au début du XXIe, d’État islamique, de Daech, du Shâm⁠[20] qui couvre grosso modo, dans le Coran, le sud de la Turquie, l’Irak, la Syrie, la Jordanie, Israël, la bande de Gaza et une partie de l’Égypte. « Les mérites du Shâm…​voilà un sujet qui ne manquera pas d’étonner et de susciter la curiosité de plus d’un !

Pourtant le Shâm n’est-il pas cette région bénie qui entoure la Mosquée Eloignée de Jérusalem dont Allah dit : « Gloire à Celui qui, de nuit, fit voyager son Serviteur (Muhammad) de la Mosquée Sacrée à la Mosquée Eloignée (Al-Aqsa) dont Nous avons béni les alentours , afin de lui faire voir certaines de nos merveilles…​ » ? (Al-Isra, V.1)

L’Avenir même de l’Islam et des musulmans est lié à celui du Shâm et de ses habitants. Le Prophète Muhammad dit en effet : « Une fois les troubles installés, la foi règnera au Shâm. » Il dit aussi : « Si les gens du Shâm se dépravent, c’est qu’il n’y a plus de bien parmi vous. " Bien en plus, c’est le devenir de l’humanité entière qui sera scellé au Shâm, puisqu’il est la Terre du Rassemblement ultime et de la Résurrection, comme l’a affirmé le Messager d’Allah. »[21] En principe, une terre qui est gouvernée ou a été gouvernée par les musulmans est une terre réservée aux musulmans où les non-musulmans sont des dhimmi, des protégés qui doivent reconnaître la suprématie de l’Islam et par un impôt spécial appelé jizya.

On sait aussi que droit du sol (comme le droit du sang) intervient dans certains pays dans l’attribution de la nationalité. Ce qui pose problème à l’époque de grandes migrations et à maint étudiant en droit lorsqu’il doit répondre à la question de savoir quelle est la nationalité d’un enfant dont le père est guatémaltèque, la mère congolaise et qui naît dans un avion russe qui les mène en Indonésie, au moment où l’avion survole la Chine ?⁠[22]

Reconnaître les droits de tout homme.

Nous avons déjà précédemment évoqué quelques « oublis » dans l’application des principes généreux affirmés solennellement dans quelques textes célèbres. Ainsi, aux États-Unis, les esclaves n’ont pu jouir immédiatement des droits naturels reconnus et les noirs ont subi très longtemps une scandaleuse discrimination. La Déclaration française de 1789 est, de manière évidente un texte bourgeois. Ce caractère a été très tôt souligné par Hegel⁠[23] et par Marx : « Aucun des prétendus Droits de l’homme ne dépasse (…) l’homme égoïste, l’homme tel qu’il est, membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé »[24]. En témoigne l’article 2 qui citent les quatre « droits naturels et imprescriptibles » : « la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression ». En témoigne mieux encore l’article 17 qui affirme que la propriété est « un droit inviolable et sacré »[25].En témoigne aussi l’oubli des esclaves des colonies…​⁠[26].

Les droits fondamentaux ne peuvent être les droits des riches au détriment des pauvres pas plus que les droits des adultes sur les plus petits ou ceux des bien portants sur les malades, les infirmes ou les handicapés. Or nous assistons souvent aujourd’hui à « une guerre des puissants contre les faibles »[27].

En ce qui concerne l’enfant, en particulier, les instances internationales se sont bien rendu compte que son respect méritait une attention particulière. En 1924 déjà, la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant établissait la nécessité d’une protection spéciale. Le 20 novembre 1959, la Déclaration des droits de l’enfant fut adoptée à l’unanimité. Mais cette charte de principes moraux était sans valeur contraignante pour les États. Aussi, de 1979 à 1989, on travailla à l’élaboration d’une Convention sur les droits de l’enfant qui aura force de loi pour les pays qui la ratifieront⁠[28]. Ce sera le cas du Saint-Siège, avec quelques réserves⁠[29]. A cette occasion, l’observateur permanent auprès des Nations-Unies déclara : « Nous aurions souhaité que les droits de l’enfant soient depuis longtemps formellement codifiés, bien avant l’adoption d’autres documents spécifiques sur les droits de l’homme, car l’enfant représente l’objet primordial des droits de l’homme et, vu son état de dépendance absolu, il exige et a besoin d’une protection absolue. la clef pour comprendre correctement et respecter les droits des enfants se base sur la claire reconnaissance de leur nature humaine. ce ne sont pas les gouvernants ou les adultes qui décident de garantir à l’enfant ses droits. C’est la nature humaine de l’enfant qui constitue le fondement inviolable et inaliénable des droits de l’enfant, indépendamment du niveau de développement de sa précieuse existence ou de l’opportunité ou de la non-opportunité de sa présence »[30].

Protéger l’enfant, c’est protéger la famille et par voie de conséquence, tout l’ordre humain⁠[31]. C’est pourquoi les évêques de Belgique ont protesté avec une vigueur rare contre la loi de 1990 dépénalisant l’avortement : « Conscients de notre devoir envers la société et de la mission prophétique de l’Église à l’égard du monde, nous devons réaffirmer une fois encore que la loi votée est une loi injuste. Nous ne nous y rallierons jamais. Nous ne pouvons accepter que le législateur en arrive, au nom de la liberté individuelle, à sacrifier le droit à la vie d’êtres humains sans défense. Nous ne pouvons que déplorer la suppression de la protection de l’État à tant d’enfants engendrés, dont la vie est ainsi abandonnée à l’arbitraire de personnes privées. Nous devons le redire clairement : sur ce point, notre État à céder à la violence. Il a accepté que la volonté des plus forts l’emporte sur les droits et les besoins fondamentaux des plus faibles, des plus fragiles et des plus dépendants. C’est là un pas vers la dégradation de la moralité publique et du respect envers la personne humaine. Un pas qui suscite aussi la crainte d’être suivi de bien d’autres. Nous pensons ici aux mouvements en faveur de l’euthanasie des malades incurables et des personnes âgées. celle-ci aboutirait logiquement à la suppression des êtres humains handicapés. Une fois violé le principe du respect fondamental de la vie des innocents, pourra-t-on encore s’arrêter en chemin ? C’est pourquoi nous le redisons avec force : la loi de dépénalisation de l’avortement est une loi inacceptable. Elle ne fait pas honneur à notre pays. Et nous espérons fermement que le législateur se ressaisira à l’avenir »[32]. Cette « culture de mort » doit faire place à une culture de la solidarité⁠[33]. Jean-Paul II dira : Le premier droit de l’enfant est celui de « naître dans une véritable famille, un droit dont le respect a toujours été problématique et qui connaît aujourd’hui de nouvelles formes de violation dues au développement des techniques génétiques. »[34]

Il semble particulièrement difficile de reconnaître les droits d’un homme qui est présumé coupable de quelque manquement à ces mêmes droits. Et pourtant, l’impartialité est indispensable. Nous sentons déjà à cet endroit combien il est important que la reconnaissance et la surveillance des droits s’opère dans un cadre institutionnel et légal.

A contre-courant de l’opinion publique internationale qui, en 1998, applaudit à la mise en résidence surveillée, à Londres, de l’ancien dictateur chilien Pinochet⁠[35], un journaliste⁠[36] fit remarquer « qu’en l’absence d’un Code clair et de règles de procédure nettes, le monde est parti pour une jolie pagaille ». En effet, si « un « petit juge » espagnol a pu « braquer » à Londres un général chilien porteur d’un passeport valide afin de l’attraire devant un tribunal qui ne serait ni international ni chilien », bien des hommes politiques n’oseront plus s’aventurer hors des frontières de leur pays ! Mais cette affaire a aussi montrer la partialité de l’opinion qui se réjouit du coup de force à l’encontre de Pinochet mais laisse en paix d’autres illustres dictateurs.

Ainsi, l’écrivain Mario Vargas⁠[37] a fait remarquer⁠[38] qu’ »une des rares personnalités qui ait reçu la nouvelle de l’arrestation de Pinochet sans allégresse, et même avec un certain inconfort, a été - de façon très surprenante - Fidel Castro[39]. Il se trouvait à Porto, au Portugal (…). Il s’en tint, en tirant sur sa barbe jaunie, à ce commentaire: cette arrestation était sans doute une « ingérence » et il était étonnant que cela se produise, compte tenu des bons services que le Chili avait rendus à la Grande-Bretagne durant la guerre des Malouines[40]. Rien de plus ». Or, ajoutait Vargas, « quelqu’un reproche-t-il à Castro les milliers de Cubains emprisonnés, torturés, assassinés, et le million et demi d’exilés ? Quelqu’un ose-t-il mentionner simplement que cela fait quatre décennies que Cuba ignore ce que sont des élections libres, liberté d’expression, pluralisme, exercice de la critique, liberté de voyage ou de pensée, et qu’en raison de sa désastreuse politique économique le peuple cubain meurt littéralement de faim et que l’île est devenue le paradis de la prostitution touristique ? »

On ne peut donc laisser l’appréciation des droits à l’arbitraire des consciences et des sensibilités. Si l’on veut que les droits de tout homme soient respectés, il faut aussi que la justice soit appliquée sous le contrôle d’une instance qui dépasse les passions humaines et les intérêts économiques ou politiques.

Est reconnu non seulement le droit à liberté religieuse, en privé et en public, mais aussi le droit à la liberté d’opinion et d’expression. Toutefois, ces droits semblent appliqués sélectivement comme en témoigne l’« affaire Buttiglione »⁠[41]. En 2004, ce philosophe et homme politique italien, démocrate chrétien, est pressenti pour occuper le poste de Commissaire européen en charge de la justice, des libertés et de la sécurité. Ce projet suscite une vive polémique en fonction des prises de position publiques de l’intéressé au sein des commissions du Parlement européen, considérées comme hostiles à l’homosexualité et favorables à une vision « rétrograde » de la famille. Le vote d’une motion de défiance obtient 27 voix contre 26. Or, que s’est-il passé ? Lors de sa comparution devant la commission, on l’interrogea notamment sur ce qui serait sa position face au problème de l’homosexualité. Sa réponse fit la distinction classique entre le for interne et le for externe, entre son opinion personnelle et les lois qu’il serait obligé de respecter et de faire respecter. Normalement, cette réponse suffisait et était juste. Mais on lui a demandé de préciser son opinion personnelle, ce qui ne regardait personne. C’est cette réponse-là qui fut jugée insatisfaisante et il fut contraint de démissionner. Que conclure ? qu’un chrétien ne peut être considéré comme un citoyen comme un autre alors que dans le même temps, on appelle les musulmans à s’intégrer comme citoyens alors qu’au for interne ils sont parfois très loin des positions officielles.

A ce propos, le sociologue Olivier Roy a réprouvé explicitement les chrétiens qui sont réservés quant aux droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) mais s’abstient de juger position semblable chez les musulmans⁠[42]. Ainsi, les droits de l’homme se présentent comme universels et sont défendus comme tels en Occident mais ils perdent leur caractère prétendument commun à tous les hommes lorsqu’il s’agit d’une culture non occidentale au nom de l’égalité des cultures qu’en principe non ne peut juger avec nos critères.⁠[43]

Reconnaître tous les droits de l’homme.

Une politique qui se veut cohérente et au service de l’homme intégral ne peut, évidemment, sélectionner les droits objectifs, au gré de son intérêt. C’est l’homme tout entier qui doit être respecté, de la conception à la mort naturelle. Ce sont tous ses besoins fondamentaux, personnels et sociaux, corporels et spirituels qui doivent trouver le meilleur cadre possible où ils puissent être satisfaits. On a reproché, à juste titre, à la Déclaration de 1789 d’être individualiste. On a dit qu’elle avait été faite pour des enfants trouvés et des célibataires⁠[44]. L’homme dont il est question paraît fort abstrait. Il est propriétaire mais il est sans famille, n’appartient à aucune communauté locale, professionnelle ou culturelle et il est, comme nous l’avons déjà vu, sans Dieu⁠[45]. En 1948, l’aspect communautaire apparaît davantage : reconnaissance de la famille comme « élément naturel et fondamental de la société » qui « a droit à la protection de la société et de l’État » (art. 16) ; reconnaissance de la propriété collective (art. 17), de la liberté de réunion et d’association (art. 20), du droit à la sécurité sociale (art. 22), du droit syndical (art. 23), de la liberté d’enseignement (art. 26), de religion (art. 16, 18, 19, 26) ; de plus, l’article 22, dit que toute personne « est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité…​ », mais sans préciser davantage. Il faudra attendre 1966 (16 décembre) pour que soient adoptés par l’Assemblée générale des Nations Unies le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. On peut aussi citer la Charte des droits et des devoirs économiques des États du 12 décembre 1974.

La Commission « Iustitia et Pax » a établi une liste brève des « libertés et droits fondamentaux » suivis des « droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels » qui s’appuie sur l’enseignement de Pie XII, Jean XXIII, de Paul VI et du Concile Vatican II, couvrant ainsi tous les aspects de la vie humaine⁠[46]. De plus, considérant que « les droits de l’individu ont une dimension foncièrement sociale qui trouve dans la famille son expression innée et vitale », le Saint-Siège a présenté une « Charte des droits de la famille » et a invité « instamment tous les États, les Organisations internationales et toutes les Institutions et personnes intéressées à promouvoir le respect de ces droits et à assurer leur reconnaissance effective et leur mise en application »[47]. Il s’agit d’un développement particulièrement intéressant et précieux de l’extrait de l’article 16 de la Déclaration de 1948, essentiel mais trop lapidaire. Ainsi l’Église prend-elle une fois de plus l’initiative, comme elle l’avait déjà fait au Concile Vatican II en développant et précisant le droit à la liberté religieuse dans la Déclaration Dignitatis humanae.

Ne reconnaître que les droits objectifs et concrets.

C’est-à-dire des droits qui découlent réellement de la nature même de l’homme et non de sa volonté ou de la décision d’une assemblée, aussi large soit-elle. Droits, fondés en vérité, qui établissent les conditions indispensables à la croissance de l’homme considéré dans son intégralité spirituelle et corporelle. Ces droits fondamentaux correspondent évidemment à des aspirations essentielles de l’homme, à des exigences de sa liberté, mais il est hasardeux de s’en tenir à la seule subjectivité de l’individu dans la mesure où elle risque de l’entraîner à la revendication permanente, irraisonnée et irresponsable et jusqu’au caprice. Des juristes très critiques ont beau jeu alors de relever et pourfendre le droit au soleil dérivé du droit aux loisirs qui est lui-même une extension du droit au repos. Ironiquement, on pourra, en poursuivant cette logique, proposer d’ajouter dans le même esprit le « droit à la neige »⁠[48]. On parle de droit à la santé et même d’être en bonne santé là où il faudrait simplement parle de droit d’être soigné. car que peut signifier le droit à la santé d’un cancéreux inguérissable ? Les Américains reconnaissent le « droit de chercher et d’obtenir le bonheur »[49] qui est une expression bien floue et, à la limite, vide de sens. Des pédagogues parlent du droit à l’erreur et des sexologues du droit à l’orgasme[50] ; Il est courant aussi de se référer au droit à la différence qui recouvre souvent le droit à l’homosexualité mais qui peut s’étendre, pourquoi pas ?, à toute déviance ou extravagance. Du droit à la différence on arrive très naturellement au droit à l’équivalence comme en témoigne l’adoption par le Parlement européen le 8 février 1994 d’une résolution en faveur de l’égalité des droits des homosexuels qui n’est pas simplement le refus légitime d’injustes discriminations mais l’approbation juridique d’une pratique et la reconnaissance, ipso facto, d’un droit à l’adoption. Du droit au travail, on passe aisément au droit à l’emploi, parfaitement irréaliste dans un contexte de crise comme dans d’ailleurs dans une période faste. Certains réclament le droit à la retraite à 60 ans, d’autres à 55 ans et demain à 50 ans ?⁠[51] Comment établir la valeur de la vie humaine si on reconnaît en même temps le droit à la vie et le droit à l’avortement ou à l’euthanasie ? Entraîné ainsi par le mouvement incessant de ses envies on peut même, sans s’en rendre compte tout d’abord, s’autodétruire.

Interrogé par un journaliste sur un prétendu « droit de l’enfant à une sexualité consentante », le cardinal Danneels répondait qu’« il y a là une profonde ambiguïté. d’abord qu’est-ce qu’un consentement de l’enfant ? Pour consentir il faut être armé d’une certaine connaissance de ce à quoi on consent. Or, un enfant ne connaît pas suffisamment la nature de la sexualité. L’enfant a pu être séduit, mais pas consentir sciemment : il est ignorant de la réalité de la sexualité. interrogez des gens qui s’occupent d’enfants victimes de la pédophilie : vous aurez des réponses sérieuses et convaincantes. ces enfants ne sont pas épanouis. On n’a pas promu leurs droits…​. Les « droits de l’enfant » ? Cette expression relève d’un discours académique. Mais chez les médecins, on parlera autrement de ce que les enfants ont vécu. La pédophilie provoque de nombreux ravages chez les enfants, même si on les prétend consentants »[52].

Il est de même scandaleux de parler du droit à l’enfant. Comme l’écrivait déjà en son temps Simone de Beauvoir, « les enfants ne sont pas les ersatz de l’amour, ils ne remplacent pas un but de vie brisée, ils ne sont pas du matériel destiné à remplir le vide de notre vie ; ils sont une responsabilité et un lourd devoir…​ Ils ne sont ni le jouet des parents, ni l’accomplissement de leur besoin de vivre, ni les succédanés de leurs ambitions insatisfaites »[53]

Pour éviter donc les revendications immodérées du « moi », il importe d’en revenir au seul fondement sûr des droits qui est la nature même de l’homme. Comme l’écrit un éminent juriste, « détachés de leur référence à la nature, les droits de l’homme apparaissent en effet comme une série de revendications individuelles aussi peu fondées que l’arbitraire du pouvoir auquel elles s’opposent »[54]. Le drame des Déclarations modernes de 1789 à 1948 est qu’elle ont voulu se présenter comme « naturelles »⁠[55] sans se référer explicitement et rigoureusement à cette nature.

Nous retrouvons ici la nécessité déjà évoquée de mesurer la liberté à la vérité. Comme l’écrit Jean-Paul II : « …​le vrai droit de l’homme est la victoire sur lui-même pour vivre en conformité avec une conscience droite. Sans la conscience fondamentale des normes morales, la vie humaine et la dignité de l’homme sont exposées à la décadence et à la destruction »[56]. La mentalité contemporaine a oublié ce principe. Mais il se peut que l’Église ait, jadis et trop souvent, entendu la parole « la vérité vous rendra libres »[57] d’une manière un peu étroite considérant que la proclamation de la vérité était première et suffisait à libérer l’homme de son péché. S’en est suivi peut-être une pratique trop directive qui a pu dégénérer en autoritarisme. La sacralisation de l’autorité politique tend à identifier la vérité et l’autorité alors que le rôle du « prince » est d’être au service de la vérité.

Selon Mgr Walter Kasper, c’est le cardinal Karol Wojtyla qui le 25 septembre 1964, au Concile Vatican II, démontra « que la vérité ne peut être connue et reconnue que dans la liberté, et que, par conséquent, la reconnaissance de la vérité présuppose la reconnaissance de la liberté religieuse. Mais, par ailleurs, la liberté se fonde sur la vérité qui la précède ; la liberté existe en fonction de la vérité et elle trouve son achèvement dans la reconnaissance de celle-ci »[58].

On peut proposer alors cette définition d’un droit objectif : « Tout homme a droit à ce qui lui est nécessaire pour se développer et pour atteindre la perfection de son être dans les limites du bien commun » (notion que nous étudierons plus loin)⁠[59].

Apparaît ici encore la nécessité de bien s’entendre donc sur le sens que l’on donne au mot « homme ». On peut affirmer que « si les droits de l’homme sont violés dans la réalisation des programmes qui les invoquent c’est qu’il y a erreur sur l’homme »[60] ou, en tout cas, qu’il risque d’y en avoir une.

Encore faut-il que, dans la pratique, la défense des droits fondamentaux soit impartiale. Or il faut bien reconnaître que la « conscience internationale » applique parfois deux poids deux mesures. La liberté d’opinion et d’expression et la liberté religieuse sont incontestablement les plus maltraitées.⁠[61]

Reconnaître les droits de Dieu.

Peut-on se passer de reconnaître Dieu comme source des droits dans la mesure où il est le créateur de l’homme dans lequel son plan est inscrit sous la forme de ce que nous appelons « nature humaine » ? Seul Dieu est souverain et c’est abusivement et dangereusement qu’on parle de souveraineté du peuple ou de souveraineté nationale ! Si l’on parle de droits de l’homme objectifs, concrets, et universels, on en arrive à devoir parler des droits de Dieu puisqu’il est créateur de cette nature humaine dont découlent les droits. Sinon, ils ne sont que le fruit d’une volonté changeante.

Ce lien entre doits de Dieu et droit de l’homme est perceptible dès l’Ancien testament comme le montre le décalogue ou encore ce passage où Isaïe déclare : « ne crains pas, car je t’ai racheté, je t’ai appelé par ton nom, tu es à moi »[62]. Le Nouveau Testament va consacrer ce lien : « Dans l’Évangile, dira le P. Wresinski, les droits de l’homme sont l’expression des droits de Dieu. »[63] La dignité de la nature humaine est proclamée dans le Christ, vrai Dieu et vrai homme comme l’a rappelé le Concile de Chalcédoine (451)⁠[64]. Cette intime parenté de Dieu et de l’homme va transformer la notion de loi et de droit.

Isidore de Séville⁠[65] est, semble-t-il⁠[66], un des premier à avoir affirmé que le droit naturel est un droit divin. Gratien⁠[67], dans son célèbre Décret[68] parlera aussi de « la loi naturelle ou divine ». Sans doute fallut-il longtemps pour que cette idée soit approfondie et mise en œuvre mais l’histoire prouve sa justesse en révélant qu’il faut, dans l’intérêt même des droits de l’homme ne jamais les dissocier des droits de Dieu, des droits qu’il a sur sa créature. La Déclaration de l’indépendance des États-Unis (1776) évoque « les lois de la nature et du Dieu de la nature » reconnaît que « les hommes sont doués par leur créateur de certains droits inaliénables » et avoue sa « ferme confiance dans la protection de la divine Providence ». et l’article XVIII de la Déclaration des droits de Virginie (1776) établit la liberté religieuse⁠[69] en même temps que « le devoir réciproque de tous les Citoyens de pratiquer la tolérance chrétienne, l’amour et la charité les uns envers les autres ».

Par contre, la Déclaration française de 1789⁠[70], ne reconnaît pas en Dieu le créateur des droits⁠[71] même s’ils sont dits « naturels, inaliénables et sacrés » ; l’Assemblée nationale pour les proclamer se met « en présence et sous les auspices de l’Etre suprême »[72]. Si l’on veut bien distinguer Dieu sous cette appellation bizarre, il n’est plus ici qu’un simple spectateur qui bientôt ne sera plus convié. Cette attitude était sans doute plus honnête et plus cohérente car l’évocation ou l’invocation de Dieu, sous une forme ou l’autre, n’est qu’une manière de solenniser les textes sans vouloir évidemment tirer toutes les conséquences logiques d’une réelle reconnaissance du pouvoir de Dieu⁠[73]. Toujours est-il que la mise à l’écart de Dieu, plus manifeste encore dans la Constitution du 3 septembre 1791, a été accompagnée de violations massives et sanglantes des droits que la Révolution proclamait. Au nom des « droits naturels », la Constitution de 1791 supprime les corporations, ne reconnaît plus les vœux religieux et déclare que les biens destinés aux dépenses du culte appartiennent à la nation. Or, parmi les droits « naturels » cités, se trouvent la liberté de s’assembler, d’exercer le culte religieux auquel le citoyen est attaché et l’inviolabilité des propriétés ! On connaît aussi le prix humain de cette révolution⁠[74] qui ne fut pas seulement antichrétienne⁠[75] mais fondamentalement antireligieuse comme en témoignent les tendances antisémites manifestées à l’époque⁠[76].

La suite de l’histoire confirme ce que la révolution française avait montré : si les droits de Dieu ne sont pas respectés, les droits de l’homme ne le seront pas non plus malgré leur proclamations solennelles. Les expériences communistes et nazie le prouvent spectaculairement. Si Dieu n’est pas le premier servi, l’homme est desservi. Lors de la béatification du Père Rupert Mayer⁠[77], victime du nazisme, Jean-Paul II déclarait : « On entend beaucoup parler aujourd’hui, des droits de l’homme. Dans de très nombreux pays, ils sont violés. Mais on ne parle pas des droits de Dieu. Et pourtant, droits de l’homme et droits de Dieu sont étroitement liés. Là où Dieu et sa loi ne sont pas respectés, l’homme non plus ne peut faire prévaloir ses droits. Nous l’avons constaté en toute clarté à la lumière du comportement des dirigeants nationaux-socialistes. Ils ne se sont pas intéressés à Dieu et ont poursuivi ses serviteurs ; et c’est ainsi qu’ils ont aussi traité inhumainement les hommes, à Dachau, aux portes de Munich, tout comme à Auschwitz, aux portes de mon ancienne résidence épiscopale de Cracovie. Aujourd’hui encore vaut ce principe: les droits de Dieu et les droits de l’homme sont respectés ensemble ou ils sont violés ensemble. Notre vie ne sera alors en bon ordre que si nos rapports avec Dieu sont en bon ordre. C’est pourquoi le Père Rupert Mayer déclarait, à la vue de la détresse qui ravageait la terre entière durant la dernière guerre : « Notre époque actuelle est une mise en garde effroyablement sérieuse à l’adresse des peuples de la terre pour qu’ils reviennent à Dieu. Rien ne peut se passer de Dieu ! »[78] Aujourd’hui encore, cette maxime de notre bienheureux n’a rien perdu de sa véracité. Aujourd’hui encore, il s’agit de donner à Dieu ce qui appartient à Dieu. Ce n’est qu’alors que sera aussi donné à l’homme ce qui appartient à l’homme »[79].

Aujourd’hui rien n’a changé de par le monde et il est inutile de revenir sur les infamies, les crimes et les injustices qui remplissent l’actualité. Le mépris de l’homme, de sa vie, de sa dignité, de sa foi est au diapason de l’oubli de Dieu⁠[80].

Ainsi se vérifie tragiquement la nécessité d’ajuster l’agir humain à la volonté divine, comme le montrait la loi de Moïse, comme le montrent le « commandement nouveau » qui lie l’amour de Dieu et l’amour de l’homme ou encore le Notre Père, « le résumé de tout l’Évangile »[81]. Dès lors les droits de l’homme, comme l’écrit Mgr Walter Kasper⁠[82] « ne sont pas en conflit avec les droits de Dieu ; au contraire, suivant en cela saint Thomas d’Aquin, on fonde les droits à la liberté de l’homme sur la participation de la raison humaine à la loi de Dieu ». A ce moment on peut parler vraiment de droits naturels, innés, disent certains⁠[83], inaliénables et sacrés. Ce n’est qu’abusivement qu’une assemblée peut, après délibération et compromis, octroyer de tels adjectifs à des droits qui ne dépendraient en fait que de sa seule volonté. Des droits inaliénables ne peuvent être concédés par un État mais simplement reconnus puisqu’ils lui sont antérieurs.

Lors de la célébration du bicentenaire des traités de Versailles et de Paris (1783) qui mirent fin à la guerre d’indépendance des États-Unis, le cardinal Lustiger releva, dans le « texte magnifique » de la Déclaration d’indépendance, la phrase « Le Créateur des hommes les a dotés de certains droits inaliénables ». S’adressant aux délégués américains⁠[84], il la commenta en ces termes particulièrement nets : « Il y a là le fondement qui permet aux hommes d’affronter leurs propres contradictions et leurs inconséquences. En effet, l’espérance dont vous étiez porteurs consiste à reconnaître à tout homme les mêmes droits fondamentaux. Il est donc décisif pour l’avenir de l’humanité, de mettre l’énoncé de ces droits fondamentaux à l’abri de l’arbitraire et des tyrannies. Ils ne doivent pas dépendre des fluctuations d’une opinion majoritaire en un temps ou en un lieu donné. Il faut donc pour cela établir qu’ils ne résultent pas seulement d’une libre convention entre les hommes. ils ne sont pas seulement le fruit d’un contrat social, fût-il supposé fondateur de la société. Ils naissent d’un pacte, d’une alliance encore plus fondamentale que les libres conventions humaines. Et il n’est pas au pouvoir de l’homme de modifier ce pacte. Il s’agit de l’Alliance qui lie à leur Créateur les hommes créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. Comme le dit votre Déclaration d’indépendance, ces droits sont inaliénables, car c’est Dieu qui en a doté les hommes, tous les hommes. Et il n’est pas permis à l’homme de réduire ou de limiter, de prescrire ou d’altérer cette générosité créatrice ». Evoquant les martyrs de la Révolution française, il rappelait à la suite du Saint-Père⁠[85] que la violation du droit fondamental à la liberté religieuse est « l’un des points sensibles à quoi peut se reconnaître la violation ou le respect de tout droit de tout homme »[86]. Le Concile Vatican II avait aussi bien établit la relation entre la liberté humaine et la vérité divine : « Si le même Dieu est à la fois Créateur et Sauveur, Seigneur et de l’histoire humaine et de l’histoire du salut, cet ordre divin lui-même, loin de supprimer la juste autonomie de la créature, et en particulier de l’homme, la rétablit et la confirme »[87]. Dans la perspective de la « fausse autonomie » c’est-à-dire celle qui prétend se passer de toute référence à Dieu, « la dignité de la personne humaine, loin d’être sauvegardée, s’évanouit »[88]. L’enjeu est de taille : si les droits de l’homme sont une force de résistance à l’oppression et à l’injustice, ils ne peuvent se passer de Dieu. « La relation fondamentale de la personne à Dieu fonde une limite opposable à tout pouvoir humain: à une condition, que Dieu existe pour les personnes et pour la société[89] ». L’évangélisation est donc indispensable à la liberté politique et le droit à la liberté religieuse peut être considéré comme fondateur des autres droits. En effet, amputée de sa relation à Dieu, « la personne n’a plus de droit individuel supérieur à la loi, elle se réduit à ses relations sociales : elle a perdu sa transcendance »[90].

Aucun droit n’est absolu.

« Universels, inviolables, inaliénables », les droits objectifs sont des limites à la volonté de puissance de l’État puisqu’ils sont antérieurs aux différents pouvoirs qui structurent les sociétés mais aucun droit, tout « universel, inviolable, inaliénable » qu’il soit, n’est illimité ou inconditionné. Le problème est d’importance particulière aujourd’hui car la vulgarisation des droits subjectifs et revendicatifs a été propice à la propagation, surtout chez les plus jeunes, d’un droit simplifié et sans limites qui se traduit dans le langage courant par l’expression: « je fais ce que je veux ». Cette « philosophie » génère nombre de frustrations dans la mesure où personne ne peut jamais faire ce qu’il veut en fonction des limitations physiques, intellectuelles, psychologiques et sociales. Elle génère aussi, par le fait même nombre de révoltes intérieures ou manifestes.

Aucun droit ne peut s’exercer sans restriction ni réserve. Pour 6 raisons.

  1. Rappelons ce que nous avons vu il y a un instant : les droits humains sont limités par les droits de Dieu qui les balisent, les mesurent, les justifient et les fondent

  2. Tous les droits n’ont pas la même importance, comme le suggèrent les deux Pactes relatifs aux droits civils et politiques de 1966: ceux-ci sont reconnus « à un moindre degré »[91]. La Commission théologique internationale⁠[92] y fait référence et rappelle que « certains droits sont à ce point fondamentaux qu’on ne peut jamais les récuser sans mettre en danger la dignité des personnes humaines ». Et de citer le droit à la vie, l’égalité fondamentale, la liberté de pensée, de conscience et de religion. Viennent ensuite d’autres droits qui « se situent à un degré inférieur bien que, dans leurs racines, ils soient eux aussi essentiels. On peut songer ici à des droits civils, politiques, économiques, sociaux, culturels pour des personnes particulières. Sous certains aspects, en effet, ils peuvent apparaître seulement comme des conséquences contingentes des droits fondamentaux. leur réalisation pratique et les conditions de leur application parfaite ne sont pas indépendantes des circonstances historiques et géographiques. Dès lors, ces droits peuvent apparaître moins tangibles dans des circonstances difficiles pour autant bien sûr qu’ainsi on n’en arrive pas à nier les droits fondamentaux eux-mêmes. » En troisième rang « certains droits de l’homme peuvent être considérés comme des postulats de l’idéal qui s’impose et du progrès commandé par la généralisation commune de 'l’humanisation » plutôt que comme des exigences strictes du droit des gens et des normes strictement obligatoires. Ces droits relèvent de « l’idéal commun » de l’humanité auquel doivent tendre tous ceux qui ont une responsabilité envers le bien commun. il en va de même pour ceux qui exercent les responsabilités politiques et qui sont soucieux de respecter les vœux de tous les citoyens. En certains cas, s’imposeront aussi des « mesures progressives, d’ordre international ». »
    Il est facile de comprendre cette hiérarchie. Les droits exprimant les besoins de l’homme, tous le besoins pour essentiels qu’ils soient n’ont pas tous intrinsèquement la même valeur ou plu exactement la même profondeur humaine ou la même urgence. Il en va donc de même pour les droits.
    C’est, comme l’a dit, par exemple, Jean-Paul II à la suite de Jean XXIII et de Pie XII⁠[93], dans la « dignité de la personne que les droits de l’homme trouvent leur source immédiate ». La personne, c’est-à-dire cette nature douée d’intelligence et de volonté libre dont nous avons parlé⁠[94] est « l’excellence de l’homme » mais « elle n’en est pas le tout »[95]. Sans négliger, par angélisme, les conditions concrètes de l’existence, on peut donc considérer que les droits qui touchent ainsi au « cœur » de ce qui est le plus spécifiquement humain soient privilégiés. Ainsi considère-t-on que le droit à la liberté religieuse est primordial. Le droit tout aussi fondamental de choisir une éducation conforme à ses convictions religieuses découle du précédent et peut être considéré de « moindre degré ». Il est clair que le droit au loisir est secondaire par rapport au droit au travail qui le justifie.

  3. Certains droits, on vient de le dire, peuvent être limités par les circonstances voire suspendus. L’article 22 de 1948 sur la sécurité sociale et les droits économiques sociaux et culturels, précise bien qu’il faut, par nécessité, tenir compte « de l’organisation et des ressources de chaque pays ». On ne peut, en fonction de la liberté d’expression, octroyer à tous quelques minutes d’antenne ou une rubrique dans un quotidien. Comment répondre au droit au travail en période de crise ? Bien des constitutions prévoient des limites au droit à l’inviolabilité du domicile, au droit de manifestation ou de grève pour des raisons de sécurité ou d’intérêt général. Le droit au mariage est assorti de conditions pour lui conserver son sens véritable et éviter des fraudes.⁠[96]
    De plus, des situations exceptionnelles (catastrophe, danger, guerre, menace terroriste, etc.) dûment reconnues par l’autorité responsable peuvent exiger, pour certains droits⁠[97], des dérogations ou des suspensions⁠[98].

  4. Tous les textes et même le plus libéral et le plus individualiste de tous, celui de 1789, reconnaissent que « l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits » (art. 4, 1789). Les « bornes » ne peuvent être fixées par les individus eux-mêmes, elles seront donc déterminées par la Loi, nous dit le même document.
    Le droit de l’un à la propriété privée est limité par le droit de l’autre à accéder également à la propriété privée. L’interdiction de fumer dans les lieux publics se justifie par la nécessité de préserver la santé de ceux qui ne fument pas.

  5. Un droit peut être limité par un autre droit. Ainsi en est-il, comme nous le verrons du droit à la propriété privée et du droit au travail souvent en conflit. On a souvent aussi évoqué le conflit entre la liberté et l’égalité ; entre les droits individuels et les droits collectifs qui se traduit souvent aujourd’hui, comme nous le verrons également, par la douloureuse dialectique entre les droits fondamentaux de la personne et le « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »⁠[99] qui couvre, en bien des cas, l’arbitraire et le crime. Plusieurs auteurs évoquent la « concurrence » entre le droit de grève et le droit des usagers, le droit de grève et le droit au travail ; la liberté du commerce et de l’industrie et le droit à un environnement sain ; le droit de la femme et le droit à la vie ; le droit à la vie et le droit à la légitime défense ; le droit au respect de la vie privée, au droit à l’information⁠[100] ; la liberté d’expression et le droit à la réputation⁠[101] ; etc. J.-B. d’Onorio commente : « Si les droits de l’homme sont des droits positifs absolus, ils deviennent juridiquement auto-contradictoires ». Et le bon sens en déduira rapidement la nécessité de compromis pour que les différents droits puissent coexister⁠[102]. Mais cette politique n’est qu’un pis-aller dans la mesure où elle requiert l’intervention constante de juridictions diverses qui puissent arbitrer ces conflits incessants et inéluctables. Les équilibres sont fragiles, aléatoires, sans cesse remis en cause. Il faut donc trouver ou retrouver une ordonnance qui dépasse les volontés et les tensions humaines, accepter que les droits soient limités « par l’ordre naturel, l’ordre objectif du droit, car Dieu est le seul absolu face à l’homme qui fait figure de faux absolu…​ »[103].

  6. Les droits sont liés à des devoirs correspondants.
    Si les devoirs de la loi mosaïque suggéraient des libertés, les droits modernes ne peuvent s’exercer de manière cohérente et efficace sans la reconnaissance active d’obligations connexes. L’expression « les droits et les devoirs » est extrêmement fréquente⁠[104] dans le langage magistériel et tellement présente dans les contextes solennels que la formule « les droits » apparaît comme un raccourci pratique qui sous-entend le couple inséparable « droits-devoirs ». Déjà en 1789, certains membres de l’Assemblée nationale avaient souhaité qu’une liste de devoirs accompagne celle des droits⁠[105]. Il n’en resta que la formule « droits et devoirs » dans le Préambule, sans plus. Mais bien des constitutions ultérieures dans de nombreux pays intégreront des devoirs⁠[106].
    En 1942, Pie XII rappelle que « …l’obligation demeure pour chaque membre de la famille humaine de réaliser ses fins immuables, quels que soient le législateur et l’autorité à qui il est soumis. Par conséquent, demeure aussi pour toujours sans qu’aucune opposition puisse l’abolir, le droit inaliénable de l’homme, qu’amis et ennemis doivent reconnaître, à un ordre et à une pratique juridiques, dont le devoir essentiel est de servir le bien commun. »[107]
    Dans Pacem in terris, Jean XXIII, après avoir rappelé quelques « droits de nature », soulignera le rapport indissoluble entre les droits et les devoirs. En effet, c’est la même loi naturelle qui « confère les uns » et « impose les autres » : « Le fondement de toute société bien ordonnée et féconde, c’est le principe que tout être humain est une personne, c’est-à-dire une nature douée d’intelligence et de volonté libre. Par là même, il est sujet de droits et de devoirs découlant les uns des autres, ensemble et immédiatement, de sa nature: aussi sont-ils universels, inviolables, inaliénables. […] Jusqu’ici , Nous avons rappelé une suite de droits de nature. Chez l’homme, leur sujet, ils sont liés à autant de devoirs. La loi naturelle confère les uns, impose les autres ; de cette loi, ils tiennent leur origine, leur persistance et leur force indéfectible. »[108]
    Contrairement à la sensibilité moderne, peut-être faudrait-il insister sur le lien du devoir et du droit plutôt que du droit et du devoir. Car la tendance de l’homme est l’égoïsme et la volonté de puissance. Il faut souvent qu’il fasse un effort pour sortir de lui-même, s’oublier un peu et considérer l’autre dans toute sa dignité et ses droits. Est-ce que spontanément les hommes se portent au secours des autres, sont prêts à partager, à se sacrifier ? Le cardinal Cardijn disait avec beaucoup de sagesse, de courage et de lucidité qu’ »une personne a essentiellement des devoirs. Elle doit se réaliser, devenir de plus en plus personne. La personne n’est pas comme le petit animal qui devient nécessairement ce qu’il doit devenir. Une personne progresse et doit devenir toujours plus personne. (…) Elle a ici-bas une vocation, elle doit répondre à un appel de Dieu ».⁠[109] Avant lui, la philosophe Simon Weil⁠[110] avait bien perçu cette primauté du devoir : « La notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n’est pas efficace par lui-même, mais seulement par l’obligation à laquelle il correspond ; l’accomplissement effectif d’un droit provient non pas de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui. L’obligation est efficace dès qu’elle est reconnue. Une obligation ne serait-elle reconnue par personne, elle ne perd rien de la plénitude de son être. Un droit qui n’est reconnu par personne n’est pas grand-chose. […]
    Un homme, considéré en lui-même, a seulement des devoirs parmi lesquels se trouvent certains devoirs envers lui-même. Les autres, considérés de son point de vue, ont seulement des droits. Il a des droits à son tour quand il est considéré du point de vue des autres, qui se reconnaissent des obligations envers lui. Un homme qui serait seul dans l’univers n’aurait aucun droit, mais il aurait des obligations. »[111]
    On pourrait encore ajouter que le premier devoir de l’homme est d’être heureux, ce qui correspond à son désir le plus fondamental. En fonction de cette finalité, il est des chemins à suivre et d’autres à éviter. Tel est l’objet des 10 paroles prononcées sur le Sinaï, pour que l’homme devienne ce qu’il est.
    Le lien entre droits et devoirs est perceptible à trois niveaux:

    1. Au niveau personnel tout d’abord. Chaque droit que je revendique ou que j’exerce doit être moralement justifié. De plus, il engage ma responsabilité : « le droit à la vie entraîne le devoir d’en prendre soin, de la conserver ; le droit à une existence décente comporte le devoir de se conduire avec dignité ; au droit de chercher librement le vrai répond le devoir d’approfondir et d’élargir cette recherche »[112]. Le droit à la liberté religieuse, aussi fondamental soit-il, implique le devoir « de chercher la vérité, surtout en ce qui concerne Dieu et son Église » et, une fois connue, « de l’embrasser et de lui être fidèle »[113].

    2. Au niveau social, il ne suffit pas de reconnaître et de respecter le droit de l’autre, il faut, sous peine de vider les droits de leur sens, travailler à leur satisfaction. Le devoir d’assistance à personne en danger accompagne le droit à la vie. Le devoir d’évangéliser va de pair avec le droit à la liberté religieuse : « …​la vérité doit être cherchée selon la manière propre à la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, par le moyen de l’enseignement ou de l’éducation, de l’échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu’ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s’aider mutuellement dans la quête de la vérité » ; « Les groupes religieux ont aussi le droit de ne pas être empêchés d’enseigner et de manifester leur foi publiquement, de vive voix et par écrit ».⁠[114]

    3. Au niveau politique, chacun doit s’employer à construire une société où, précisément, les droits et les devoirs pourront s’exercer. De leur côté, les pouvoirs publics ont comme mission de réaliser le bien commun c’est-à-dire « l’ensemble des conditions de vie en société qui permettent à l’homme d’atteindre sa perfection propre de façon plus complète et plus aisée »[115]. Or, pour la pensée contemporaine, ce bien commun « réside surtout dans la sauvegarde des droits et devoirs de la personne humaine »[116]. Un ordre se crée grâce à de l’effort de tous et s’impose à tous. La liberté s’exercera donc dans le respect de « l’ordre public juste »[117], des règles juridiques « conformes à l’ordre moral objectif »[118]. Les droits objectifs et fondamentaux, personnels et communautaires s’inscrivent dans le respect et la recherche du bien commun qu’ils constituent et qui les limite. Nous l’avons déjà vu : « Tout homme a droit à ce qui lui est nécessaire pour se développer et pour atteindre la perfection de son être » mais « dans les limites du bien commun »[119].
      Promoteurs et protecteurs des droits et devoirs humains, les pouvoirs publics ont le droit et le devoir de sanctionner les manquements mais on ne peut fonder le respect des droits uniquement sur des rapports de force. La société en deviendrait inhumaine : « elle comprimerait nécessairement la liberté des hommes, au lieu d’aider et d’encourager celle-ci à se développer et à se perfectionner »[120]. l’idéal auquel il faut tendre est que l’individu soit « mû par conviction personnelle, de sa propre initiative, par son sens des responsabilités, et non sous l’effet de contraintes ou de pressions extérieures »[121].

Nous sommes donc de nouveau acculés à l’éducation et à l’évangélisation…​⁠[122].


1. JEAN-PAUL II, Discours aux participants du Colloque international sur L’Église et les droits de l’homme, 14-16 novembre 1988.
2. Zenit 8-5-2009. Cf. également, URFELS P. Florent, Peut-on se passer de la loi naturelle ? sur https://questions.aleteia.org/articles/52/peut-on-se-passer-de-la-loi-naturelle/ Le P. Urfels est docteur en mathématiques et en théologie.
3. 1748-1832. Philosophe anglais utilitariste.
4. Né en 1946.
5. A propos de l’avortement, Singer pense que le droit à la vie dépend de la capacité de manifester des préférences qui elles sont liées à la possibilité d’éprouver du plaisir ou de la douleur.
6. 1938-2017.
7. L’hylozoïsme considère que toute matière est vivante. C’est le cas, par exemple, chez Thalès -625 à -647). Sa formule « tout est plein de dieux » a été reprise par Platon in Lois X 899b 9. (Cf. LEFKA Aikaterini, Tout est plein de dieux, Les divinités traditionnelles dans l’œuvre de Platon, L’Harmattan, 2013).
8. C’est le philosophe norvégien Arne Naess qui a utilisé la première fois cette appellation qui désigne un courant né aux États-Unis dans les années 70. On peut lire BOURG Dominique, Les dérives de l’écologie profonde, Géopolitique n° 40, Hiver 1992-1993, pp. 21-23.
9. Sierra Club aux USA, Greenpeace, les Verts français proches d’Antoine Waechter.
10. D. Bourg (op. cit.) cite par exemple : WAECHTER Antoine (Dessine-moi une planète, Albin-Michel), SERRES Michel (Le contrat naturel, Bourin), HERMITTE M.-A. (L’homme, la nature et le droit, Bourgois), LOVELOCK James, Les âges de Gaïa, Laffont), etc.. L’auteur cite aussi JONAS Hans, Le principe responsabilité, Cerf, 1990, en se basant sans doute sur FERRY L., Le nouvel ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme, Grasset, 1992. O. Depré a montré qu’on ne pouvait ranger H. Jonas parmi les « écologistes profonds » (in Philosophie de la nature et écologie. A propos de Hans Jonas, Etudes phénoménologiques, n° 19, 1994, pp. 85-108).
11. 1912-2009. Philosophe norvégien.
12. Universitaire américain cité également par D. Bourg, op. cit., p. 23.
13. FERRY L., Le nouvel ordre écologique. L’arbre, l’animal et l’homme, Grasset, 1992, p. 157, cité in O. Depré, op. cit., p. 86, note 2.
14. Jean Brière, cité par BOURG D., op. cit., p. 23.
15. Né en 1921. Epoux de la reine Elisabeth II.
16. Jean Brière, op. cit..
17. 1903-1993. Philosophe allemand.
18. De la gnose au Principe responsabilité, Esprit, mai 1991, p. 14, cité par DEPRE O., op. cit., p. 91. O. Depré a développé sa pensée dans Philosophie morale, Academia Bruylant, 1999, pp. 151-165.
19. In Oxford Dictionary of quatations. Il s’agit d’un proverbe du XIXe siècle utilisé par le colonisateur anglais protestant à l’égard des Irlandais de souche.
20. L’appellation « État islamique » (ad-Dawla al-islâmiyya remplace celui d’« État islamique en Irak et au Levant » (ad-Dawla al-Islâmiyya bi-l-‘Irâq wa-sh-*Shâm*), qui demeure dans l’emploi de l’acronyme Daech (داعش). Sa quatrième lettre, ش, correspond à l’initiale de Shâm (Cham, Al-Sham ou pays de Cham).
22. Le problème s’est posé très concrètement pour le grand écrivain belge et sinologue éminent Pierre Ryckmans (alias Simon Leys, l’auteur, entre autres, de Les habits neufs du président Mao). Ses deux fils sont nés à Hong-Kong alors que leurs parents résidaient en Australie. Ils furent considérés comme apatrides n’ayant pas été déclarés en Belgique avant 28 ans.
23. Philosophe allemand (1770-1831), in Leçons sur la philosophie de l’histoire (1837), Vrin, 1946, évoqué par CHALLIOL Marie-Christine, Les droits de l’homme : un problème d’origine, Communio n° XIV, 3-4, mai-août 1989, p.199.
24. MARX K., La question juive, op. cit., p. 23.
25. On peut lire à ce sujet GUILLEMIN H., Silence aux pauvres, Arléa, 1996.
26. Jusqu’en février 1794 où l’esclavage fut aboli par la Convention. Mais Bonaparte rétablit en 1802 cette pratique si rentable.
27. Evangelium vitae, 25 mars 1995, n° 12, DC 2114, 16 avril 1995, p. 356.
28. Cf. Florence Bruce, représentante permanente du BICE Bureau international catholique de l’enfance, auprès des Nations Unies in OR 10 octobre 1989, p. 15. Elle insiste sur le fait que ce texte est le fruit d’un compromis car de nombreuses difficultés sont apparues : les Africains demandaient qu’on insiste sur les droits et devoirs des parents ; les pays islamiques ne pouvaient accepter la rédaction de l’article sur l’adoption et réclamaient une référence au droit islamique ; des discussions eurent lieu sur l’âge minimum du recrutement pour le service militaire ; enfin, il était difficile de s’entendre sur le début de l’enfance. Le texte de la Convention fut ouvert à la signature le 26 janvier 1990.
29. « Cette Convention constitue (…) le fondement minimum sur lequel l’accord peut être atteint, et comporte par conséquent des domaines pour lesquels les parties ne manifestent pas leur entière satisfaction » (Mgr MARTINO Renato, à l’occasion de l’adhésion du Saint-Siège, New York, 20 avril 1990, in O.R., 15 mai 1990, p. 4).
30. MARTINO Mgr Renato, op. cit., id.. C’est bien la pensée de Jean-Paul II : « La sollicitude pour l’enfant, dès avant sa naissance , dès le premier moment de sa conception et ensuite, au cours de son enfance, et de son adolescence, est pour l’homme la manière primordiale et fondamentale de vérifier sa relation à l’homme » (Discours à l’ONU, n° 21, DC 2 octobre 1979, p. 878 ; OR 9 octobre 1979, p. 10) ; « Si le droit d’une personne à la vie est violé au moment de sa conception dans le sein de sa mère, c’est un coup porté indirectement à tout l’ordre moral, cet ordre qui constitue la garantie des biens inviolables de l’homme. Parmi ces biens, la vie occupe la première place. L’Église défend le droit à la vie, non seulement à cause de la majesté du Créateur, premier Auteur de cette vie, mais aussi par respect d’un bien essentiel de la personne humaine » (Homélie à la messe de Nowy Targ (Pologne), 8 juin 1979, OR 26 juin 1979, p. 12), cité également dans l’Homélie au Capitol Mall (Washington), 7 octobre 1979, OR 23 octobre 1979, p. 14).
31. Le Saint-Siège regretta que la Convention ne soit pas explicite sur la protection de la vie de l’enfant à naître mais se félicite tout de même que le paragraphe 9 du Préambule de l’avant-projet déclare : « Comme il est indiqué dans la Déclaration des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 20 novembre 1959, l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et morale, a besoin d’une protection et d’une attention spéciales, notamment d’une protection légale appropriée aussi bien avant qu’après sa naissance ».
32. In OR du 22 mai 1990, pp. 1-2 ; DC, 1er juillet 1990, p. 664.
33. Cf. Evangelium vitae, op. cit., n°12.
34. Jean-Paul II au Comité des Journalistes européens pour les droits de l’enfant, le 13 janvier 1979.
35. Général Augusto Pinochet, 1915-2006, président de la république de 1974 à 1990. En 1998, le juge espagnol Baltasar Garzon ( né en 1955) a lancé un mandat d’arrêt international contre Pinochet soupçonné de meurtre et de torture à l’encontre de citoyens espagnols lors du coup d’État de 1973 au Chili.
36. FRANCK Jacques, Les Droits de l’homme: une auberge…​ espagnole !, La Libre Belgique, 3-12-1998.
37. Mario Vargas Llosa est né en 1936 au Pérou, Prix Nobel de littérature en 2010. A mené parallèlement une carrière politique.
38. Le Monde, 28 octobre 1998.
39. 1926-2016.
40. En 1982 lors de la guerre entre l’Argentine et la Grande-Bretagne.
41. Rocco Buttiglione, né en 1948.
42. Le Djihad et la Mort, Seuil, 2016, pp. 99 et 161. Cité in MANENT P., La loi naturelle et les droits de l’homme, PUF, 2018, p. 5.
43. Les droits se heurtent à une nouvelle conception de la culture, qu’on peut appeler ethnologique ou indifférenciée qui proclame l’égalité de toutes les cultures alors que certaines d’entre elles contredisent tel ou tel droit de l’homme. Face à l’universalisme auquel prétendent aussi bien le christianisme que le rationalisme des Lumières, Johan von Herder défendit au XVIIIe siècle, en Allemagne, la thèse du Volksgeist qui exalte une tradition nationale : le génie allemand. Cette théorie prendra son envol lors de la conquête napoléonienne, pour faire barrage à une Europe française. En France aussi, des penseurs traditionnalistes comme Joseph de Maistre (1753-1821), Louis de Bonald (1754-1840), Maurice Barrès (1862-1923) vont s’appuyer sur ce qui constitue pour eux l’« âme française » pour s’opposer à l’universalisme révolutionnaire, égalitaire, rationaliste, antichrétien. Ces théories marqueront la guerre de 1914-1918. Les Allemands combattront contre « la France athée et régicide » tandis que les Français proclameront que « la civilisation s’arrête sur le Rhin ». Ces théories trouveront leur consécration scientifique grâce à Claude Lévi-Strauss (1908-2009) qui s’érigera contre la colonisation et la prétention du colonisateur de considérer comme inférieure la civilisation du colonisé. Sa thèse sera consacrée politiquement à l’UNESCO. Pour Alain Finkielkraut (cf. La défaite de la pensée, op. cit.), « ne parler que de cultures au pluriel (…) c’est refuser aux hommes d’époques diverses ou de civilisations éloignées, la possibilité de communiquer autour de significations pensables et de valeurs qui s’exhaussent du périmètre où elles ont surgi. » Le xénophobe veut préserver sa culture européenne contre l’invasion du Tiers-Monde et le xénophile estime ne pas avoir le droit de préférer sa culture et défendra l’idée d’une société pluriculturelle. Pour lutter contre la tendance à préférer sa culture, on doit distiller une pédagogie de la relativité qui met à mal tout principe à prétention universaliste.
44. Cité par d’ONORIO J.-B., A la recherche des droits de l’homme, op. cit., p. 188.
45. L’article 10 décrète : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Non seulement, l’ordre public n’a rien d’objectif puisque c’est la loi positive qui seule décidera de l’abus éventuel mais, qui plus est, le mot « même » laisse entendre que les opinions religieuses sont à l’extrême limite du tolérable. Le législateur aurait peut-être pu les interdire mais la logique de la liberté l’oblige a les accepter malgré tout !
46. L’Église et les droits de l’homme, Cité du Vatican, 1975, pp. 22-28. Cette liste se retrouve in CALLENS C., Un sens à la société, op. cit., pp. 59-64.
47. in OR, 29 novembre 1983, pp. 6-7 et DC, n° 1864, 18 décembre 1983, pp. 1153-1157.
48. VILLEY Michel, Le droit et les droits de l’homme, op. cit., pp. 12-13.
49. Article 1er de la Déclaration des droits de Virginie, 1776.
50. « Le droit à l’orgasme est devenu pour la femme une question politique » (HITE Shere, Le rapport Hite, Laffont, 1977, p. 122).
51. La tendance est plutôt inverse aujourd’hui : on s’est rendu compte de l’irréalisme de ces prises de position démagogiques.
52. Le sens de la « marche blanche », Une entrevue avec le cardinal Danneels par Denis Lensel, in L’Homme nouveau, 2 février 1997, p. 8.
53. Cité in Chemin de vie, n° 22, octobre 1999.
54. DIJON Xavier, Droit naturel, Tome 1, Les questions du droit, PUF, 1998, p. 88.
55. La Déclaration de 1789 parle de « droits naturels, inaliénables et sacrés ».
56. Allocution lors de l’angélus du 20 février 1994, DC n° 2091, 3 avril 1994, p. 308.
57. Jn 8, 32.
58. Le fondement théologique des droits de l’homme, in Les droits de l’homme et l’Église, Conseil pontifical « Justice et Paix », Cité du Vatican, 1990, p. 59. On peut pour approfondir la question lire WOJTYLA K., Personne et acte, Le Centurion, 1983, notamment la deuxième partie: Transcendance de la personne dans l’acte ; ou la courte et excellente analyse du. HENNAUX R.P. J.-M, s.j., Vérité et liberté dans l’éthique de Karol Wojtyla d’après Personne et acte, in Jean-Paul II et l’éthique politique, sous la direction de J.-B. d’Onorio, Editions universitaires, 1992, pp. 45-59.
59. La dignité et les droits de la personne humaine, Thèses de la Commission théologique internationale, in DC n° 1893, 7-4-1985, p. 391.
60. ANDRE-VINCENT Ph.-I., Les droits de l’homme dans l’enseignement de Jean-Paul II, LGDJ-Montchrestien, 1998, p. 19.
61. Dans les pays dictatoriaux certes mais aussi, et c’est le plus interpellant, par les instances chargées de défendre ces droits comme la Cour européenne des droits de l’homme (CRDH). En 2018, la Cour a validé une condamnation prononcée par l’Autriche, à l’encontre d’une conférencière, Elisabeth Sabaditch-Wolff qui avait considéré que l’union de Mahomet avec Aïcha qui était âgée de 9 ans, pouvait être considérée comme de la pédophilie. Par contre, la même Cour, en 2019, a condamné l’Azerbaïdjan qui avait emprisonné deux journalistes azéris coupables d’avoir affirmé la supériorité de la culture occidentale sur la culture musulmane et qualifié Mahomet de « créature effrayante » en comparaison de Jésus-Christ. Alors que dans les deux cas, il s’agit de liberté d’opinion et d’expression, la différence de traitement ne peut s’expliquer que par une différence politique : l’Autrichienne était proche d’un parti réputé d’extrême droite tandis que les Azéris étaient des démocrates pro-européens.
   A propos de la liberté religieuse, en 2012, Mgr Silvano Maria Tomasi, observateur permanent du Saint Siège à Genève lors de la 19e session du Conseil des droits de l’homme, a dénoncé des violations des droits des minorités, soit par « l’indifférence », soit par la « volonté politique de marginaliser ou de réprimer, ou même éliminer » les communautés qui ont une identité différente. Pour le Saint-Siège, imposer des « appartenances sectaires, ethniques ou religieuses » comme « critères » pour appartenir à un État est « contraire à l’universalité des droits de l’homme » et conduit à « la manipulation et aux abus. » Afin que tous les citoyens d’un État soient réellement « partenaires », le Saint-Siège a invité à considérer « l’utilité » de supprimer les concepts de « majorité » et « minorité » pour caractériser des populations. Une telle décision serait « en accord » avec le principe de fondement des droits de l’homme que « tous sont égaux en droits et en devoirs » ainsi que le droit de chacun à « s’associer avec d’autres pour développer des identités et activités culturelle, religieuse et politique ». Il est nécessaire que « la dignité de toute personne » soit respectée « sans des classifications telles que « majorité » et minorité » mais en vertu de notre humanité commune donnée par Dieu. » (Zenit , 7 mars et 15 mars 2012). Comme quoi, malgré la déclaration de 1948, l’esprit des Traités de Westphalie subsiste.
62. Is 43, 1.
63. Joseph Wresinski (1917-1988), Conférence à Anvers, le 29-11-1987. Il est le fondateur du Mouvement des droits de l’homme ATD Quart Monde.
64. Cf. ANDRE-VINCENT Ph.-I., Les droits de l’homme dans l’enseignement de Jean-Paul II, L.G.D.J., 1983, p. 14.
65. Vers 560-636. Saint Isidore a été déclaré Docteur par le VIIIe Concile de Tolède (653) et honoré comme tel par l’Église universelle depuis Innocent XIII (1722). C’est dans ses Etymologies (V, 2 et 4) que se trouve l’affirmation évoquée (Cayré).
66. Cf. Cardinal A. Stickler, in Préface de Droits de Dieu et droits de l’homme, op. cit., p. 14.
67. Ce moine bénédictin, canoniste, fut professeur à Bologne au milieu du XIIe siècle.
68. Dist. I, dict., p.c. I. Ce livre exerça « une influence considérable sur le droit ecclésiastique médiéval et constitua plus tard la première partie du droit canonique jusqu’à la révision de ce dernier en 1917 » (Mourre).
69. Le texte commence ainsi : « La Religion ou le Culte qui est dû au Créateur, et la manière de s’en acquitter, doivent être uniquement dirigés par la raison et par la conviction, et jamais par la force ni par la violence : d’où il suit que tout homme doit jouir de la plus entière liberté de conscience, et de la liberté la plus entière aussi dans la forme de culte que sa conscience lui dicte ; et qu’il ne doit être ni gêné, ni puni par le magistrat, à moins que sous prétexte de Religion, il ne troublât la paix, le bonheur ou la sûreté de la Société ».
70. Les Constitutions de 1946 et 1958 dans leur Préambule, réaffirment leur attachement à cette Déclaration de 1789.
71. L’expression « Auteur » et « Suprême Législateur de l’Univers » fut repoussée ; cf. d’ONORIO J.-B., A la recherche des droits de l’homme, op. cit., p. 183.
72. Dans la Constitution du 24 juin 1793, le peuple proclamera aussi les droits « en présence de l’Etre suprême » ; la constitution du 4 novembre 1848 dira « en présence de Dieu ». Dans la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, c’est le Roi qui accorde les droits.
73. Dans le Préambule de sa Loi fondamentale du 23 mai 1949, le peuple allemand se dit « conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes » ; La Confédération suisse place en exergue de sa Constitution du 18 avril 1999, l’expression : « Au nom de Dieu Tout-Puissant ! ». Autrement consistante et riche de conséquences est cette introduction de la Constitution irlandaise (1937) : Au nom de la très sainte Trinité, de laquelle découle toute autorité et à laquelle toutes les actions des hommes et de l’État doivent se conformer en tant que fin ultime, Nous, le peuple d’Irlande, reconnaissant humblement toutes nos obligations envers notre Divin Seigneur, Jésus Christ, qui soutint nos pères tout au long des siècles, Nous rappelant avec gratitude leur lutte héroïque et assidue pour rétablir l’indépendance à laquelle notre Nation avait droit, et cherchant à promouvoir le bien commun… » mais elle risque de faire problème dans une société qui n’est plus uniformément chrétienne.
74. Entre 350.000 et 400.000 morts, en Vendée, les deux camps confondus. Pour l’ensemble de la France et en tenant compte des guerres européennes entraînées par la révolution, le bilan s’élève à deux millions de morts, chiffre « très supérieur, relativement à la population, aux pertes de la première guerre mondiale » (cfr Bicentenaire de la Révolution de 1789, Economie et monde du travail : le grand bond en arrière, Etudes et enquêtes, mars 1989, Centre patronal, Lausanne, p. 27). Sur ce sujet, on peut consulter CHAUNU P., Le grand déclassement, Laffont, 1989 ; SECHER R., Le génocide franco-français, PUF, 1986 ; SEDILLOT R., Le coût de la Révolution française, Perrin, 1987 ; BABEUF Gracchus, La guerre de Vendée et le système de dépopulation, présenté et annoté par R. Secher et J.-J. Brégeon, Tallandier, 1987.
75. Cf. DUMONT Jean, La Révolution française ou les prodiges du sacrilège, Criterion, 1984. Sur les centaines de martyrs de la Révolution, lire : CHOLVY Gérard, Les martyrs, in Communio XIV, 3-4, mai-août 1989, pp. 47-52 et DAGENS Mgr Claude, La mission de l’Église dans l’épreuve de la révolution, id., pp. 99-102 ; POUPARD cardinal P., Les guerres de Vendée et les chrétiens d’aujourd’hui, DC n° 2091, 3 avril 1994, pp. 309-319 ; SAINT-ROCH Mgr P., Les martyrs des pontons ou l’attitude de la révolution à l’égard de l’Église, OR n°40, 3 octobre 1995, pp. 5-6. Le caractère anti-religieux n’est pas apparu immédiatement. En témoigne l’attitude du clergé en 1789. Le 4 août, le clergé renonce, comme l’aristocratie d’ailleurs, spontanément et dans l’enthousiasme à ses privilèges féodaux et avantages financiers ; l’archevêque de Paris, Leclerc de Juigné, demande à l’Assemblée d’ordonner qu’un Te Deum soit chanté en présence du Roi et de tous les membres de l’Assemblée ; pendant un an, des cérémonies publiques rendirent grâce à Dieu. Le texte de la Déclaration souleva peu d’objections de la part du clergé (cf. APOLLIS Gilbert, L’Église et les déclarations des droits de l’homme de 1789 et 1948, in Droits de Dieu et droits de l’homme, op. cit ;, pp. 46-47).
76. Cfr. sous la direction de BLUMENKRANZ Bernhard et SOBOUL Albert, Les Juifs et la Révolution française, Privat, 1976. Il faut dire que les esprits avaient été préparés par Voltaire, entre autres. On peut lire sur ce sujet LEVY B.-H., Le testament de Dieu, Grasset, 1979, pp. 125-130, ou consulter le Dictionnaire philosophique de Voltaire qui à l’article « Anthropophages » écrit : « …​pourquoi les Juifs n’auraient-ils pas été anthropophages ? C’eût été la seule chose qui eût manqué au peuple de Dieu pour être le plus abominable peuple de la terre ».
77. Jésuite allemand, 1876-1945.
78. Dans la même homélie, Jean-Paul II citait encore le Père Mayer : « C’est Dieu notre Seigneur qui a les premiers droits sur nous ». Et le Saint-Père de commenter : « …​disant cela, il savait qu’il combattait également pour les droits et la dignité de l’homme ».
79. Homélie du 3 mai 1987, à Munich, OR n° 22, 2 juin 1987, pp. 8-9.
80. Jean-Paul II rappelait, le 14 août 1983, à Lourdes, que les difficultés pour vivre sa foi « ne proviennent pas seulement des restrictions externes de liberté, des contraintes des hommes, des lois ou des régimes. elles peuvent découler également d’habitudes et de courants de pensées contraires aux mœurs évangéliques et qui exercent une forte emprise sur tous les membres de la société ; ou encore il s’agit d’un climat de matérialisme ou d’indifférentisme religieux qui étouffe les aspirations spirituelles, ou d’une conception fallacieuse et individualiste de la liberté qui confond la possibilité de choisir n’importe quoi qui flatte les passions avec le souci de réaliser au mieux sa vocation humaine, sa destinée spirituelle et le bien commun. Ce n’est pas une telle liberté qui fonde la dignité humaine et favorise la foi chrétienne » (Discours à la fin de la procession aux flambeaux, in OR n° 33-34, 16-23 août 1983, p. 9).
81. Selon l’expression de Tertullien (or.1), citée par le CEC n°2761.
82. Op. cit., p. 58.
83. Cf., par exemple : KASPER Mgr Walter, op. cit., p. 57 ou encore MARTINO Mgr Renato R., Intervention à l’ONU, au Comité sur les droits humains et la liberté religieuse, 12 novembre 1987, in OR, n° 48, 1 décembre 1987.
84. 2-9-1983.
85. Discours à la fin de la procession aux flambeaux, Lourdes, 14 août 1983, op. cit., pp. 8-9.
86. Allocution, 2 septembre 1983, in O.R. n° 38, 20 septembre 1983, p. 2.
87. GS, n°41, par. 2.
88. GS, 41, par. 3.
89. ANDRE-VINCENT Ph.-I., Les droits de l’homme dans l’enseignement de Jean-Paul II, op. cit., p. 24.
90. Id., p. 27.
91. Art. 5.2.
92. Op.cit., p. 384.
93. « Le fondement de toute société bien ordonnée et féconde, c’est le principe que tout être humain est une personne…​. Par là même, il est sujet de droits et de devoirs découlant de sa nature : aussi sont-ils universels, inviolables, inaliénables » (PT n°10, citant PIE XII, Radiomessage de Noël 1942)
94. Cf.. PT, n° 10 .
95. L’expression est d’ANDRE-VINCENT Père Ph.-I., Les droits de l’homme dans l’enseignement de Jean-Paul II, op. cit., p. 12.
96. La Convention européenne des droits de l’homme garantit le droit au mariage : « à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de ,se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. » Ainsi, le code civil belge déclare qu’« il n’y a pas mariage lorsqu’il n’y a pas consentement » et « il n’y a pas mariage lorsque, bien que les consentements formels aient été donnés en vue de celui-ci, il ressort d’une combinaison de circonstances que l’intention de l’un au moins des époux n’est manifestement pas la création d’une communauté de vie durable mais vise uniquement l’obtention d’un avantage en matière de séjour, lié au statut d’époux. »
97. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) excepte, de toute dérogation, le droit à la vie (art. 6), à la personnalité juridique (art. 16), à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 18), l’interdiction de la torture (art. 7), de l’esclavage et de la servitude (art. 8), de l’emprisonnement (art. 11) et de la condamnation (art. 15) arbitraires.
98. Id., art. 4.
99. Cf. également la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, 14 décembre 1960.
100. Le respect de la vie privée comme le droit à l’image ne sont pas toujours respectés par les journalistes qui placent le droit à l’information au-dessus de tout.
101. Le problème est très bien illustré par Milos Forman dans son film Larry Flynt (1997), inspiré d’événements et de personnages réels : le responsable d’une revue pornographique tourne en dérision un prêcheur tout à fait honorable et au terme d’une série de procès, s’entend confirmer par la Cour suprême des États-Unis le droit à l’expression, malgré les scandales provoqués par ses outrances. Toutes les contradictions de la société américaine y apparaissent clairement : le provocateur est absous de ses dérisions diffamatoires envers le saint homme mais est au passage condamné pour injure à magistrat et insulte au drapeau américain. Toute la défense de Larry Flynt s’appuya sur l’article premier des Articles additionnels et amendements à la Constitution des États-Unis qui stipule que « le Congrès ne fera aucune loi (…) restreignant la liberté de parole ou de la presse ».
102. Cf. MARENSIN Jean, A propos de droits, in Communio XIV, 3-4, mai-Août 1989, p. 157, d’ONORIO J.-B., A la recherche des droits de l’homme, op. cit., p. 189 et VILLEY M., Le droit et les droits de l’homme, op. cit., p. 13.
103. d’ONORIO J.-B., id., p. 189. On peut aussi constater que Dieu lui-même s’autolimite dans l’application de son droit, respectant le sanctuaire de la conscience humaine qui peut lui dire non et persister dans son refus. Dieu lui-même ne se permet pas tout.
104. Léon XIII déjà parle des devoirs et des droits qui découlent de la nature humaine, par exemple dans Humanum genus en 1884, comme Jean XXIII le fera en 1963 dans PT et Jean-Paul II dès 1978 (Message au Secrétaire général des Nations Unies pour le XXXe anniversaire de la déclaration universelle des Droits de l’homme, 2 décembre 1978).
105. Quelques-uns tentèrent d’introduire dans le texte le Décalogue. L’abbé Grégoire (1750-1831) député et premier prêtre à avoir prêté serment à la Constitution civile du clergé déclara : « Il est principalement essentiel de faire une déclaration des devoirs pour retenir les hommes dans les limites de leurs droits ; on est toujours porté à les exercer avec empire…​ Il faut établir un équilibre, il faut montrer à l’homme le cercle qu’il peut parcourir et les barrières qui peuvent et doivent l’arrêter » (cité par APOLLIS Gilbert, op. cit., p. 47).
106. En France, c’est le cas dès le 22 août 1795 avec la Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen du 5 fructidor, an III. Mais on continua à privilégier la déclaration de 1789. Plus près de nous, la Constitution espagnole du 29 décembre 1978 dans son « Titre 1er » parle : « Des droits et devoirs fondamentaux ».
107. PIE XII, Radio-message, 24 décembre 1942.
108. PT, 10 et 30.
109. Va libérer mon peuple, Editions ouvrières, 1982, p. 35
110. 1909-1943. Cette philosophe juive fut syndicaliste sympathisante communiste, participa à la guerre civile d’Espagne dans le mouvement anarcho-syndicaliste, fut enseignante, ouvrière agricole et ouvrière d’usine et se rapprocha du christianisme.
111. WEIL Simone, L’enracinement, Gallimard, 1949, pp. 9-10.
112. Ce sont les exemples donnés par Jean XXIII, in PT, n° 31.
113. Dignitatis humanae, op. cit., n°1. Et le texte continue : « Ce n’est […] pas sur une disposition subjective de la personne, mais sur sa nature même, qu’est fondé le droit à la liberté religieuse. C’est pourquoi le droit à cette immunité persiste en ceux-là mêmes qui ne satisfont pas à l’obligation de chercher la vérité et d’y adhérer ; son exercice ne peut être entravé, dès lors que demeure *sauf un ordre public juste*. » (Id., n° 2).
114. Cf. Dignitatis humanae, 3-4. Cet enseignement sera repris et prolongé par Jean-Paul qui précisera notamment « la liberté d’annoncer et de communiquer l’enseignement de la foi, par la parole et par l’écrit, même en dehors des lieux de culte, et de faire connaître la doctrine morale concernant les activités humaines et l’organisation sociale : ceci, en conformité avec l’engagement, contenu dans l’Acte final d’Helsinki, de faciliter la diffusion de l’information, de la culture et des échanges de connaissance et d’expériences dans le domaine de l’éducation, et qui correspond en outre, dans le domaine religieux, à la mission évangélisatrice de l’Église » (Lettre aux Chefs d’État signataires de l’Acte final d’Helsinki (1975), 1er septembre 1980). (NB : l’Acte final clôtura la Conférence d’Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe)
115. GS, 26, 1 ; MM, n° 65 ; PT, n°26.
116. PT, n° 61. On lit dans GS 26, 1: « Le bien commun, c’est-à-dire cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée, […] et par suite recouvre des droits et des devoirs qui concernent tout le genre humain. ». Et plus loin : « La « communauté politique selon des types institutionnels variés […] existe […] pour le bien commun ; elle trouve en lui sa pleine justification et sa signification et c’est de lui qu’elle tire l’origine de son droit propre. » (GS 74,1).
117. PT, n°3.
118. Id., n°7.
119. Commission théologique internationale, op. cit., p. 391.
120. PT, n° 36.
121. Id..
122. Il est intéressant, à ce propos, de méditer un instant l’évolution des esprits vis-à-vis de la peine de mort. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (3 septembre 1953) réglemente la peine de mort et ne la considère pas, à certaines conditions, bien sûr, comme une violation du droit à la vie mais comme une protection du même droit (Titre I, article 2). Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (16 décembre 1966) affine cette réglementation (article 6) mais précise qu’« aucune disposition du présent article ne peut être invoquée pour retarder ou empêcher l’abolition de la peine capitale par un État partie au présent Pacte » (Art. 6, 6). L’Église encourage l’évolution sous-entendue par l’alinéa du Pacte qui n’apporte aucune explication sur son bien-fondé. L’Église, elle, la justifie en stipulant que « si les moyens non sanglants suffisent à défendre les vies humaines contre l’agresseur et à protéger l’ordre public et la sécurité des personnes, l’autorité s’en tiendra à ces moyens, parce que ceux-ci correspondent mieux aux conditions concrètes du bien commun et sont plus conformes à la dignité de la personne humaine » (CEC, 2267).