L’opposition de l’Église
Toutefois, ce n’est pas la Déclaration (26-8) qui provoqua la réaction
du pape Pie VI, ni la suppression de la dîme ecclésiastique
(4-8), ni la
nationalisation des biens du clergé (2-11-1789), ni la suppression des
vœux monastiques (12-2-1790) mais la Constitution civile du clergé votée
le 12 juillet 1790 et sanctionnée par le roi le 24
août. Elle vise
à séparer l’Église de France du Saint-Siège : évêques et prêtres élus par
les assemblées électorales, devenaient fonctionnaires salariés, les
diocèses étaient redessinés. Durant la préparation de cette constitution
marquée à la fois par le gallicanisme latent et la pratique
démocratique, le Saint Père avait envoyé des brefs à certains prélats et
au Roi pour les mettre en garde. Le 10 juillet 1790 notamment, il
prévient le Roi : « Si vous approuvez les décrets relatifs au clergé,
vous entraînez par cela même votre nation entière dans l’erreur, le
royaume dans le schisme, et vous allumez peut-être une guerre de
religion. » 17-8-90: « Il
appartient à l’Église seule, à l’exclusion de toute assemblée purement
politique, de statuer sur les choses spirituelles ». d’autres
admonestations restèrent sans effet alors que le pouvoir commençait à
appliquer les nouvelles lois. Après avoir reçu l’Exposition des
principes (10 octobre 1790) signée par 110 évêques français qui
expriment leurs craintes et sollicitent l’avis du Saint Père, après
avoir soumis cette Constitution à une congrégation, Pie VI envoie aux
prélats de France le bref Quod aliquantum le 10 mars 1791 où il leur
demande, à son tour, leur avis et où il développe un certain nombre de
critiques. Celles-ci seront confirmées le 13 avril 1791 par le bref
Caritas qui, sur l’avis d’une commission cardinalice réunie 3 fois,
« condamne formellement comme schismatique et hérétique la constitution,
casse et annule toutes les élections épiscopales faites sans son
consentement, suspend les prélats consécrateurs, annule les nouvelles
délimitations des diocèses, menace d’excommunication les
intrus. » La bulle Auctorem fidei
condamnera officiellement la constitution civile du clergé. C’est donc
la liberté de l’Église qui préoccupe d’abord et légitimement Pie VI. Il
voit dans la constitution et dans le serment qu’on réclame des prêtres
pour appliquer les décrets une attaque contre la religion catholique.
L’intention du pape « n’est pas d’attaquer les nouvelles lois civiles »
ni « de provoquer le rétablissement du régime ancien de la France : le
supposer, serait renouveler une calomnie… ». Mais il critique au passage, parce qu’ils
touchent à la sociabilité et in fine à la religion, sans citer le
document, les articles 10 et 11 de la
déclaration : « … on établit comme un
droit de l’homme en société, cette liberté absolue, qui non seulement
assure le droit de n’être point inquiété sur ses opinions religieuses,
mais qui accorde encore cette licence de penser, de dire, d’écrire et
même de faire imprimer impunément en matière de religion, tout ce que
peut suggérer l’imagination la plus déréglée ; droit monstrueux, qui
paraît cependant à l’assemblée résulter de l’égalité et de la liberté
naturelles à tous les hommes. Mais que pouvait-il y avoir de plus
insensé, que d’établir parmi les hommes cette égalité et cette liberté
effrénée qui semble étouffer la raison, le don le plus précieux que la
nature ait fait à l’homme, et le seul qui le distingue des
animaux ? »
Alors que la Déclaration ne reconnaît comme limite à la liberté que la
loi, le pape lui rappelle que la première limite à la liberté est la
raison même de l’homme et, par elle, sous-entendu, la vérité et en
particulier la détermination du bien et du mal : « Dieu après avoir créé
l’homme, après l’avoir établi dans un lieu de délices, ne le menaça-t-il
pas de la mort s’il mangeait du fruit de l’arbre de la science du bien
et du mal ? Et par cette première défense ne mit-il pas des bornes à sa
liberté ? Lorsque dans la suite sa désobéissance l’eut rendu coupable, ne
lui imposa-t-il pas de nouvelles obligations par l’organe de Moïse ? et
quoiqu’il eût laissé à son libre arbitre le pouvoir de se déterminer
pour le bien ou pour le mal, ne l’environna-t-il pas de préceptes et de
commandements, qui pouvaient le sauver s’il voulait les
accomplir ?'.(Ecclésiastique 15, 15-16). » Le pape souligne donc une
incompatibilité entre la liberté proclamée et les 10 paroles divines.
De même, il montre que la vision nouvelle trahit la nature de la société
telle que Dieu l’a conçue. C’est à la raison de nouveau que le pape
emprunte un autre argument contre cette égalité et cette liberté
effrénée qui fait de l’homme une « monade isolée, repliée sur
elle-même » comme l’écrivait Marx. Pie VI semble avoir perçu la racine de
mal contemporain grandissant : l’individualisme. L’homme n’est-il pas
naturellement social et donc soumis dès l’enfance à des supérieurs, puis
à des lois qui régissent cette société ? Dès lors, l’égalité et la
liberté proclamées ne sont que « des chimères et des mots vides de
sens » mais qui portent préjudice à la religion et à l’autorité civile.:
« Peut-on […] ignorer que l’homme n’a pas été créé pour lui seul,
mais pour être utile à ses semblables ? car telle est la faiblesse de la
nature, que les hommes, pour se conserver, ont besoin du secours mutuel
les uns des autres ; et voilà pourquoi Dieu leur a donné la raison et
l’usage de la parole, pour les mettre en état de réclamer l’assistance
d’autrui, et de secourir à leur tour ceux qui imploreraient leur appui.
C’est donc la nature elle-même qui a rapproché les hommes et les a
réunis en société ; en outre, puisque l’usage que l’homme doit faire de
sa raison consiste essentiellement à reconnaître son souverain Auteur, à
l’honorer, à l’admirer, à lui rapporter sa personne et tout son être ;
puisque dès l’enfance, il faut qu’il soit soumis à ceux qui ont sur lui
la supériorité de l’âge ; qu’il se laisse gouverner et instruire par
leurs leçons ; qu’il apprenne d’eux à régler sa vie d’après les lois de
la raison, de la société et de la religion […] ainsi les hommes
n’ont pu se rassembler et former une association civile, sans établir un
gouvernement, sans restreindre cette liberté, et sans l’assujettir aux
lois et à l’autorité de leurs chefs. […] et ce n’est pas tant du
contrat social que de Dieu lui-même, auteur de tout bien et de
toute justice, que la puissance des rois tire sa force. »
Ferme et net dans la défense des droits de l’Église et de la foi, Pie VI
qui, au début de son pontificat avait évoqué les progrès de l’athéisme
(encyclique Inscrutabili divinae sapientiae, 25-12-1775), a-t-il
mesuré l’ampleur de l’offensive politique et philosophique qui agite
l’Europe entière durant ce siècle ni l’impact social de la révolution ?
En effet, toute l’Europe est en proie à des courants de pensée qui mette
en question l’Église, sa doctrine et son chef : les plus célèbres sont le
despotisme éclairé
et le jansénisme qui influencèrent peu ou prou des conceptions concordantes:
fébronianisme , joséphisme en Allemagne et aux
Pays-Bas, ricciismeen Italie, despotisme éclairé en Prusse
et en Russie, anticléricalisme maçonnique au Portugal
(pombalisme),
en Italie, en Espagne, carbonarisme à Naples, léopoldisme en Autriche,
Bohême, Hongrie, Toscane. Tous les gouvernements pratiquent
le régalisme. Les souverains rêvent de mettre sous leur
autorité une église nationale aussi indépendante que possible de Rome.
Dans ces remous intellectuels et religieux, la papauté se montre
relativement faible. En témoigne la suppression de la Compagnie de Jésus
décidée par Clément XIV (bref Dominus ac redemptor) et poursuivie par
ses successeurs. Un autre élément a semble-t-il, affaibli la position
des souverains pontifes de l’époque, c’est leur pouvoir temporel étendu
à de nombreux territoires en Italie et hors de l’Italie qui seront la
proie facile des conquêtes des armées de la révolution et de Bonaparte.
De Pie VI à Pie IX, les papes héritiers d’une Rome terne et affaiblie au
XVIIIe siècle ont été confrontés à l’éloignement parfois même doctrinal
des églises nationales, Ils ont constaté les dégâts civils et religieux
des révolutions à travers l’Europe et en particulier les attaques
féroces et sanglantes contre l’Église et les croyants. Ils se sont vus
menacés dans leurs biens (États pontificaux) et dans leur vie. Ils
n’avaient sans doute ni l’indépendance d’esprit ni les instruments
intellectuels nécessaires pour une juste et pertinente réaction. On peut
ainsi regretter que l’analyse des proclamation, déclarations et
constitutions présentant les libertés n’ait pas été plus profonde car,
comme nous le verrons plus loin, elles présentent de nombreuses lacunes
dans la présentation d’un certain nombre de droits dont la valeur est
indiscutable.
En définitive le choc de la révolution et de l’impérialisme napoléonien
sera salutaire à l’Église qui va très vite retrouver sa vigueur et sa
fidélité doctrinale.
Pie VII (pape de 1800 à 1823) rétablit la Compagnie de Jésus en 1814 par
la Constitution Sollicitudo omnium Ecclesiarum et tenta de réorganiser
l’Église par des concordats plus ou moins heureux pour améliorer le sort
des catholiques en Europe et de reconstituer les États pontificaux.
Comme son prédécesseur, il s’inquiète de l’influence des libertés de
cultes, de conscience et de presse sur la foi catholique car, écrit-il,
« on confond la vérité avec l’erreur, et l’on met au rang des sectes
hérétiques et même de la perfidie judaïque, l’Epouse sainte et immaculée
du Christ hors de laquelle il ne peut y avoir de
salut ».
Léon XII (pape de 1823 à 1829) continua à défendre le sort des
catholiques en Europe. Il va également réagir aux idées philosophiques
du temps avec l’encyclique Ubi Primum (5-5-1824) contre
l’indifférentisme en matière de religion et la constitution Quo
graviora mala (13-5-1825) contre la secte des francs-maçons. Pie VIII
(pape de 1829 à 1830) vécut trop peu de temps.
C’est Grégoire XVI (pape de 1831 à 1846), qui va, solennellement, dans
l’encyclique Mirari vos de 1832, reprendre et développer les critiques
ponctuelles de ses prédécesseurs contre les libertés
révolutionnaires. « Une des causes les plus fécondes de tous ces malheurs de
l’Église, c’est l’indifférentisme, c’est à savoir cette funeste opinion
qui professe que toutes les croyances sont bonnes pour le salut éternel,
à condition que les mœurs soient réglées selon la justice et
l’honnêteté. C’est de cette source corrompue que dérive l’opinion
absurde et erronée d’après laquelle il faut affirmer et revendiquer pour
n’importe qui la liberté de conscience. A cette erreur pestilentielle,
la voie est préparée par la liberté d’opinion, pleine et immodérée, qui
progresse au grand détriment de la société civile et ecclésiastique, et
que plusieurs néanmoins, avec une souveraine impudence, prétendent
mettre au service de la religion. C’est au même but que tend cette
abominable liberté de la presse, qu’on ne saurait assez exécrer et
détester, et que certains prétendent réclamer et promouvoir avec tant
d’audace…. Ayant appris que cette liberté impudente de la presse
ébranle la fidélité due aux princes et allume partout les flambeaux de
la rébellion, nous engageons les évêques à rappeler aux peuples la
doctrine de l’apôtre sur l’origine du pouvoir, et l’exemple des premiers
chrétiens acceptant sans se révolter les ordres des empereurs quand ils
ne touchaient qu’au temporel…. Il est bien clair que l’union des deux
pouvoirs, qui s’est toujours montrée utile à la société civile comme à
l’ecclésiastique, est partiellement redoutée par les partisans de cette
impudente liberté dont il a été parlé plus haut. »
Le ton est rude et la pensée sans nuances : le rapport liberté-vérité est
mal présenté, l’obéissance à César simplifiée et, à la séparation des
pouvoirs, le pape oppose, sans préciser, l’union des pouvoirs. Ce sont
là des maladresses, de notre point de vue, mais, vu l’époque et ses
troubles qui menaçaient le Saint Siège lui-même, il était peut-être
difficile de faire mieux.
C’est dans la même ligne que Pie IX (pape de 1846 à 1878) publia
l’encyclique Quanta cura (8 décembre 1864). Il oppose le droit de
l’Église à certains droits « modernes » présentés comme anticatholiques et
qui sont proclamés en opposition avec l’« éternelle loi naturelle » et
la « droite raison ». Ainsi, fustige-t-il, à la suite de Grégoire XVI,
la liberté de conscience et des cultes par la quelle « les citoyens ont
droit à l’entière liberté de manifester hautement et publiquement leurs
opinions quelles qu’elles soient, par les moyens de la parole, de
l’imprimé ou toute autre méthode sans que l’autorité civile ni
ecclésiastique puisse lui imposer une limite ». C’est ce « sans limite »
qui est contestable. la constitution Dignitatis humanae rappellera les
« justes limites » (n°2) de l’ordre public juste » (n°3 et 4), le respect
« du bien commun » (n°6), « selon les règles juridiques, conformes à
l’ordre moral objectif » (n°7), le devoir de chercher la vérité et, une
fois qu’elle est connue, de l’embrasser et de lui être fidèle (n°1 et
3). La liberté est ainsi mesurée par le bien et le
vrai. C’est très exactement ce que disait Pie IX en citant
le pape saint Innocent I (pape de 401 à 417) : « il n’y a rien de plus
mortel, rien qui nous précipite autant dans le malheur, nous expose
autant à tous les dangers, que de penser qu’il nous peut suffire d’avoir
reçu le libre-arbitre en naissant ; sans avoir à rien demander de plus à
dieu ; c’est-à-dire, qu’oubliant notre Créateur, nous renions son pouvoir
sur nous pour manifester notre liberté ».
Le pape ne peut non plus admettre que les droits des parents, le droit
d’instruction et d’éducation « découlent et dépendent » de la loi civile
seule dans la mesure où la famille est, selon la raison même, antérieure
à l’État et tributaire d’abord d’un droit naturel que la loi civile doit
respecter. La Déclaration sur l’éducation chrétienne dira clairement:
« Les parents, parce qu’ils ont donné la vie à leurs enfants, ont la
très grave obligation de les élever et, à ce titre, doivent être
reconnus comme leurs premiers et principaux éducateurs » (n°3).
Par ailleurs, Pie IX défend la liberté de l’Église contestée par des
pouvoirs civils qui prétendent se soumettre, en maints domaines, le
pouvoir ecclésiastique. Le concile Vatican II a réaffirmé avec force la
liberté de l’Église, « sacrée » dit le n°13 qu’il faudrait citer en
entier.
Reste l’épineuse et capitale question de la distinction des pouvoirs qui
n’est peut-être pas suffisamment précisée dans ce texte, pas plus que
dans bien des textes précédents. Pie IX s’insurge contre la séparation
des pouvoirs (conformément à la doctrine constante de l’Église) au nom
de la nécessité de ce qu’il appelle une « mutuelle alliance » et
« concorde ». Il est bien entendu que ces mots ne peuvent cacher une
confusion de pouvoirs légitimement crainte et dénoncée par les sociétés
civiles de l’époque. De nouveau, la possession et la défense des États
pontificaux entretiennent l’ambigüité. A ce point de vue, la perte de
ces États et la réduction à l’État du Vatican actuel seront une très
bonne chose.
En somme, l’attitude de l’Église, de Pie VI à Pie IX peut paraître
défensive. Mais l’opposition de l’Église s’est concentrée sur les
libertés d’expression et de conscience car elles pouvaient entrer en
conflit avec la volonté de Dieu. Il est d’ailleurs apparu
progressivement que la proclamation de 1798, reprise dans les textes
constitutionnels ultérieurs avait bien des intentions et des effets
antireligieux.
\e. L’affirmation des droits : la force suspecte devient libératrice
Le pontificat de Léon XIII (pape de 1878-1903) marque un tournant
important dans l’histoire de l’Église. Non pas que les principes aient
changé mais du fait que Léon XIII va repenser en profondeur la stratégie
de l’Église vis-à-vis des « choses nouvelles ».
d’une part, pour le problème qui nous concerne ici, il définira
clairement, avec une rigueur très philosophique ce qu’est la liberté
dans l’encyclique Libertas praestantissimum (1888) et montrera son
lien nécessaire avec la vérité : « La liberté, bien excellent de la
nature et apanage exclusif des êtres doués d’intelligence, confère à
l’homme une dignité en vertu de laquelle il est laissé entre les mains
de son conseil (Si 15, 14) et devient le maître de ses actes. ». C’est
en fonction de cette relation que le pape fera de nouveau, comme ses
prédécesseurs la critique des libertés « dites modernes » (cultes,
expression, enseignement, conscience) qui veulent faire fi des vérités
surnaturelle et naturelle mais, cette fois, « distinguant en elles le
bien de ce qui lui est contraire, Nous avons en même temps établi que
tout ce que ces libertés contiennent de bon est aussi ancien que la
vérité, et que l’Église l’a toujours approuvé avec empressement et l’a
admis effectivement dans la pratique. »
De plus, conscient « du poids accablant de la faiblesse humaine » et
sachant, à son époque, « à quelles conditions de vie sont
soumis…hommes et choses », le pape déclare que l’Église « tout en
n’accordant de droits qu’à ce qui est vrai et honnête, (…) ne s’oppose
pas cependant à la tolérance dont le pouvoir public croit pouvoir user à
l’égard de certaines choses contraires à la vérité et à la justice, en
vue d’un mal plus grand à éviter ou d’un bien plus grand à obtenir ou à
conserver ». La tolérance
chrétienne n’est donc pas une tolérance doctrinale mais pratique qui
tient compte et des personnes et des circonstances.
d’autre part, dans l’encyclique Rerum novarum (1891), face aux menaces
politiques, économiques et sociales que les doctrines nouvelles
(socialisme et libéralisme), rappellera, par exemple, les « devoirs
mutuels » des ouvriers et des patrons mais affirmera que « les droits
doivent partout être religieusement respectés ». Il citera : « le droit
strict et rigoureux, non seulement de recevoir son salaire, mais encore
d’en user comme bon lui semblera », le droit au juste salaire et à
l’épargne, le « droit de propriété mobilière et immobilière » et ses
limites, « le droit naturel et primordial de tout homme au mariage » et
à la procréation ; il parlera de l’attribution à la famille de « certains
droits et devoirs absolument indépendants de l’État » ; le « droit à
l’existence », au travail, aux secours publics en cas de nécessité, au
respect de son corps et de sa vie religieuse qui doit être primordiale,
à l’instruction religieuse, à un environnement moral sain, au repos.
Sont aussi envisagées les droits particuliers de la femme et de l’enfant
et la nécessité des associations, etc..
Alors que 1789 proclamait les droits d’un individu et que la
Constitution du 3 septembre 1791 proclamait qu’« il n’y a plus ni
jurandes, ni corporations de professions, arts et
métiers », l’encyclique rappelle des droits
sociaux et familiaux fondamentaux.
Pie XI (pape de 1922 à 1939) reprendra tout cela dans Quadragesimo
anno (1931) en l’adaptant aux circonstances nouvelles, quarante ans
après Rerum novarum. Mais il faut noter, dans l’enseignement de ce
pape, deux points très importants qui marqueront désormais
l’enseignement de l’Église.
Tout d’abord, le Souverain Pontife note la convergence de certaines
mesures ou aspirations avec l’enseignement de l’Église : « …les hommes
d’État… ont adopté un grand nombre de dispositions en tel accord avec
les principes et les directives de Léon XIII qu’il semble qu’on les en
ait expressément tirées ». Et plus loin, à propos du socialisme, il
écrit : « On dirait que le socialisme, effrayé par ses propres principes
et par les conséquences qu’en tire le communisme, se tourne vers les
doctrines de la vérité chrétienne et, pour ainsi dire, se rapproche
d’elles : on ne peut nier, en effet, que parfois ses revendications
ressemblent étonnamment à ce que demandent ceux qui veulent réformer la
société selon les principes chrétiens ». L’Église, aura de plus en plus
tendance, et Gaudium et spes consacrera cette perspective, à montrer
que les aspirations des hommes ce temps, leurs revendications les plus
profondes et manifestes, trouveront en réalité dans le message chrétien
leur vraie satisfaction. Une manière de dire que les droits subjectifs
les plus vivement ressentis correspondent à un certains nombre de
valeurs ou de droits objectifs qui sont inscrits dans la nature humaine
telle que Dieu l’a voulue et restaurée dans son Fils.
Deuxièmement, comme Léon XIII face à l’injustice sociale engendrée par
le capitalisme libéral, Pie XI protestera contre l’injustice politique
au nom des droits de la personne. La disparition de la chrétienté sous
les coups de la pensée révolutionnaire a livré l’Europe et puis le monde
à des idéologies destructrices. Le libéralisme avait disloqué les
sociétés, le communisme, le fascisme et le nazisme entreprirent de
recréer un ordre totalitaire. Dans Non abbiamo bisogno (1931), Pie
XI parlera des « droits sacrés et inviolables des âmes et de l’Église »
et de son combat pour « la liberté des consciences » et il précisera:
« non pas (comme certains, par inadvertance peut-être, Nous l’ont fait
dire) pour la liberté de conscience, manière de parler équivoque et trop
souvent utilisée pour signifier l’absolue indépendance de la conscience,
chose absurde en une âme créée et rachetée par Dieu ». Mit brennender
Sorge (1937) dira du nazisme que « dans la vie nationale, il
méconnaît, par l’amalgame qu’il fait des considérations de droit et
d’utilité, le fait
fondamental, que l’homme, en tant que personne, possède des droits qu’il
tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hors
de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les
négliger ». Divini Redemptoris (1937), rappellera les « prérogatives »
(DR) dont Dieu a doté les hommes : « le droit à la vie, à l’intégrité du
corps, aux moyens nécessaires à l’existence ; le droit de tendre à sa fin
dernière dans la voie tracée par Dieu ; le droit d’association, de
propriété, et le droit d’user de cette propriété »
Confronté aussi à l’oubli de Dieu dans les sociétés, au retour du
paganisme et à l’installation de régimes où l’État se substitue au
Tout-Puissant, Pie XII (pape de 1939 à 1958) rappelle dans l’Encyclique
Summi pontificatus (20 octobre 1939) que « là où l’on revendique une
autonomie fondée seulement sur une morale utilitaire, le droit humain
lui-même perd justement dans ses applications les plus onéreuses
l’autorité morale qui lui est nécessaire, comme condition essentielle,
pour être reconnu et pour postuler même des sacrifices ». Il rappellera
également que le Créateur a donné à l’homme et à la famille, par nature
antérieurs à l’État, « des forces et des droits ». Au cœur de la guerre,
le Saint Père énumérera dans son radio-message de Noël 1942 Con sempre
les conditions d’une véritable paix qui ne peut se construire que sur le
respect des « droits fondamentaux de la personne » mais aussi des droits
de la famille, du travailleur et du citoyen, dans la mesure où « à
travers tous les changements et toutes les transformations, la fin de
toute vie sociale reste identique, sacrée, obligatoire : le développement
des valeurs personnelles de l’homme en tant qu’il est image de Dieu ».
L’homme, dira-t-il ailleurs, est « une personne autonome, c’est-à-dire
un sujet de devoirs et de droits inviolables d’où dérive et où tend
toute sa vie sociale ».
d’une certaine manière, on peut considérer que l’encyclique Pacem in
terris (1963) sera l’amplification de cette doctrine. En effet, la
première partie du document s’ouvre sur une référence à l’enseignement
de Pie XII avant de développer « une suite de droits de nature » (n°
12-29).
On sait depuis comment Jean-Paul II s’est fait vraiment aux yeux du
monde entier le champion des droits de l’homme qui sont devenus le thème
majeur de tout son enseignement social.
Ainsi donc, l’Église s’est progressivement rendu compte que la défense
des droits de l’homme importait à sa mission face à l’envahissement du
pouvoir temporel qui empiétait sur ses prérogatives, face à une laïcité
agressive qui retreignait la liberté scolaire et face aux diverses
formes de totalitarisme qui font fi de la dignité, de l’identité et de
la vie humaines.