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iv. Effort philosophique et Révélation

Nous venons de voir, en survol, ce qui fonde la dignité naturelle de l’homme qui se définit comme un être capable de s’autodéterminer, transcendant par rapport à la matière et ouvert à une transcendance que certains disent créatrice. Ces vérités précieuses ont été et sont le fruit de la lente et souvent difficile réflexion des hommes, l’œuvre sans cesse remise en question d’esprits rigoureux que le non-initié a parfois peine à suivre.

Le questionnement philosophique est inéluctable. Tout homme se pose la question de savoir si la vie a un sens et cherche la réponse définitive, la valeur suprême qui enfin le satisfera. En chacun, « ce qui demeure toujours vif est le désir de rejoindre la certitude de la vérité et de sa valeur absolue »[1] même si, à première vue, un certain nombre d’hommes semblent se contenter de la vie « ordinaire », de suivre les chemins offerts par une société et une culture où les interrogations essentielles ont, apparemment, céder la place à l’efficacité, aux plaisirs immédiats et aux conformismes les plus plats : « la nature limitée de la raison et l’inconstance du cœur obscurcissent et dévient souvent la recherche personnelle. d’autres intérêts d’ordres divers peuvent étouffer la vérité. Il arrive aussi que l’homme l’évite absolument, dès qu’il commence à l’entrevoir, parce qu’il en craint les exigences. Malgré cela, même quand il l’évite, c’est toujours la vérité qui influence son existence. Jamais, en effet, il ne pourrait fonder sa vie sur le doute, sur l’incertitude ou le mensonge ; une telle existence serait constamment menacée par la peur et par l’angoisse. On peut donc définir l’homme comme celui qui cherche la vérité »[2].

Certes, ce n’est pas toujours dans une forme strictement philosophique que s’effectue cette démarche mais la philosophie peut certainement aider la recherche et lui donner de la cohérence. Toutefois, le chemin n’est pas simple. Non seulement le langage de la philosophie n’est pas toujours immédiatement accessible mais la diversité des réponses risque de rendre le chemin hasardeux s’il n’est pas balisé⁠[3]. La démarche philosophique assimilée à une méthode ascendante est inévitable, indispensable comme introduction, initiation, préparation ou comme vérification ou confirmation, utile, en tout cas, pour débarrasser le terrain de la pensée des scories idéologiques qui encombreraient la raison. Mais elle est insuffisante.

Nous allons voir que la Révélation (présumée si l’on veut) de Dieu sur lui-même et sur l’homme ne nie certes pas la révélation de l’intelligence mais la confirme, la précise, l’éclaire, l’exalte, d’une certaine manière, et surtout, la complète de manière décisive et inouïe, avec une force et une clarté qui épargnent du temps, de la sueur et ouvrent une perspective insoupçonnée. Il nous faudra moins d’efforts pour sentir⁠[4] la profondeur de la révélation sur l’homme qu’il nous en faut pour découvrir au fil de lectures ardues les quelques vérités énumérées succinctement ci-dessus. « Il a été nécessaire, écrit saint Thomas, (…) pour le salut de l’homme, qu’il y eût, en dehors des sciences philosophiques que scrute la raison humaine, une doctrine différente, procédant de la révélation divine. Le motif en est d’abord que l’homme est destiné à atteindre Dieu selon que Dieu dépasse notre compréhension rationnelle ; car, dit le prophète, « l’œil n’a point vu, ô Dieu, en dehors de toi, ce que tu as préparé à ceux qui t’aiment ». Or, ne faut-il pas qu’avant de diriger leurs intentions et leurs actions vers une fin, les hommes connaissent cette fin ? Une révélation était donc nécessaire, touchant des choses qui confèrent au salut de l’homme et qui dépassent notre humaine raison.

A l’égard même de ce que la raison est capable d’atteindre au sujet de Dieu, il fallait instruire l’homme par la révélation ; car une connaissance rationnelle de Dieu n’eût été le fait que d’un petit nombre, elle eût coûté beaucoup de temps et se fût mêlée de beaucoup d’erreurs. De sa vérité cependant dépend tout le salut de l’homme, puisque ce salut est en Dieu. Combien donc n’était-il pas nécessaire, si l’on voulait procurer ce salut avec ampleur et certitude, de nous instruire des choses divines par une révélation divine ! »[5].

N’oublions pas toutefois que si l’approche théologique, à partir de la Parole de Dieu, est incomparablement plus généreuse que l’approche philosophique, elles ont besoin l’une de l’autre. Jean-Paul II l’a rappelé avec force : « La raison, privée de l’apport de la révélation, a pris des sentiers latéraux qui risquent de lui faire perdre de vue son but final. La foi, privée de la raison, a mis l’accent sur le sentiment et l’expérience, en courant le risque de ne plus être une proposition universelle. Il est illusoire de penser que la foi, face à une raison faible, puisse avoir une force plus grande ; au contraire, elle tombe dans le grand danger d’être réduite à un mythe ou à une superstition. De la même manière, une raison qui n’a plus une foi adulte en face d’elle n’est pas incitée à s’intéresser à la nouveauté et à la radicalité de l’être »[6].

Il n’empêche que le Créateur, mieux que quiconque, peut nous parler de sa créature et que la Révélation nous dit le fin mot de la nature humaine, vu sa dimension spirituelle. Elle éclaire singulièrement l’origine, la fin et la vocation de l’homme. Cet homme doit être considéré dans l’intégralité de son être « unique, complet et indivisible ».⁠[7] Or on ne peut connaître l’homme en niant sa dimension spirituelle et en oubliant que son Créateur connaît mieux que quiconque sa créature. Ainsi, le drame de l’humanisme athée, « c’est le drame de l’homme amputé d’une dimension constitutive de son être propre- sa recherche de l’infini- et ainsi placé en face de la pire réduction de ce même être. (…) Face à tant d’humanismes, souvent enfermés dans une vision de l’homme strictement économique, biologique ou psychique, l’Église a le droit et le devoir de proclamer la vérité sur l’homme, vérité qu’elle a reçue de son Maître Jésus-Christ. (…) Cette vérité complète sur l’être humain constitue le fondement de la doctrine sociale de l ’Église. »[8]


1. Fides et ratio, n°27.
2. Id., n°28.
3. On se souvient de la manière un peu simpliste mais tellement répandue dont Descartes répudie l’étude de la philosophie : « Je ne dirai rien de la philosophie, sinon que, voyant qu’elle a été cultivée par les plus excellents esprits qui aient vécu depuis plusieurs siècles, et que néanmoins, il ne s’y trouve encore aucune chose dont on ne dispute, et par conséquent qui ne soit douteuse, je n’avais point assez de présomption pour espérer d’y rencontrer mieux que les autres ; et que considérant combien il peut y avoir de diverses opinions touchant une même matière, qui soient soutenues par des gens doctes, sans qu’il y en puisse avoir jamais plus d’une seule qui soit vraie, je réputais presque pour faux tout ce qui n’était que vraisemblable » (Discours de la méthode, Livre I). On répond à cela que la diversité, contrairement à ce que pensait déjà Montaigne également, n’est pas nécessairement signe d’erreur. Encore faudrait-il examiner chaque opinion, qui, par ailleurs, peut avoir sa part de vérité ou d’erreur. Que dirait-on du maître qui annulerait toutes les copies de ses élèves sous prétexte que les réponses sont toutes différentes entre elles ?
4. Nous disons « sentir » car la Révélation est tellement riche qu’elle est inépuisable et qu’elle engendre depuis l’origine une exégèse et un commentaire qui seront toujours inachevés.
5. Somme théologique, 1a, qu. 1, art 1.
6. Fides et ratio, n°48.
7. UNESCO.
8. JEAN-PAUL, Puebla, I, 9