Le concile Vatican II sera aussi l’occasion, pour l’Église, de développer sa pensée sur la liberté religieuse.
Ce droit formulé de manière solennelle par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (1948)[1] stipule que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seul ou en commun, tant en public qu’e, privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites ». Il est clair que la religion ne peut être confinée au seul domaine privé ; d’autant plus que ce droit est associé à d’autres: liberté d’opinion et d’expression, liberté de réunion et d’association, liberté politique, syndicale, etc. qui, en principe, ne peuvent subir de discrimination en fonction précisément des convictions philosophiques ou religieuses.
C’est face aux totalitarismes modernes que l’Église, au XXe siècle, a développé sa réflexion sur la liberté religieuse, réflexion qui inspira plusieurs artisans de la Déclaration universelle. Pie XI, face au fascisme défend « les droits sacrés et inviolables des âmes et de l’Église » et « la liberté des consciences »[2]. Contre le communisme, il rappellera les « prérogatives » dont Dieu a doté l’homme, c’est-à-dire ses différents droits, et déclarera que la société « ne peut lui en rendre, par principe, l’usage impossible »[3]. Puis, face au nazisme, il proclamera que « l’homme en tant que personne possède les droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hors de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger(…) Le croyant a un droit inaliénable à professer sa foi et à la revivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent difficiles la profession et la pratique de cette foi sont en contradiction avec le droit naturel »[4]. On trouvera ensuite dans l’oeuvre de Pie XII[5] la première déclaration « ecclésiastique » des droits fondamentaux de la personne humaine. Jean XXIII dans Pacem in terris[6] poursuivra cette réflexion qui culminera au Concile, en 1965, dans la déclaration Dignitatis humanae[7].
Ce texte important consacré au « droit de la personne et des communautés à la liberté sociale et civile en matière religieuse » définit plus précisément que la Déclaration de 1948 la liberté religieuse. « Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part tant des individus que des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit, de telle sorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcé d’agir contre sa conscience ni empêché d’agir, dans de justes limites, selon sa conscience, en privé comme en public, seul ou associé à d’autres ». Cette proclamation est essentielle pour au moins deux raisons. Tout d’abord vu qu’elle touche au plus intime de la personne humaine, cette liberté peut être reconnue comme la plus fondamentale, comme le point de départ logique[8] de toutes les autres libertés qui semblent en découler puisque l’homme religieux ou non est un être social qui se prolonge et prolonge ses convictions dans tous les domaines de son existence. Mais cette déclaration est aussi historiquement importante, à une époque où, à côté de l’intolérance traditionnelle de certains militantismes athées, apparaissent des intégrismes et des groupements sectaires nouveaux. C’est pourquoi, vu son objet, elle s’adresse à tous les hommes et à toutes les collectivités, quelles que soient leurs traditions culturelles. C’est pourquoi aussi, avant de développer des arguments théologiques, la déclaration présente une réflexion philosophique qui fonde le droit à la liberté religieuse sur la nature même de l’homme et établit, par le fait même, sa transcendance[9] sur le pouvoir civil. Nous y reviendrons au chapitre suivant.
Ce n’est donc pas un privilège[10] mais un droit universel et primordial que l’Église invoque et en vertu duquel « il est juste qu’elle puisse partout et toujours prêcher la foi avec une authentique liberté, enseigner sa doctrine sociale, accomplir sans entraves sa mission parmi les hommes, porter un jugement moral, même en des matières qui touchent le domaine politique, quand les droits fondamentaux de la personne ou le salut des âmes l’exigent, en utilisant tous les moyens, et ceux-là seulement, qui sont conformes à l’Évangile et en harmonie avec le bien de tous, selon la diversité des temps et des situations »[11].