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e. La doctrine et les programmes

Le rôle des prêtres est d’abord d’apporter aux laïcs « lumières et forces spirituelles ». Autrement dit, le rôle des clercs (pape, évêques, prêtres et religieux) est de soutenir l’action des laïcs, par le service sacramentel et par l’enseignement. Celui-ci, se limitant, si l’on peut dire, à la doctrine, sociale en l’occurrence, c’est-à-dire à un ensemble de « principes de réflexion », de « normes de jugement » et de « directives d’action »[1]. Aux laïcs de trouver comment appliquer concrètement cette doctrine suivant les situations particulières et changeantes dans lesquelles ils se trouvent. Leur revient donc la tâche d’élaborer des programmes, c’est-à-dire d’inventer les solutions techniques susceptibles de résoudre les problèmes qui se posent dans les différents domaines de l’activité temporelle. Si l’Église hiérarchique, « gardienne des mœurs et de la foi », est bien placée pour réfléchir aux conditions d’une économie conforme aux exigences évangéliques, nul n’est mieux placé que le chef d’entreprise pour appliquer concrètement, de la manière la plus adéquate, ces directives. C’est d’abord une question de compétence.

Il arrivera, tout naturellement, que la même doctrine puisse inspirer des programmes différents. Il n’y a là rien d’étonnant ni de scandaleux si tout se vit dans le dialogue, la charité et la recherche du bien commun. La vision chrétienne des choses inclinera les laïcs « à telle ou telle solution, selon les circonstances. mais d’autres fidèles, avec une égale sincérité, pourront en juger autrement, comme il advient souvent et à bon droit. S’il arrive que beaucoup lient facilement, même contre la volonté des intéressés, les options des uns ou des autres avec le message évangélique, on se souviendra en pareil cas que personne n’a le droit de revendiquer d’une manière exclusive pour son opinion l’autorité de l’Église. Que toujours, dans un dialogue sincère, ils cherchent à s’éclairer mutuellement, qu’ils gardent entre eux la charité et qu’ils aient avant tout le souci du bien commun »[2]. Ainsi, en s’appuyant sur le même droit à la liberté d’enseignement⁠[3], des chrétiens, suivant les circonstances, les opportunités, les traditions, peuvent penser faire vivre l’école catholique à travers un régime de subventions, par la technique du chèque scolaire, une utilisation appropriée de l’impôt ou une privatisation intégrale.

Cet enseignement est traditionnel. Pie X expliquait déjà en son temps qu’« il est aujourd’hui impossible de rétablir sous la même forme toutes les institutions qui ont pu être utiles et même les seules efficaces dans les siècles passé, si nombreuses sont les modifications radicales que le cours des temps introduit dans la société et dans la vie publique, et si multiples les besoins nouveaux que les circonstances changeantes ne cessent de susciter. Mais l’Église, en sa longue histoire, a toujours et en toute occasion lumineusement démontré qu’elle possède une vertu merveilleuse d’adaptation aux conditions variables de la société civile : sans jamais porter atteinte à l’intégrité ou à l’immuabilité de la foi, de la morale, et en sauvegardant toujours ses droits sacrés, elle se plie et s’accommode facilement en tout ce qui est contingent et accidentel, aux vicissitudes des temps et aux nouvelles exigences de la société »[4].

A la suite du Concile, Paul VI aussi attirera l’attention sur la grande diversité des situations dans lesquelles les chrétiens se trouvent placés. « Face à des situations aussi variées, il Nous est difficile de prononcer une parole unique, comme de proposer une solution qui ait valeur universelle. Telle n’est pas notre ambition, ni même notre mission. il revient aux communautés chrétiennes d’analyser avec objectivité la situation propre de leur pays, de l’éclairer par la lumière des paroles inaltérables de l’Évangile, de puiser des principes de réflexion, des normes de jugement et des directives d’action dans l’enseignement social de l’Église (…). A ces communautés chrétiennes de discerner, avec l’aide de l’Esprit Saint, en communion avec les évêques responsables, en dialogue avec les autres frères chrétiens et tous les hommes de bonne volonté, les options et les engagements qu’il convient de prendre pour opérer les transformations sociales, politiques et économiques qui s’avèrent nécessaires avec urgence en bien des cas »[5]. Et, dans le même document, le Saint Père rappellera cet inévitable et nécessaire pluralisme tout en soulignant ses dangers et ses limites : « Dans les situations concrètes et compte tenu des solidarités vécues par chacun, il faut reconnaître une légitime variété d’options possibles. Une même foi chrétienne peut conduire à des engagements différents. L’Église invite tous les chrétiens à une double tâche d’animation et d’innovation afin de faire évoluer les structures pour les adapter aux vrais besoins actuels. Aux chrétiens qui paraissent, à première vue, s’opposer à partir d’options différentes, elle demande un effort de compréhension réciproque des positions et des motivations de l’autre ; un examen loyal, de ses comportements et de leur rectitude suggérera à chacun une attitude de charité plus profonde qui, tout en reconnaissant les différences, n’en croit pas moins aux possibilités de convergence et d’unité. « Ce qui unit les fidèles en effet est plus fort que ce qui les sépare » (GS, 93).

Il est vrai que beaucoup, insérés dans les structures et les conditionnements modernes, sont déterminés par leurs habitudes de pensée, leurs fonctions, quand ce n’est pas par la sauvegarde d’intérêts matériels. d’autres ressentent si profondément les solidarités de classes et de cultures, qu’ils en viennent à partager sans réserve tous les jugements et les options de leur milieu. Chacun aura à cœur de s’éprouver soi-même et de faire surgir cette vraie liberté selon le Christ qui ouvre à l’universel au sein même des conditions plus particulières »[6].

Fidèles aux mêmes principes fondamentaux, les chrétiens peuvent construire des programmes différents non seulement parce que les situations diffèrent dans le temps et l’espace mais aussi parce qu’à la lumière des mêmes vérités, plusieurs solutions concrètes sont possibles. Des associations diverses, toutes chrétiennes d’inspiration, peuvent naître au au gré des sensibilités ou des accentuations. Des chrétiens peuvent très bien ainsi militer au sein de différents partis, à condition, bien sûr, que ceux-ci, dans leurs buts et moyens, n’imposent rien qui soit en contradiction avec le message chrétien⁠[7].


1. PAUL VI, lettre apostolique Octogesima adveniens anniversaria (OA), 1971, n°4.
2. GS, n°43, par. 3.
3. Cf. Déclaration Dignitatis humanae (DH), n°3, 4, 5, 14 ; et surtout Déclaration Gravissimum educationis momentum, sur l’éducation chrétienne, Concile Vatican II.
4. Il fermo proposito.
5. OA, 4.
6. OA, 50.
7. En Belgique, on a vu des chrétiens s’engager dans les rangs du Parti Réformateur libéral (PRL) plutôt qu’au sein du Parti Social Chrétien (PSC). La vérité oblige de dire que certains y ont défendu des principes chrétiens plus fermement et plus efficacement que certains de leurs confrères affiliés au PSC, notamment à propos de la dépénalisation de l’avortement ou du contrat de vie commune.