⁢i. La doctrine sociale de l’Église

Un fait.

Il est nécessaire de se demander si l’Église a le droit de s’exprimer sur des questions politiques, sociales, économiques, voire culturelles, mais il faut tout d’abord constater l’existence, depuis longtemps, d’un souci pour les « problèmes » du monde qui s’est traduit, en particulier, depuis le XIXe siècle, par ce qu’on a appelé, très souvent, la doctrine sociale de l’Église.

Dès l’origine et au fil des siècles, non seulement le Magistère mais aussi les Pères de l’Église, des théologiens se sont penchés sur la société et ont développé un certain nombre d’idées, de recommandations ou d’interdictions pour orienter la vie des citoyens et la conformer le mieux possible à l’idéal évangélique. Ainsi, très tôt, trouve-t-on des textes très engagés et courageux sur la destination universelle des biens et le droit des pauvres, l’esclavage, les rapports entre l’Église et le pouvoir politique, l’usure⁠[1]. Conciles, décrets et bulles⁠[2] officialisent les principes. Au XIIIe siècle, Thomas d’Aquin commente la Politique d’Aristote, médite sur l’exercice du pouvoir politique dans le De regno ad regem Cypri, et, dans la Somme théologique, développe un traité de la justice et des lois. De même, deux siècles plus tard, dans l’ouvrage homonyme d’Antoine de Florence, nous trouvons une vue globale de la vie économique, Eugène IV publie une bulle sur la traite des noirs, Callixte III s’attaque à l’usure. Au XVIe siècle, éclairé entre autres par la Très brève relation de la destruction des Indiens de Bartolomeo de Las Casas, le grand théologien Francisco de Vitoria, dans ses Leçons sur les Indiens et sur le droit à la guerre, jette les bases du droit international, et du droit à la liberté religieuse tout en éclairant ce que doivent être les justes rapports entre le pouvoir du pape et de l’empereur. Les problèmes étant récurrents puisque les hommes, de génération en génération, restent pécheurs, Léon X revient sur la question de l’usure. Au XVIIe siècle, Francisco Suarez (De legibus), Robert Bellarmin traiteront de questions « politiques ». Le pontificat de Benoît XIV (1740-1758) est riche en enseignements sociaux : Immensa pastorum (la question raciale), Acerbi plane (la destination universelle des biens), Vix pervenit (l’usure), Ex commissio nobis (le droit des pauvres). A la fin du siècle, Pie VI lance son fameux bref⁠[3] Quod aliquantum sur les droits de l’homme et les rapports entre les pouvoirs spirituel et temporel (1791).

Cette courte énumération qui est très loin évidemment d’être exhaustive nous montre qu’en tous temps l’Église a prêté attention aux problèmes du monde. Mais, on ne peut, durant ces dix-huit premiers siècles, parler de doctrine sociale dans la mesure où nous avons affaire, dans tous les cas, à des interventions ou réflexions ponctuelles sur des sujets précis.

C’est au XIXe siècle qu’apparaît la doctrine sociale. d’une part, des événements considérables ont bouleversé l’Europe. Que ce soit la Révolution française ou la révolution industrielle, les sociétés subissent de profondes et douloureuses mutations. Elles ne laissent pas les chrétiens indifférents. Si Pie IX (Quanta cura et le Syllabus) part, en 1864, en guerre contre les nouvelles idéologies, d’autres s’efforcent de repenser la société et de trouver remèdes aux maux qui la déstructurent. Le P. Taparelli d’Azeglio publie un Essai théorique de droit naturel basé sur les faits et un Essai sur les principes philosophiques de l’économie politiques. En Allemagne et en Suisse, Mgr Ketteler et Mgr Mermillod, d’autres ailleurs, réagissent aux graves problèmes que connaît la société. Ils préparent la voie à Léon XIII qui, dans de nombreuses encycliques⁠[4], va constituer la première réflexion synthétique et structurée de l’Église sur la société. Réflexion qui se poursuivra sans discontinuer à partir de cette fondation.

Un enseignement ? Une doctrine ?

Depuis le pontificat fondateur de Léon XIII, les auteurs semblent hésiter sur le nom à donner à cette réflexion plus systématique de l’Église. On a ainsi accolé l’adjectif « social » à « pensée », « discours », « question », « message », « Royauté », « ordre », « catholicisme », « philosophie », « éthique », « morale », « évangile », « magistère », « enseignement », « doctrine »[5]. Dans les textes officiels, ce sont les termes « enseignement » et « doctrine » qui, progressivement, au cours du XXe siècle, se sont imposés.

Certains auteurs font la distinction entre doctrine et enseignement. Ainsi Carlo Caffara considère qu’enseignement social de l’Église désigne « l’ensemble des vérités et normes morales enseignées par le magistère de l’Église et ayant pour objet la nature et l’organisation de la société humaine » tandis que la doctrine sociale chrétienne rassemble les « indications pratiques adressées à ceux qui acceptent l’enseignement social pour les aider à transformer les diverses structures économiques, politiques, etc., de la société »[6]. Mais, dans un texte officiel, les définitions sont inversées : « « Doctrine » en effet souligne davantage l’aspect théorique du problème et « enseignement » l’aspect historique et pratique »[7] !

En fait, comme le précise immédiatement, le document utilisé, les deux termes y sont employés indistinctement car « l’un et l’autre veulent indiquer la même réalité. Leur usage alterné dans le magistère social de l’Église, aussi bien le magistère solennel qu’ordinaire, pontifical et épiscopal, indique l’équivalence réciproque ».

C’est Jean-Paul II, semble-t-il, qui a mis fin aux hésitations en employant les deux mots indifféremment, comme s’ils étaient synonymes, avec une prédilection assez nette pour l’expression, « doctrine sociale »⁠[8].

Des commentateurs récents privilégient les mots « éthique » et « morale », en se référant, implicitement ou explicitement à l’encyclique Centesimus annus (CA)⁠[9] : « L’Église reçoit de la Révélation divine le « sens de l’homme ». « Pour connaître l’homme, l’homme intégral, il faut connaître Dieu », disait Paul VI, et aussitôt après il citait sainte Catherine de Sienne qui exprimait sous forme de prière la même idée : « Dans ta nature, Dieu éternel, je connaîtrai ma nature »[10]. L’anthropologie chrétienne est donc en réalité un chapitre de la théologie et, pour la même raison, la doctrine sociale de l’Église, en s’occupant de l’homme, en s’intéressant à lui et à sa manière de se comporter dans le monde, « appartient (…) au domaine de la théologie et spécialement de la théologie morale »[11] ». Comme ce texte nous le suggère, en classant la doctrine sociale dans la théologie morale, nous pouvons, sans crainte et sans complexe, à l’écoute de ce que l’Église elle-même nous dit, passer d’une appellation à l’autre sans autre intention que de varier le style.

Comment expliquer les hésitations de nombreux auteurs ?

Les hésitations et les tâtonnements dans le choix d’une appellation s’expliquent, sans doute mais en partie, par le fait que d’aucuns contestent à l’Église le droit ou la capacité de développer une doctrine sociale. d’autres répugnent peut-être à utiliser une étiquette qui, à certaine époque, ou sous certaine latitude, a acquis mauvaise réputation⁠[12]. Mais, plus profondément et pour rendre compte des difficultés que les meilleurs auteurs, les plus fidèles à l’Église, ont eues pour nommer cet aspect de son message, il faut se pencher sur la nature particulière de la matière en cause.

La doctrine…​ ?

Comme nous le constaterons, le discours de l’Église sur la société, est à la fois, pour reprendre le distinguo établi par certains, un enseignement et une doctrine. C’est-à-dire à la fois un ensemble de vérités, de principes et des normes pratiques pour incarner ces principes dans la réalité historique toujours mouvante. Ou mieux encore pour reprendre la description du cardinal Ratzinger : des principes fondamentaux, des critères de jugement et des directives d’action⁠[13]. « Essentiellement orienté vers l’action, écrit-il, cet enseignement se développe en fonction des circonstances changeantes de l’histoire. C’est pourquoi, avec des principes toujours valables, il comporte aussi des jugements contingents. loin de constituer un système clos, il demeure constamment ouvert aux questions nouvelles qui ne cessent de se présenter (…) »[14].

De plus, si la doctrine sociale parle des « œuvres », ces œuvres ne peuvent se passer de la foi, comme nous le verrons à plusieurs reprises. Comme l’affirme un auteur, « la doctrine sociale témoigne d’un choix radical pour l’amour qui permet, par l’amour, une transformation de l’homme. Si elle implique un changement de certaines pratiques ou structures sociales (que vaut la foi sans les œuvres ? Jc 2, 17), elle suppose, plus radicalement, un changement de l’homme. La mise en application de la doctrine sociale suppose une conversion intérieure, une metanoia radicale. Autrement dit, la doctrine sociale est intrinsèquement spirituelle. Elle parle des œuvres certes, mais aussi de la foi (que valent les œuvres sans la foi ?). De l’action sans doute, mais en même temps de la vie intérieure, de la prière, de l’amour. Pour faire bref, la doctrine sociale est une voie spirituelle (d’où, à nouveau, on sent combien il importe de nuancer le mot « doctrine » pour l’admettre ici »[15]. La conjugaison entre les œuvres et la foi, entre le temporel et le spirituel, n’exclut pas, nous verrons pourquoi, la collaboration avec les incroyants ou des personnes appartenant à d’autres religions mais elle montre qu’aucun mot ne peut rendre compte exactement de la nécessité de considérer cette « matière » comme faisant partie intégrante du message chrétien. En effet, « la doctrine sociale, aujourd’hui surtout, s’occupe de l’homme en tant qu’intégré dans le réseau complexe de relations des sociétés modernes. Les sciences humaines et la philosophie aident à bien saisir que l’homme est situé au centre de la société et à le mettre en mesure de mieux se comprendre lui même en tant qu’« être social ». Mais seule la foi lui révèle pleinement sa véritable identité, et elle est précisément le point de départ de la doctrine sociale de l’Église qui, en s’appuyant sur tout ce que lui apportent les sciences et la philosophie, se propose d’assister l’homme sur le chemin du salut »[16]. Il ressort de cette description que cette doctrine peut séduire l’intelligence et qu’elle peut être, par le fait même, un instrument de dialogue entre chrétiens, avec les non-chrétiens et les athées. Mais en même temps, sous peine de déformation et d’inefficacité, elle ne prend son sens véritable et n’acquiert sa force transformatrice que sous l’éclairage de la foi en un Dieu qui crée, aime et sauve. Comme nous le verrons au dernier chapitre, « pour que la société humaine présente avec la plus parfaite fidélité l’image du Royaume de Dieu, le secours d’en haut est absolument nécessaire »[17].

…​ sociale…​ ?

Si le mot doctrine a fait difficulté, l’adjectif « social », lui, se retrouve presque partout. Mais, quel sens lui donner ? La restriction de sens la plus forte consiste à réduire l’action sociale chrétienne aux « bonnes œuvres ». L’action sociale ne serait que ce qu’on appelle habituellement une action caritative. Certes, les pauvres - et le sens de ce mot est plus complexe qu’on ne le pense - occupent une place centrale dans le souci de l’Église. Mais la « charité » n’est pas un substitut de la justice. M. Schooyans⁠[18] a dénoncé cette dérive qui n’est pas neuve : « Le XVIIe siècle avait déjà vu fleurir une conception de l’éducation et de la vie chrétienne tendant à prôner les observances et à recommander les bonne œuvres. C’est l’époque où certains théologiens développent une morale de tendance privatisante, assez déconnectée des dévotions et du dogme. L’éducation à la justice sociale est laissée dans l’ombre ; curieusement, les requêtes de cette justice sont jusqu’à un certain point rendues moins perceptibles en raison de l’insistance sur la nécessité des bonnes œuvres. L’influence durable de Molina (1535-1600), théologien jésuite, doit être rappelée ici. Sa doctrine accentue le rôle de la liberté individuelle, imprimant une orientation correspondante à toute une conception de la pédagogie chrétienne, et par là, à la vie publique (…). »

Or, et de manière très nette, le Concile Vatican II a affirmé qu’« il faut satisfaire d’abord aux exigences de la justice de peur que l’on offre comme don de la charité ce qui est déjà dû en justice »[19]. Bien des pauvretés (la faim, la chômage, la drogue, le décrochage scolaire, l’immigration, la violence, la prostitution, etc.) sont souvent les conséquences de désordres économiques, sociaux, politiques, internationaux. Vis-à-vis de ces problèmes, les « bonnes œuvres » pourront apparaître comme insignifiantes voire hypocrites car l’aumône peut être un alibi qui vous libère de réformes plus radicales. Comme le dit encore Michel Schooyans, l’aide internationale, par exemple, n’est le plus souvent, qu’une « feuille de vigne » qui camoufle le jeu des intérêt⁠[20].

Si la charité ne peut remplacer la justice, la justice ne peut être séparée de la charité. Non seulement la justice sans charité, nous le verrons, devient vite injustice mais, de plus, bien des misères ne peuvent être atteintes que ponctuellement et personnellement car elles échappent aux structures. Par ailleurs, aucune loi ne peut vraiment y guérir la pire des misères qui est spirituelle. Ainsi, peu après la fin de la première guerre mondiale, Pie XI écrivait : « Fidèles à Notre mission, Nous eûmes, auprès des conférences où les États vainqueurs débattaient le sort des peuples, à défendre la cause de la charité en même temps que de la justice, surtout en les priant d’accorder la considération qu’ils méritent aux intérêts spirituels dont la valeur n’est pas inférieure mais supérieure à celle des intérêts temporels »[21]. C’est peut-être ce souci qui a poussé le même pontife à parler de « charité politique » : « Le domaine de la politique, qui regarde les intérêts de la société tout entière…​ est le champ le plus vaste de la charité, de la charité politique, dont on peut dire qu’aucun autre ne lui est supérieur, sauf celui de la religion »[22].

L’expression reprise notamment par Jean-Paul II⁠[23] a aussi le mérite de faire entendre que le mot « social » ne peut pas être non plus réduit au domaine étroit de la « question sociale ». Certes, Léon XIII dans Rerum novarum (RN)(1891) se penche sur la condition des ouvriers à la fin du XIXe siècle mais ses réflexions touchent tout naturellement à tous les aspects de la vie en société car la situation dramatique d’une frange importante de la population a des causes économiques, politiques, morales et religieuses. La réflexion de l’Église s’est d’ailleurs très vite élargie de manière explicite et délibérée à une foule de nouveaux problèmes qui touchent la vie des hommes en société. Si depuis le commencement, la doctrine sociale de l’Église a réfléchi sur les idéologies, la démocratie, l’origine du pouvoir civil, les relations Église-État, progressivement son attention s’est portée sur les media, le développement des peuples, l’endettement international, l’environnement, etc.. Depuis le concile Vatican II, le problème de la culture a été de plus en plus présent dans l’enseignement chrétien à tel point que certains ont pu penser qu’un jour l’Église développerait, à côté de sa doctrine sociale, une doctrine culturelle.

…​ de l’Église ?

Nous poserons au point C la question fondamentale de savoir pourquoi l’Église se penche sur les questions sociales et si elle a le droit de le faire mais, à cet endroit, notons simplement qu’il vaut peut-être mieux parler de doctrine sociale de l’Église que de doctrine sociale chrétienne. Non pas que cette dernière expression doive être bannie. Une fois encore, ne nous enfermons pas dans une querelle de mots que l’Église elle-même évite mais, comme nous allons le voir, en étudiant les sources de cette doctrine, la référence à l’Église évite bien des ambiguïtés.


1. C’est le cas, par exemple, chez Clément d’Alexandrie, Basiule le Grand, Grégoire de Naziance, Grégoire de Nysse, Jean Chrysostome, Ambroise de Milan.
2. La bulle est une boule de métal attachée à un sceau et, par extension, le sceau lui-même. On finit par appeler bulle une lettre patente du pape portant son sceau.
3. Le bref est une courte lettre officielle du pape.
4. Quod apostolici muneris (1878) (le socialisme et le communisme), Arcanum divinae sapientiae (1880) (la famille), Diuturnum illud (1881) (l’origine du pouvoir civil), Immortale Dei (1885) (les relations Église-État), Libertas praestantissimum (1888) (la liberté), In plurimis (1888) (l’esclavage), Sapientiae christianae (1890) (les devoirs civiques des chrétiens), *Rerum novarum* (1891) (la question sociale), Au milieu des sollicitudes (1892) (les formes de gouvernement), Custodi (1892) (l’argent occulte), Graves de communi (1902) (la démocratie chrétienne), etc..
5. On trouve aussi « exigences chrétiennes », « cité nouvelle ».
6. In Distinguer pour justifier : trois notions, Communio, tome VI, 1981, n°2, pp. 26-34.
7. Congrégation pour l’éducation catholique, Orientations pour l’étude et l’enseignement de la doctrine sociale de l’Église dans la formation sacerdotale, 1988, Préliminaires.
8. Pour approfondir cette question, on se reportera aux analyses de HECKEL Mgr Roger : L’emploi de l’expression « doctrine sociale de l’Église », Commission pontificale « Iustitia et Pax », n° 1, 1982, Cité du Vatican, pp. 23-28 ; Le statut spirituel de l’exigence sociale, Communio, op. cit., pp. 23-24. Dans Centesimus Annus (n°2), Jean-Paul II écrit : « La commémoration que l’on fait ici concerne l’encyclique de Léon XIII, et, en même temps, les encycliques et les autres documents de mes prédécesseurs qui ont contribué à attirer l’attention sur elle et à développer son influence au long des années en constituant ce qu’on allait appeler la « doctrine sociale », l’« enseignement social » ou encore le « magistère social » de l’Église ».
9. 1991, n° 55.
10. Homélie lors de la dernière session publique du Concile oecuménique Vatican II (7 décembre 1965).
11. SRS, n° 41.
12. Nous en reparlerons dans le dernier chapitre.
13. Instruction sur la liberté chrétienne et la libération (Libertatis conscientia), Congrégation pour la Doctrine de la Foi, 1986, 72-76. Le document précise, en faisant court, que ces principes fondamentaux découlant de la dignité de l’homme créé à l’image de Dieu, sont les principes de solidarité et de subsidiarité (n°73). Ces principes « fondent des critères pour porter un jugement sur les situations, les structures et les systèmes sociaux » (n°74). Enfin, « les principes fondamentaux et les critères de jugement inspirent des directives d’action : puisque le bien commun de la société humaine est au service des personnes, les moyens d’action doivent être conformes à la dignité de l’homme et favoriser l’éducation de la liberté » (n°76).
14. Op. cit., n° 72.
15. Cf. LE TOURNEAU Philippe, La philosophie sociale de Jean-Paul II, in Jean-Paul II et l’éthique sociale, Ed. universitaires, 1992, p. 70.
16. CA, n° 54.
17. JEAN XXIII, Pacem in terris (PT), 1963, n° 166.
18. In La dérive totalitaire du libéralisme, Ed. universitaires, 1991 ; 2e édition, Mame, 1996, p. 97.
19. Décret sur l’apostolat des laïcs (Apostolicam actuositatem), n° 8.
20. Op. cit., p. 45.
21. Ubi arcano, 1922.
22. Discours à la Fédération universitaire italienne, 18-12-1927.
23. A des parlementaires de Belgique, 19-9-1986.

⁢ii. Les sources de la doctrine sociale de l’Église.

⁢a. La Parole de Dieu

1. qu’entendons-nous par Parole de Dieu ?

Il s’agit de l’Ancien et du Nouveau testament. Il n’est pas question pour les chrétiens d’ignorer l’Ancien Testament sous prétexte que la Nouvelle Alliance annulerait la première. En réalité, beaucoup sont embarrassés par nombre de textes qui leur paraissent en totale opposition avec ce que le Christ a révélé. Or les livres de l’Ancien testament sont aussi « divinement inspirés » et « conservent une valeur impérissable ».⁠[1] « Compte tenu de la situation humaine qui précède le salut instauré par le Christ, les livres de l’Ancien testament permettent à tous de connaître qui est Dieu et qui est l’homme, non moins que la manière dont Dieu, dans sa justice et sa miséricorde, agit avec les hommes. Cres livres, bien qu’ils contiennent de l’imparfait et du caduc, sont pourtant les témoins d’une véritable pédagogie divine. C’est pourquoi les chrétiens doivent les accepter avec vénération : en eux s’exprime un vif sens de Dieu ; en eux se trouvent de sublimes enseignements sur Dieu, une bienfaisante sagesse sur la vie humaine, d’admirables trésors de prières ; en eux enfin se tient caché le mystère de notre salut. »[2] Et le concile nous donne un bon conseil dans notre approche de ces deux Testaments indissociables : « Inspirateur et auteur des livres de l’un et l’autre testament, Dieu les a en effet sagement disposés de telle sorte que le Nouveau soit caché dans l’Ancien et que, dans le Nouveau, l’Ancien soit dévoilé. Car, encore que le Christ ait fondé dans son sang la nouvelle Alliance (cf. Lc 22, 20 ; 1 Cor 11, 25), néanmoins, les livres de l’Ancien Testament intégralement repris dans le message évangélique, atteignent et montrent leur complète signification dans le Nouveau Testament (cf. Mt 5, 17 ; Lc 24, 27 ; RM 16, 25-26 ; 2 Cor 3, 14-16), auquel ils apportent en retour lumière et explication. » ⁠[3]

Rappelons encore que l’Église a condamné ceux qui ont cherché à exclure du canon les textes de l’Ancien Testament tel que nous le connaissons. Gêné par un Dieu qui commande la guerre, Marcion⁠[4], par exemple, au IIe siècle, avait opposé la Loi et l’Évangile, le Dieu de justice et de vindicte de l’Ancien Testament, le Dieu des Juifs et le Dieu de Jésus, Dieu supérieur, Dieu de bonté et de miséricorde. Il rejeta donc tout l’Ancien Testament et ne garda comme Écriture que l’Évangile de Luc débarrassé de ses premiers chapitres et 10 épîtres de Paul. Cette position outrancière hâta l’établissement du Canon des Écritures.⁠[5] En 144, Marcion fut rejeté de la communauté chrétienne de Rome⁠[6] où il s’était établi en 140.

2. La lecture de la Parole n’est-elle pas problématique ?

Jean-Paul II déclare, avec un aplomb qui paraîtra outrecuidant à la plupart, qu’« il n’y a pas de véritable solution de la « question sociale » hors de l’Évangile »[7]. Comment entendre cette affirmation ?

Il va de soi que si l’Église développe une la doctrine sociale comme faisant partie intégrante du message chrétien, c’est que cette doctrine est liée d’une manière ou d’une autre à la Révélation dont l’Église est l’interprète et la gardienne. Partout, il est clairement dit que le « riche patrimoine » de l’enseignement social chrétien a été acquis progressivement en puisant d’abord à la parole de Dieu⁠[8].

Or, Jésus-Christ en fondant l’Église, « ne lui a donné aucun mandat ni fixé aucune fin d’ordre culturel. Le but que le Christ lui assigne est strictement religieux (…). L’Église doit conduire les hommes à Dieu, afin qu’ils se livrent à lui sans réserve (…). L’Église ne peut jamais perdre de vue ce but strictement religieux, surnaturel. Le sens de toutes ses activités, jusqu’au dernier canon de son Code, ne peut être que d’y concourir directement ou indirectement[9] ». La constitution Gaudium et spes qui cite ce texte, précise plus nettement encore que « la mission que le Christ a confiée à son Église n’est ni d’ordre politique, ni d’ordre économique ou social: le but qu’il lui a assigné est d’ordre religieux »[10]. Mais il n’empêche, comme nous le savons, que Gaudium et spes (GS), le plus long des textes conciliaires, est entièrement consacré aux problèmes temporels.

Se pose donc le problème de l’interprétation de la parole de Dieu.

Comment lire la parole de Dieu ?

Quatre lectures me paraissent tout à fait contestables.

a. La lecture littérale. On peut s’attacher à la lettre et appliquer ce qui est dit, tel quel, quand la parole semble avoir une portée sociale, ce qui est le cas en de très nombreux endroits de l’Écriture. C’est la tendance de ceux qu’on a appelés les protestants « sociaux »⁠[11] ou des puritains pour qui la bible est « le code religieux, moral, social, liturgique politique. La Bible dit tout, renferme tout, renseigne sur tout »[12].

Cette tendance ne peut conduire qu’à des aberrations. André Manaranche⁠[13] fait remarquer à juste titre que Jésus est « en amont de l’éthique économique et sociale comme de l’éthique tout court »[14]. Il note que jésus, travailleur à Nazareth, n’a pas enseigné une théologie du travail, qu’il s’en prend au souci de la vie quotidienne (Mt 6, 32-33), qu’il invite à ne pas perdre son temps à des problèmes de propriété, de pouvoir et d’institutions (Lc 12, 14 ; 22, 25-26 ; Mt 17, 27) car les biens matériels ne peuvent remplacer le Royaume (Lc 16, 13). Qui plus est, certaines paraboles peuvent être considérées comme « immorales », que ce soit celle de l’intendant infidèle (Lc 16, 1-8), celle des ouvriers envoyés à la vigne ( Mt 20, 1-16) ou encore celle des talents (Mt 25, 29). Dans l’Ancien Testament, peut-on appliquer telle quelle la condamnation du prêt à intérêt (Ex 22, 24 ; Lv 25, 36 ; Dt 23, 20) sans faire la distinction entre l’usure, le prêt à la consommation et le prêt à la production ? Va-t-on aussi fondre le droit de la guerre sur certaines pratiques, à nos yeux, barbares édictées lois du Seigneur⁠[15] ?

b. La lecture sélective ou orientée. Elle se caractérise par l’identification du message chrétien à une option politique particulière⁠[16]. Longtemps, dans les milieux socialistes, a traîné l’idée que Jésus-Christ était le premier des socialistes. Au XIXe siècle de telles affirmations ne sont pas rares: « Les communistes sont les disciples, les initiateurs et les continuateurs de Jésus-Christ. Respectez donc une doctrine prêchée par Jésus-Christ »[17]. d’autres constatent: « L’Évangile est le véritable et le seul code de la Liberté, de l’Egalité, de la Fraternité et de l’Unité. Il contient tout l’enseignement des grandes choses que la nation révolutionnaire a commencé et finira par réaliser »[18]. Fidel Castro déclarait en 1999: « Jésus est un grand révolutionnaire social »[19].

On sait aussi comment certaines théologies de la libération ont subverti le langage de l’Écriture pour en faire une lecture essentiellement politique à la lumière du marxisme⁠[20].

Par contre, beaucoup considèrent Paul comme un penseur conservateur de l’ordre établi⁠[21]. Face aux revendications, aux contestations de toutes sortes, quelques-uns utilisent les Écritures pour défendre l’ordre établi.

On connaît aussi la démarche suivie par Bossuet dans sa « Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte »[22]. L’auteur se livre aussi à une lecture littérale mais, en plus, orientée. En effet, alors que les grands théologiens de saint Thomas à saint Bellarmin ont, comme nous le verrons, une position très nuancée à propos de la monarchie, le célèbre évêque déclare « la monarchie héréditaire, de mâle en mâle[23], d’aîné en aîné » le meilleur régime. En même temps, il affirme qu’on doit s’attacher à la forme de gouvernement qu’on trouve dans son pays, que si l’autorité royale est sacrée, la personne des rois l’est aussi et qu’ils ont le droit de conquête. Il est clair que Bossuet qui, par ailleurs, bien inspiré par une lecture juste de l’Écriture établit un art politique sain, cherche ici à justifier le régime et le politique de Louis XIV.

La lecture la plus aberrante et la plus partisane a été celle de certains Anglo-saxons, notamment, qui, au XVIIIe et XIXe siècles justifiaient la traite des noirs par la Bible. ils « commettaient un contresens total et faisaient dire au texte sacré ce qu’il ne dit pas. Il n’y a dans l’Écriture aucune malédiction proférée envers une race quelconque, considérée comme telle »[24]. Il faut en effet beaucoup de malhonnêteté intellectuelle ou un aveuglement invincible pour lire dans la postérité de Noé (Gn 10, 1) ou dans le récit de la tour de Babel (Gn XI, 9) une quelconque hiérarchie des races. Il n’empêche qu’en 1772, un certain révérend Thomas Thompson publie une brochure intitulée Comment le commerce des esclaves noirs sur la côte d’Afrique respecte les principes d’humanité et les lois de la religion révélée. En 1852, le révérend Josiah Priest fait paraître A Bible defence of slavery ; enfin, dans son ouvrage intitulé The Negro as a beast or in the image of God, C. Carroll (1900) prétend établir le « preuves bibliques et scientifiques démontrant que les noirs n’appartiennent pas à la famille humaine »[25].

c. La lecture restrictive. Elle mène à croire que la parole de Dieu ne s’adresse qu’à la vie individuelle, privée, spirituelle.

On la trouve chez ceux que Lugan appelait les protestants orthodoxes⁠[26], chez les catholiques individualistes ou libéraux⁠[27] pour lesquels il s’agit de sauver l’âme, voire son âme, chez ceux qu’on pourrait appeler surnaturalistes et qui ne s’attachent qu’aux choses d’« en haut ».

Or comme le fait remarquer Manaranche, si l’Écriture n’est pas un traité de morale personnelle et encore moins un traité de morale sociale, la parole est créatrice de communauté. Avant lui, Lugan avait fait remarquer que, malgré son détachement apparent vis-à-vis des problèmes sociaux, Jésus est « le plus universel docteur social que la terre entendit jamais »[28] car Jésus s’adresse à un être social non à un anachorète ! La conversion doit être totale puisque l’homme est un être de relations.

d. La lecture laïcisée. Elle consiste à vider le message de toute surnaturalité.

J. Maritain⁠[29] accuse ainsi Rousseau d’avoir « dénaturé l’Évangile en l’arrachant à l’ordre surnaturel, en transposant certains aspects fondamentaux du christianisme dans le plan de la simple nature »[30]. Ainsi, la volonté générale toujours infaillible révélée par le vote est nécessairement l’expression de ma vraie volonté. C’est « une transposition absurde du cas du croyant qui, en demandant dans la prière ce qu’il estime convenable, demande et veut cependant avant tout que la volonté de Dieu soit faite »[31]. Quand Rousseau parle de la bonté naturelle de l’homme, il pense « que l’homme a vécu à l’origine dans un paradis purement naturel de bonheur et de bonté, et que la nature elle-même assure désormais l’office que remplissait la grâce dans la conception catholique. (…) Un tel état de bonheur et de bonté, de parfaite justice et d’innocence, d’exemption du travail servile et de la souffrance, est naturel à l’homme c’est-à-dire essentiellement exigé par notre nature »[32]. L’égalitarisme évangélique n’est plus « l’attestation de l’égale dépendance de tous à l’égard d’un même Maître, d’un Dieu transcendant souverainement libre » mais inspire « une égale revendication d’indépendance formulée par tous au nom du dieu immanent de la Nature »[33].

Le Père Sertillanges, dans sa lecture de Marx⁠[34], souligne aussi ce que celui-ci doit aux Écritures mais, pour l’auteur du Capital, l’homme te la nature sont devenus Dieu. La communion est ici réduite aux intérêts matériels, le Royaume n’est que la cité future communiste au terme d’une « rédemption », d’une « résurrection » comme il l’écrit lui-même. Ce que Marx conçoit, commente le Père Sertillanges, « après la réalisation de son communisme idéal, est une parousie laïque ; c’est le Corps mystique du Christ arrivé à son achèvement, c’est-à-dire l’humanité entièrement spiritualisée, quasi divinisée ».

Une lecture prudente.

Bien consciente des difficultés et des dérapages possibles, l’Église nous propose son éclairage. La prolifération, dans la deuxième moitié du XXe siècle, de théologies de la libération qui utilisaient en tous sens les Écritures, fut l’occasion, pour la Congrégation de la Doctrine de la Foi, d’une mise au point fort intéressante⁠[35].

Le document invite à réfléchir à l’aspiration à la libération face aux injustices, aux pauvretés et aux oppressions « à la lumière de la spécificité du message de la Révélation, authentiquement interprété par le magistère de l’Église » (III, 4).

Il apparaît ainsi que « la servitude la plus radicale est la servitude du péché. Les autres formes de servitude trouvent donc dans la servitude du péché leur ultime racine » (IV, 2). Il n’est donc pas possible de réduire le message à un appel pur et simple à l’action politique.

Ainsi, si, dans l’Exode, la libération « est ordonnée à la fondation du Peuple de Dieu et au culte de l’Alliance célébrés au Mont Sinaï (Ex 24) », (…) (elle) ne peut être ramenée à une libération de nature principalement et exclusivement politique » (IV, 3).

Dans les Psaumes, « c’est de Dieu qu’on attend le salut et le remède. Dieu, et non l’homme, a pouvoir de changer les situations de détresse » (IV, 5)⁠[36]. Les Prophètes dénoncent sévèrement les iniquités mais, dans chaque cas, « la justice à l’égard de Dieu et la justice à l’égard des hommes sont inséparables » (IV, 6)

Dans le Nouveau Testament, les exigences précédentes sont « radicalisées, comme le montre le discours sur les Béatitudes[37]. La conversion et le renouvellement doivent s’opérer dans le tréfonds du cœur » (IV, 7). Tout homme devient le prochain et « ceux qui souffrent ou qui sont persécutés sont identifiés au Christ. la perfection que Jésus demande à ses disciples (Mt 5, 18) consiste dans le devoir d’être miséricordieux « comme votre Père esst miséricordieux » (Lc 6, 36) » (IV, 10).

De tout ce qui précède, il ressort que « le péché est le mal le plus profond qui atteint l’homme au cœur de sa personnalité. la première libération, référence de toutes les autres, est celle du péché.

C’est sans doute pour marquer le caractère radical de l’affranchissement apporté par le Christ, offert à tous les hommes, qu’ils soient politiquement libres ou esclaves, que le nouveau testament n’exige pas d’abord, comme présupposé à l’entrée dans cette liberté, un changement de condition politique et sociale » (IV, 12-13).

La vraie révolution

La mise au point de Libertatis nuntius est lourde de conséquences. Il n’est pas question d’y lire un quelconque désengagement par rapport à l’action sociale et politique car si l’Écriture insiste sur le péché ou la vertu personnels, péché et vertu impliquent un être social et ont eux-mêmes des conséquences sociales. Le péché, pour ne parler que de lui, n’est-il pas une rupture avec Dieu et avec les hommes ? La Congrégation pour la doctrine de la foi met en garde contre une réduction laïque des textes sacrés qui nous priverait en fait de la seule force de transformation efficace et respectueuse de la liberté humaine.

La vraie révolution - et j’insisterai continuellement sur ce point - doit se réaliser par l’évangélisation et l’action politique. L’évangélisation doit aller jusqu’à la transformation des réalités temporelles et celle-ci trouvera, par l’évangélisation, ses justifications ultimes et son juste dynamisme.

Certes, Libertatis nuntius va, par la suite, se concentrer sur les lectures marxistes de l’Écriture, il n’empêche que son analyse vaut pour toute politique qui voudrait faire l’économie d’une conversion en profondeur de ses acteurs.

Pour s’en convaincre, on peut lire les conclusions que l’Instruction donne à cet endroit : « On ne saurait (…) restreindre la champ du péché, dont le premier effet est d’introduire le désordre dans la relation entre l’homme et dieu, à ce qu’on appelle le « péché social ». A vrai dire, seule une juste doctrine du péché permet d’insister sur la gravité de ses effets sociaux.

On ne saurait non plus localiser le mal principalement et uniquement dans les « structures » économiques, sociales ou politiques mauvaises, comme si tous les autres maux découlaient comme de leur cause de ces structures, de sorte que la création d’un « homme nouveau » dépendrait de l’instauration de structures économiques et sociopolitiques différentes. Certes, il y a des structures iniques et génératrices d’iniquités, qu’il faut avoir le courage de changer. fruit de l’action de l’homme, les structures, bonnes ou mauvaises, sont des conséquences avant d’être les causes. La racine du mal réside donc dans les personnes libres et responsables, qui doivent être converties par la grâce de Jésus-Christ, pour vivre et agir en créatures nouvelles, dans l’amour du prochain, la recherche efficace de la justice, de la maîtrise de soi et de l’exercice des vertus (Cf. Jc 2, 14, 26).

En posant comme premier impératif la révolution radicale des rapports sociaux et en critiquant, à partir de là, la recherche de la perfection personnelle, on s’engage sur le chemin de la négation du sens de la personne et de sa transcendance, et on ruine l’éthique et son fondement qui est le caractère absolu de la distinction du bien et du mal. d’ailleurs, la charité étant le principe de l’authentique perfection, cette dernière ne faut pas se concevoir sans ouverture à autrui et esprit de service. »

La « politique » chrétienne est donc profondément différente de la pratique politique actuelle qui prétend construire et entretenir, entre le domaine public et le cœur de l’homme, une cloison dont elle régule elle-même l’étanchéité.

La spécificité chrétienne n’a pas échappé au célèbre penseur humaniste Alain⁠[38]. A propos de l’« esprit socialiste », il écrit que celui-ci « cherche toujours à modifier l’ordre humain en le prenant par le bas ou par le dessous. Par exemple, n’attendons point que l’ouvrier ait le goût de l’étude pour lui donner des loisirs ; n’attendons point que l’instruction et la culture de tous réalisent un ordre politique meilleur ; mais faisons agir les intérêts ; changeons d’après cela l’ordre politique ; l’instruction et la culture de tous en résulteront. Il faut d’abord modifier les conditions de travail qui portent tout le reste (…). L’idée chrétienne lui est tout à fait contraire. L’organisation politique est, selon le chrétien, toujours médiocre, souvent mauvaise, parce que l’esprit en chacun marche tête en bas. Il faut premièrement redresser l’individu, afin qu’il juge bas ce qui est bas, et vénérable ce qui est vénérable (…). Tel est le mouvement évangélique, au regard de quoi tout socialisme est un pharisaïsme sauvé »[39].

Même si la description paraît, à certains égards, un peu caricaturale, Alain a parfaitement compris que l’action sociale chrétienne doit, d’une manière ou d’une autre, par un chemin naturel ou surnaturel, tôt ou tard, interpeller la personne au plus profond d’elle-même.

3. La portée sociale et politique des Écritures.

Nous conservons en mémoire tout ce qui a été dit précédemment, persuadés que dans les manifestations de « péché social », « les vraies responsabilités restent évidemment celles des personnes, étant donné que la structure sociale en tant que telle n’est pas le sujet d’actes moraux »[40]. Cependant, comme « le péché personnel a toujours une dimension sociale »[41], il est impensable que les Écritures ne puissent servir à l’élaboration d’une doctrine sociale.

Je ne fais qu’indiquer ici un certains nombres de textes que nous aurons l’occasion d’examiner plus en profondeur par la suite.

Dans l’Ancien testament

Nous verrons que les trois premiers chapitres de la Genèse offrent à la théologie morale des fondements particulièrement féconds. Et, dans l’Exode, les 10 paroles (ou commandements) sont particulièrement riches de conséquences sociales. Il suffit de consulter le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) pour s’en rendre compte⁠[42].

Outre ces deux extraits incontournables, nombreux sont les passages de l’Ancien testament qui nourriront la réflexion de l’Église sur le droit de propriété, ses limites et l’aide due aux pauvres⁠[43]. De leur côté, les prophètes « dénoncent l’hypocrisie d’un culte apparent qui cache l’injustice réelle »[44].

Et dans les Évangiles ?

Jésus, envoyé de Dieu, n’annonce pas une action politique ou sociale ⁠[45] mais un combat intérieur contre les forces du mal. Sa mission est de libérer les hommes du péché. Comme beaucoup de Juifs, à l’époque, attendent un messie temporel qui les délivrera de l’occupant et assurera la suprématie d’Israël, il n’est pas facile de faire comprendre qu’il s’agit d’un appel à un renouvellement spirituel. Jésus, pour faire saisir le vrai sens de sa prédication va utiliser ce qu’on a pu appeler une pédagogie « ascensionnelle » qui part du concret. Ainsi, les auditeurs sont-ils invités à passer du souci du corps au souci de l’âme. Ainsi, le concept de pauvreté évangélique ne renvoie pas seulement à toutes les formes possibles de privations et de frustrations mais il tend, à travers elles, à susciter la disposition spirituelle de détachement, de dépouillement, d’abandon total dans les mains du Père. De même, lorsque Jésus s’en prend aux riches, son intention n’est pas de provoquer une lutte de classes mais d’ébranler ceux qui refusent de redevenir comme de petits enfants qui attendent tout du Père avec confiance. Les pauvres évangélisés sont aussi bien le sourd, l’aveugle, la femme adultère ou la Samaritaine que les « nantis » Nicodème, Zachée ou Joseph d’Arimathie.

Il n’y a pas de message plus universel ni plus puissant que celui de l’Évangile puisque l’appel à la conversion qui le constitue permettra à l’homme qui coopère à la Grâce de pratiquer le premier et le second commandements : « …​Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. (…) Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt, 22 ; 37-39). En effet, la vie intérieure renouvelée par l’Amour s’exprime dans la charité fraternelle qui irradie désormais la vie de toutes les communautés humaines. Certes, comme nous allons le voir, cette charité fraternelle peut être plus ou moins favorisée ou freinée par les conditions juridiques, sociales, économiques, culturelles, dans lesquelles l’homme vit mais il n’empêche que si l’homme ne change pas dans son cœur, aucune réforme de structure, de système ne résoudra la « question sociale ».

L’amour fraternel pratiqué et vivifié par la relation à Dieu source de tout amour, rendrait inutiles bien des réglementations, plus supportables les inévitables malheurs du monde et dissiperait nombre de misères !

La conversion insufflée par l’Esprit nouveau inspire - et tout le Nouveau Testament en témoigne - des vertus⁠[46] dont on devine aisément les conséquences sociales : non seulement les vertus « sociales » de douceur, d’amour de la justice, de miséricorde, de pureté, d’amour de la paix, de patience, de pardon, de courage, d’hospitalité, d’humilité, etc., mais aussi et plus précisément, le respect de soi, du prochain et de la femme, l’indissolubilité du mariage et le respect mutuel des époux, le rôle fondamental de la mère et l’importance de la paternité, l’obéissance du serviteur et le devoir des maîtres, l’origine et le sens de l’autorité, les limites du pouvoir civil et l’obéissance civique, la distinction des pouvoirs spirituel et temporel, la condamnation de l’individualisme et l’exaltation de la solidarité, la dignité du travail et le juste salaire.


1. Constitution dogmatique sur la révélation divine, Dei Verbum, 1965, n° 14.
2. Id., n° 15.
3. Id., n° 16. Rappelons-nous la belle formule de Pie XI : « Il n’est pas possible aux chrétiens de participer à l’antisémitisme […​] Nous sommes spirituellement des sémites ». (Déclaration à un groupe de pèlerins de la Radio catholique belge le 6-9-1938, in DC, t. 39, 1938, col. 1460). Ou, plus près de nous, cette déclaration du pape Jean-Paul II lors de sa visite à la Synagogue de Rome, en 1986: « L’Église du Christ découvre son « lien » avec le judaïsme « en scrutant son propre mystère » (cf. Déclaration sur les relations de l’Église avec les religions non chrétiennes, Nostra Aetate, 1965, §4). « La religion juive ne nous est pas extrinsèque, mais, en un certain sens, elle est « intrinsèque » à notre religion. Nous avons donc, à son égard, des rapports que nous n’avons avec aucune autre religion. Vous êtes nos frères préférés et, dans un certain sens, on pourrait dire nos frères aînés. » (Cf. DC 1986, pp. 433-439).
4. 85-160.
5. Canon signifie, suivant son étymologie, « règle », « norme ». Un écrit canonique est un écrit régulateur, qui fait autorité. Chez les Juifs, l’établissement du canon fut l’objet de discussions et de variations qui s’étendirent du Ve siècle av. J.-C. jusqu’au début du IIe siècle ap. J.-C. environ. Ce canon hébraïque, rabbinique, palestinien, dit-on aussi, était toutefois plus restrictif que le canon en vigueur dans le judaïsme hellénistique, dans ce qu’on a appelé la « Septante » qui fut traduite, semble-t-il, par des Juifs égyptiens à la fin du IIIe siècle av. J.-C..
   Chez les chrétiens, la genèse du canon fut aussi un peu mouvementée. Dès le début du IIIe siècle, Origène atteste une liste complète du Nouveau Testament et, avec des nuances, la liste « large » du judaïsme hellénistique alors que saint Jérôme (347-419) exclut de l’Ancien Testament les textes qui ne sont pas reconnus par les docteurs juifs. Les conciles de Carthage (393 et 402) ainsi qu’Innocent Ier (405) suivront la voie d’Origène. mais, du haut moyen-âge jusqu’au XVIe siècle, l’influence de saint Jérôme relance la question des textes exclus de la Bible hébraïque (qu’on appellera deutérocanoniques ou apocryphes et qui se trouvent mis à part dans la TOB) : la Vulgate attribuée en grande partie à saint Jérôme (IVe-Ve s.), Thomas d’Aquin, le concile de Florence (1441) puis le Concile de Trente (1546) les incluent tandis que les protestants les excluent avec des nuances. Les Églises orthodoxes et orientales ont encore d’autres positions.
   Il avait été auparavant, vers 135, excommunié pour immoralité par son père qui était évêque de Sinope (port sur la mer Noire). Saint Polycarpe, évêque de Smyrne, qui l’avait rencontré à Rome, lui déclara: « Je reconnais en toi le premier-né de Satan ». Le fait est raconté par saint Irénée qui fut le disciple de Polycarpe et qui souligna « dans toute son oeuvre, l’unité du dessein de Dieu à travers les alliances successives. » 'Cf. Ed. Cothenet, Marcion, in Rel et Lacoste).
6. Il avait été auparavant, vers 135, excommunié pour immoralité par son père qui était évêque de Sinope (port sur la mer Noire). Saint Polycarpe, évêque de Smyrne, qui l’avait rencontré à Rome, lui déclara : « Je reconnais en toi le premier-né de Satan ». Le fait est raconté par saint Irénée qui fut le disciple de Polycarpe et qui souligna « dans toute son oeuvre, l’unité du dessein de Dieu à travers les alliances successives. » 'Cf. Ed. Cothenet, Marcion, in Rel et Lacoste).
7. CA n°5.
8. Cf. Congrégation pour l’éducation catholique, Orientations pour l’étude et l’enseignement de la doctrine sociale de l’Église, 1989, Préliminaires, n°1.
9. PIE XII, Discours à un groupe d’archéologues et d’historiens, 9-3-1956.
10. GS 42, par.2.
11. A. Lugan, entres autres, a analysé ces dérives in L’enseignement social de Jésus-Christ, I Les grandes directives sociales, Marcel Girard et Cie, 1921.
12. VACANT, MANGENOT et AMANN, Dictionnaire de théologie catholique, Letouzey, 1936 (Vacant). On peut ranger dans cette tendance, les protestants américains, fondamentalistes ou créationnistes qui jadis faisaient étudier le livre de la Genèse comme un texte scientifique jusqu’à ce que la Constitution le leur interdise. Ils poursuivent aujourd’hui encore leur action en tentant de faire exclure des programmes publics la théorie évolutionniste de Darwin. Son enseignement fut interdit dans le Tennessee de 1925 à 1990. En septembre 1999, le Conseil pour l’éducation du Kansas décidait d’éliminer toute référence à la théorie de Darwin, des programmes d’examen des écoles publiques (cf. Dieu ou le gorille, il faut choisir, in Dimanche, 3-10-1999).
13. In Y a-t-il une éthique sociale chrétienne ? Seuil, 1969, pp. 98-124.
14. Op. cit., p. 111.
15. Dt 20, 10-19, par exemple. Les puritains qui quittent l’Angleterre au XVIIe siècle pour l’Amérique s’identifient aux Hébreux fuyant l’Égypte vers la terre promise. Comme les Hébreux, ils devront combattre les peuplades qui occupent leur nouvelle patrie. Il en fut de même lors de l’installation des Boers en Afrique australe.
16. « L’Évangile, écrit Paul VI, n’est pas dépassé parce qu’il a été annoncé, écrit, vécu dans un contexte socio-culturel différent. Son inspiration, enrichie par l’expérience vivante de la tradition chrétienne au long des siècles, reste toujours neuve pour la conversion des hommes et le progrès de la vie en société, sans que pour autant, on en vienne à l’utiliser au profit d’options temporelles particulières, en oubliant son message universel et éternel » (Octogesima adveniens, 3).
17. Etienne Cabet (1788-1856) cité par COMBY Louis, Le socialisme des origines au Front populaire, in Les dossiers de l’histoire, oct. nov. déc. 1975, p. 29.
18. In L’Atelier, Organe des intérêts moraux et matériels des ouvriers, (1840-1850)( de tendance chrétienne), cité par Louis Comby, op. cit., id.
19. Cité in Dimanche, 14-11-1999.
20. Libertatis nuntius, op. cit., chap. VI-X.
21. Paul peut donner cette impression car il prêche le respect de l’ordre établi, la soumission aux autorités, l’obéissance de l’esclave, de la femme. Mais, comme l’a montré A. Manaranche (op. cit., pp. 121-122), Paul refuse en fait tout conditionnement et manifeste « un goût farouche pour la liberté », liberté qui est intérieure. Ainsi, « par le Christ, Paul pulvérise du dedans toutes les contraintes dans lesquelles il se trouve ». Cette liberté intérieure doit évidemment porter des fruits à l’extérieur comme on le voit dans l’épître à Philémon où Paul plaide pour l’esclave Onésime. Celui-ci avait quitté son maître en emportant sans doute des objets de valeur. Converti par Paul, Onésime était disposé à reprendre du service auprès de son ancien maître auquel l’apôtre écrit : « Sans doute n’a-t-il été temporairement séparé de toi que pour t’être rendu à jamais, mais non plus comme un esclave, bien mieux qu’un esclave, comme un frère très cher, surtout à moi, mais bien plus encore à toi, selon les liens du monde comme selon le Seigneur. Si donc tu me tiens pour ton ami, accueille-le comme si c’était moi-même. S’il t’a fait quelque tort, s’il te doit quelque chose, porte-le-moi en compte. (…) Je suis persuadé que tu feras même plus que je ne te demande » (15-21). Dans 1 Co 11, 17-34, Paul « souligne avec force le lien qui existe entre la participation au sacrement de l’amour et le partage avec le frère qui est dans le besoin » (Instruction Libertatis nuntius, 1984, (IV, 11)
22. Cf, par exemple, l’édition critique pubiée chez Droz en 1967.
23. Il n’est pas pensable que le « sexe qui est né pour obéir » exerce le pouvoir (Livre second, onzième proposition) !
24. CONGAR Y., L’Église catholique devant la question raciale, UNESCO, 1953, p. 31.
25. « Tous les travaux scientifiques, écrit-il, montrent avec évidence que leur constitution est parfaitement simiesque » (cf Juan Comas, Les mythes raciaux, in Le racisme devant la science, Unesco, 1960, p. 28). Dans le même ouvrage collectif, sous la plume de Kenneth Little (Race et société, op. cit., p. 71), on peut lire que les campagnes sud-africaines furent colonisées par des « hommes qui possédaient en commun un code éthique et une idéologie profondément enracinés dans la tradition calviniste de l’Europe du XVIIe siècle. la doctrine de la prédestination et l’idée de la damnation éternelle et du salut réservé aux élus constituaient des éléments de leur patrimoine auxquels ils tenaient particulièrement. Le pionnier-cultivateur en vint ainsi à considérer que son appartenance religieuse constituait un privilège exclusif qui le plaçait à une distance infinie du reste de l’humanité et lui donnait le droit de dominer ceux qui na faisaient pas partie de son groupe, à savoir les Bantous païens contre lesquels il luttait et les Bushmen primitifs qu’il traquait comme des bêtes nuisibles. »
26. Rappelons que l’analyse de Lugan s’appuie sur la situation du christianisme au début du XXe siècle. Comme nous le verrons, en étudiant l’aspect œcuménique de la doctrine sociale, la position protestante est, aujourd’hui, bien plus nuancée et prometteuse de féconds rapprochements et collaborations.
27. Je pense notamment à ces catholiques trop nombreux qui se montrèrent hostiles à Léon XIII et à son enseignement.
28. Op. cit., p. 18.
29. Trois réformateurs, Plon-Nourrit, 1925.
30. Op. cit., p. 204.
31. Id., p. 193.
32. Id., p.206-207.
33. Id., p. 209.
34. Le christianisme et les philosophes, Les temps modernes, Aubier, 1941, pp. 217-224.
35. Instruction sur Quelques aspects de la théologie de la libération (Libertatis nuntius) (LN), 1984. Cette instruction fut suivie en 1986 de la publication d’une autre instruction : Libertatis conscientia (LC) Tur La liberté chrétienne et la libération où la DSE est présentée comme la véritable théologie de la libération.
36. A cet endroit de la Bible, comme à d’autres, l’appel à l’humilité, à se contenter de ce qu’on a, à la patience vis-à-vis des méchants et des injustes semble inviter à accepter l’ordre établi, les hiérarchies traditionnelles et, par là, impliquer de nouveau un certain conservatisme. C’est une telle lecture étroite qui a inspiré la réplique violente mais compréhensible de Marx: « Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l’avilissement de la servilité, l’humilité, bref toutes les qualités de la canaille » (in Sur la religion, Ed. sociales, 1960, pp. 82-83, cité par Manaranche, op. cit.)
37. Lc 6, 20-23 ; Mt 5, 1-11.
38. 1868-1951.
39. ALAIN, Christianisme et socialisme, in Propos, La Pléiade, Gallimard, 1956, pp. 330-331.
40. JEAN-PAUL II, Audience générale, 18 août 1999, DC n°2211, 3 octobre 1999, p. 834. Le Saint-Père cite également l’exhortation apostolique Reconciliatio et paenitentia (n° 16): « Quand elle parle de situations de péché ou quand elle dénonce comme péchés sociaux certaines situations ou certains comportements collectifs der groupes sociaux plus ou moins étendus, l’Église sait et proclame que ces cas de péché social sont le fruit et l’accumulation de nombreux péchés personnels. » Je laisse pour le moment de côté le très grave problème créé par l’interdépendance des systèmes sociaux, économiques et politiques qui multiplie les « structures de péché ». Nous l’aborderons dans le chapitre sur le développement des peuples et dans celui consacré à l’action.
41. Id.
42. Dans la troisième partie : La vie dans le Christ.
43. Tout cela sera développé plus loin. Cf. ANTONCICH Ricardo et MUNARRIZ José Miguel, La doctrine sociale de l’Église, Cerf, 1992, pp. 25-44: le droit de propriété est reconnu ( Ex 20, 15-17 ; Dt 5, 19-21 ; Jr 17, 11) mais il n’est pas absolu car si la propriété est signe des bénédictions de Dieu (Jb 42, 10s ; Gn 13, 2 ; 24, 35 ; 30, 43 ; Dt 8, 7-19), elle doit par là être accessible à tous surtout aux faibles (Dt 27, 19 ; Ex 2, 20 ; Is 1, 23 ; 3, 14 ; Ez 16, 49 ; 22, 29 ; 45, 9 ; Os 12, 8 ; Am 2, 6 ; 4, 1 ; Mi 2, 1 ; 3, 1). Ce droit est aussi limité par l’année sabbatique (Ex 23, 10 ; Lv 25, 3-7 ; Dt 15, 1), l’année jubilaire (Lv 25, 10) et l’obligation d’aider la parenté pauvre (Lv 25, 25s).
44. Antoncich et Munàrriz, op. cit., p. 30. Par exemple : Is 1, 11-17 ; 58, 3-11.
45. Sur cette question, on peut lire les intéressantes mises au point de Marcel Clément, in Le Christ et la révolution, L’Escalade, 1972, en particulier pp. 19-36.
46. Cf. LEFEVRE Luc J., La Cité nouvelle du Christ, Ed. du Cèdre, 1969.

⁢b. Les Pères de l’Église

On appelle Pères de l’Église ces auteurs⁠[1] de l’antiquité chrétienne qui par leurs écrits et par leurs œuvres sont considérés par les chrétiens de toute confession comme des guides autorisés en fonction surtout de leur ancienneté et de leur orthodoxie face aux hérésies. certains furent évêques, papes. L’un ou l’autre fut proclamé docteur de l’Église.

Ils contribuent à l’élaboration de la doctrine sociale de l’Église dans la mesure où, comme on l’a écrit, ils ont jeté les bases solides de ce qu’on pourrait appeler le « droit du pauvre »[2]. Pour eux, la foi ne peut être séparée de la charité envers les pauvres pour qui l’Église a une attention prioritaire. Mais il n’y a pas de charité si la justice n’est pas d’abord pratiquée. Les Pères dénoncent les injustices (l’oppression, le luxe, le salaire insuffisant, l’inégalité, l’esclavage, etc.) et avertissent les riches, pour qu’ils ne se perdent pas, du danger de la richesse. Les Écritures leur enseignent que nous ne sommes pas propriétaires des biens de la création mais administrateurs car ils sont destinés à tous les hommes, fondamentalement égaux et sociaux par nature. La propriété privée est source de graves désordres si elle ne tient pas compte de ces limites importantes qui invitent au partage des biens.

Nous retrouverons ces réflexions au cœur de l’enseignement contemporain lorsque les souverains pontifes aborderont le thème du travail ou du développement des peuples.


1. Par exemple: saint Clément de Rome (Ier siècle), saint Polycarpe (IIe siècle), saint Ambroise (vers 333-397), saint Jean Chrysostome (vers 344-407), saint Basile (330-379), saint Grégoire de Nysse (vers 335-395), saint Augustin (354-430), saint Grégoire de Naziance (vers 330-390), saint Léon le Grand (Ve siècle), etc.. Cf F. Cayré, Patrologie et histoire de la théologie, Tome I, Desclée, 1927.
2. Cf. ANTONCICH et MUNARRIZ, op. cit., pp. 34-37.

⁢c. La raison

a. La philosophie.

De Léon XIII au Concile

Il va de soi que la raison est déjà à l’œuvre dans l’effort théologique qui cherche à réfléchir sur la foi.

Mais, on constate que la philosophie gréco-latine en particulier a été, dès Léon XIII et son encyclique Aeterni patris (1879), un instrument privilégié. A l’instar de saint Thomas d’Aquin qui servira de phare à la plupart des moralistes chrétiens, Léon XIII n’hésite pas à utiliser des concepts essentiels offerts par la pensée païenne comme ceux de « loi naturelle », d’« amitié »[1] ou encore de « justice commutative » et de « justice distributive »[2].

Ainsi, Pie XII n’hésite pas à écrire que la loi naturelle est « le fondement sur lequel s’appuie la doctrine sociale de l’Église »[3]. Jean XXIII, tout comme ses prédécesseurs, en précisera les conséquences et répétera, en philosophe: « Le fondement de toute société bien ordonnée et féconde, c’est le principe que tout être humain est une personne, c’est-à-dire une nature douée d’intelligence et de volonté libre. Par là même, il est sujet de droits et de devoirs, découlant les uns et les autres, ensemble et immédiatement, de sa nature ; aussi sont-ils universels, inviolables, inaliénables »[4].

Dans les documents conciliaires, Dignitatis huamnae[5] élabore, dans la première partie, sa « doctrine générale sur la liberté religieuse » (libertatis religiosae ratio generalis) qui est une approche rationnelle⁠[6] avant de développer, dans la seconde partie « la liberté religieuse à la lumière de la Révélation » (libertatis religiosae sub luce revelationis).

Le Catéchisme de l’Église catholique[7] ne renie pas ce langage et présente la « loi morale naturelle »

Du Concile à Jean-Paul II

Même si, à la suite du Concile et pour les raisons évoquées plus loin, l’approche théologique a été privilégiée, la philosophie n’est pas abandonnée pour autant, comme le prouve le CEC lui-même.

C’eût été étonnant avec un souverain pontife comme Jean-Paul II qui fut lui-même philosophe⁠[8]. Très bon connaisseur de saint Thomas, il va s’intéresser à la philosophie moderne, à Max Scheler (1874-1928) en particulier, et étudier la possibilité d’utiliser certains aspects de la phénoménologie et des philosophies de la subjectivité pour, dans sa mission d’évangélisation, mieux rencontrer la mentalité de l’homme contemporain. Le titre de sa thèse, en 1953, indique déjà clairement son projet : « Considérations sur la possibilité de construire une éthique chrétienne sur les bases du système de Max Scheler »[9]

Les fruits de cette recherche sont connus. Deux livres dont l’un renouvelle l’approche de la morale sexuelle (Amour et responsabilité, Société d’éditions internationales, 1965) et l’autre développe deux concepts fondamentaux dans la réflexion sociale et politique moderne : la participation et la solidarité (Personne et acte, Le Centurion, 1983). Très officiellement, l’encyclique Veritatis splendor (1993) et surtout Fides et ratio (1998) montreront clairement les rapports entre la foi et la raison. Le fruit le plus visible de sa phénoménologie se révèle, dans les discours du Pape : sa sensibilité au vécu des personnes auxquelles il s’adresse, perçu comme de l’intérieur.

b. Les sciences humaines

Pour apprendre aux hommes à vivre le plus fidèlement possible selon l’Évangile dans toutes les situations concrètes, particulières et changeantes de leur vie, à des époques diverses et dans des contextes extrêmement variés, l’Église doit, sous peine d’impertinence et d’inefficacité, étudier la nature des problèmes réels rencontrés par les hommes et les structures précises dans lesquelles ils essayent de vivre. C’est pourquoi l’Église ne peut se passer de l’expérience des hommes, des sciences humaines, de la philosophie et de la tradition qui est la mémoire de l’Église. Comme l’explique très bien la Congrégation pour la doctrine de la Foi⁠[10] : « L’enseignement social de l’Église est né de la rencontre du message évangélique et de ses exigences résumées dans le commandement suprême de l’amour de Dieu et du prochain et dans la justice avec des problèmes émanant de la vie en société. Il s’est constitué comme une doctrine, en usant des ressources de la sagesse et des sciences humaines, porte sur l’aspect éthique de cette vie, et prend en compte les aspects techniques des problèmes, mais toujours pour les juger sous l’angle moral. (…) il requiert la contribution de tous les charismes, expériences et compétences »[11].

Sans cette confrontation, les « politiques » tirées immédiatement et uniquement des Écritures risquent l’utopie ou la récupération partisane. P. de Laubier⁠[12] se montre ainsi, et avec raison, nous semble-t-il, très sévère, pour rester dans le domaine catholique, vis-à-vis du livre célèbre de Bossuet, « Politique tirée des propres paroles de l’Écriture sainte »[13]. Dans la perspective de l’illustre évêque, l’histoire du peuple juif devient le modèle dont les nations chrétiennes doivent s’inspirer. En fait, Bossuet cherche à justifier la monarchie de droit divin de telle manière que le monarque est quasi déifié. Il en résulta un renforcement des tendances gallicanes qui contribuèrent à tarir la réflexion sociale chrétienne au XVIIIe siècle⁠[14], précisément au moment où bouillonnaient de nouvelles théories politiques et sociales. L’espèce de césaro-papisme plus ou moins larvé de l’Église de France au XVIIIe siècle, confondant les pouvoirs temporel et spirituel, a suscité la réaction anti-chrétienne que l’on sait⁠[15].

Le recours aux sciences humaines est assez récent. Certains auteurs ontreproché à Léon XIII cette lacune. Sans mettre en question la qualité et l’intérêt de la philosophie sociale contenue dans RN, L. Duquesne de la Vinelle⁠[16] note que les recommandations concrètes de l’encyclique « auraient sans doute été différentes si elles avaient pu s’appuyer sur une perception moins inexacte et une analyse moins rudimentaire des faits et des problèmes d’organisation économique ». De son côté, Roger Aubert⁠[17] confirme qu’en ce qui concerne les analyses sociologiques, « elles ne sont pas totalement absentes (…) mais elles restent superficielles ».

Progressivement, l’enseignement de l’Église va s’appuyer sur des analyses plus fines des situations en faisant appel à des spécialistes chrétiens ou non.

On constate que Pie XI (QA) ne condamne plus globalement le socialisme comme précédemment mais offre des critères précis qui permettront au lecteur de repérer le type de socialisme qui demeure incompatible avec la vision chrétienne.

Pie XII révèle, dans ses innombrables discours, une connaissance très précise des milieux professionnels auxquels il s’adresse et de leurs problèmes spécifiques.

Paul VI, en 1971, établit clairement le rôle que les sciences humaines peuvent jouer tout en soulignant leurs limites dans la réflexion chrétienne : « Le soupçon des sciences humaines atteint le chrétien plus que d’autres, mais ne le trouve pas désarmé. Car, Nous l’écrivons Nous-même dans « Populorum progressio », c’est là que se situe l’apport spécifique de l’Église aux civilisations : « Communiant aux meilleures aspirations des hommes et souffrant de les voir insatisfaites, l’Église désire les aider à atteindre leur plein épanouissement, et c’est pourquoi elle leur propose ce qu’elle possède en propre : une vision globale de l’homme et de l’humanité » (…). Faudrait-il alors que l’Église conteste les sciences humaines dans leur démarche et dénonce leur prétention ? Comme pour les sciences de la nature, l’Église fait confiance à cette recherche et invite les chrétiens à y être activement présents (GS, 36). Animés par la même exigence scientifique et le désir de mieux connaître l’homme, mais en même temps éclairés par leur foi, les chrétiens adonnés aux sciences humaines ouvriront un dialogue, qui s’annonce fructueux, entre l’Église et ce champ nouveau de découvertes. certes chaque discipline scientifique ne pourra saisir, dans sa particularité, qu’un aspect partiel mais vrai de l’homme ; la totalité et le sens lui échappent. Mais à l’intérieur de ces limites, les sciences humaines assurent une fonction positive que l’Église reconnaît volontiers. Elles peuvent même élargir les perspectives de la liberté humaine plus largement que les conditionnements perçus ne le laissent prévoir. Elles pourraient aussi aider la morale chrétienne, qui verra sans doute son champ se limiter lorsqu’il s’agit de proposer certains modèles sociaux, tandis que sa fonction de critique et de dépassement se renforcera en montrant le caractère relatif des comportements et des valeurs que telle société présentait comme définitives et inhérentes à la nature même de l’homme. Condition à la fois indispensable et insuffisante d’une meilleure découverte de l’humain, ces sciences sont un langage de plus en plus complexe, mais qui élargit, plus qu’il ne comble, le mystère du cœur de l’homme et n’apporte pas la réponse complète et définitive au désir qui monte du plus profond de son être »[18].

Plus nettement encore, Jean-Paul II confirmera : « La doctrine sociale, aujourd’hui surtout, s’occupe de l’homme en tant qu’intégré dans le réseau complexe de relations des sociétés modernes. Les sciences humaines et la philosophie aident à bien saisir que l’homme est situé au centre de la société et à le mettre en mesure de mieux se comprendre lui-même en tant qu’« être social ». Mais seule la foi lui révèle pleinement sa véritable identité, et elle est précisément le point de départ de la doctrine sociale de l’Église qui, en s’appuyant sur tout ce que lui apportent les sciences et la philosophie, se propose d’assister l’homme sur le chemin du salut[19]. …​ la doctrine sociale a une importante dimension interdisciplinaire[20]. Pour mieux incarner l’unique vérité concernant l’homme dans des contextes sociaux, économiques et politiques différents et en continuel changement, cette doctrine entre en dialogue avec les diverses disciplines qui s’occupent de l’homme, elle en assimile les apports et elle les aide à s’orienter, dans une perspective plus vaste, vers le service de la personne, connue et aimée dans la plénitude de sa vocation »[21].

Ainsi, pour bien préparer le centenaire de Rerum novarum, Jean-Paul II a souhaité que s’organise un séminaire où d’éminents économistes du monde entier discuteraient de manière « franche et informelle sur quelques aspects de la relation entre les valeurs éthiques et la réalité économique »[22]. Le colloque eut lieu le 5 novembre 1990 et réunit 15 personnalités de premier plan issues de prestigieuses universités (Stanford, Londres, Louvain, Harvard, Collège de France, Venise, Kiel, Tokyo et Bologne). Parmi elles, un Prix Nobel d’économie (Kenneth J. Arrow) et un ministre polonais (Witold Trzeciakowski)⁠[23].

Il est important de le savoir car l’accusation d’incompétence est aussi récurrente que gratuite⁠[24].

c. L’expérience.

Après avoir évoqué l’apport des sciences humaines, Jean-Paul II ajoute: « A côté de la dimension interdisciplinaire, il faut rappeler aussi la dimension pratique et, en un sens, expérimentale de cette doctrine. Elle se situe à la rencontre de la vie et de la conscience chrétienne avec les situations du monde, et elle se manifeste dans les efforts accomplis par les individus, les familles, les agents culturels et sociaux, les politiciens et les hommes d’État pour lui donner sa forme et son application dans l’histoire »[25].

Cette rencontre entre l’esprit chrétien, d’une part, les conjonctures variées du monde (les « choses nouvelles ») et les tentatives concrètes de remédiation ou d’organisation, d’autre part, a eu lieu dès la fondation de la doctrine sociale chrétienne. Cette constatation doit nous permettre de nuancer aussi la sévérité des auteurs qui se plaignent de la pauvreté de l’analyse sociologique des anciennes encycliques.

Penchons-nous avec Roger Aubert précisément sur la genèse de Rerum novarum[26]. Léon XIII n’est pas un penseur en chambre, coupé de la réalité sociale, enfermé dans un schéma simpliste ou caricatural.

Rerum novarum se situe dans la continuité des documents pontificaux précédents mais il consacre aussi des initiatives doctrinales et pratiques qui n’ont pas attendu que Rome parle pour se développer.

Léon XIII avait été nonce apostolique en Belgique et il s’y était intéressé aux problèmes soulevés par l’industrialisation et l’extension du capitalisme. Il avait lu et médité les oeuvres de Monseigneur von Ketteler (1811-1877), évêque de Mayence, « mon grand prédécesseur » dira le pape. Il suivit aussi les travaux de l’« Union pour les études sociales » qui réunissait à Rome, des personnalités de diverses nationalités, préoccupées par les problèmes sociaux. Parmi elles : Mgr Mermillod (1824-1892), évêque de Genève en exil et futur cardinal. Quand il rentra en Suisse, il constitua l’Union de Fribourg où se rencontrèrent Français, Autrichiens, Italiens, Allemands. Léon XIII fut tenu au courant de leurs réflexions par des rapports qui lui étaient transmis ou lors d’audiences à Rome⁠[27].

Quatre événements vont pousser Léon XIII à intervenir officiellement. Aux États-Unis, en 1887, le cardinal Gibbons (1834-1921) entreprend de défendre auprès du Saint-Office⁠[28], la première organisation ouvrière américaine (« Knights of Labour » : « Les chevaliers du travail ») qui avait été condamnée.⁠[29] En 1889, le cardinal Manning (1807-1892), archevêque de Westminster, apporte son appui à la grève des dockers de Londres. En 1890, Guillaume II décide de réunir à Berlin une conférence internationale du travail. Enfin, et surtout peut-être, naît en 1890 une controverse entre catholiques sociaux. Monseigneur Doutreloux (1837-1901) aidé de l’abbé Pottier (1849-1923), professeur au Séminaire, réunit un Congrès social international⁠[30] où est défendue notamment l’idée de la nécessité d’une intervention de l’État dans la vie économique. Léon Harmel s’opposa à cette thèse tant et si bien que les opposants groupés autour de Monseigneur Freppel, évêque d’Angers, organisèrent, la même année, un autre congrès. Cette dispute entre catholiques bien intentionnés menaçait de se développer. Ce danger incita Léon XIII à trancher et il le fit en publiant Rerum novarum (1891) où il donnait raison, sur plusieurs points importants, à l’Ecole de Liège.

La rédaction d’une encyclique n’est donc pas une pure production intellectuelle, théorique, détachée de la réalité. Même si, en tout cas, à l’époque, l’analyse sociologique paraît insuffisante à nos yeux, le message communiqué n’est pas une simple construction de l’esprit, strictement doctrinale. Elle repose sur d’autres travaux et sur une observation du terrain.


1. Cf. CA, n° 10: « …​le principe de solidarité, comme on dit aujourd’hui, (…) apparaît comme l’un des principes fondamentaux de la conception chrétienne de l’organisation politique et sociale. Il a été énoncé à plusieurs reprises par Léon XIII sous le nom d’« amitié » que nous trouvons déjà dans la philosophie grecque. Pie XI le désigna par le terme non moins significatif de « charité sociale », tandis que Paul VI, élargissant le concept en fonction des multiples dimensions modernes de la question sociale, parlait de « civilisation de l’amour »
2. Voici comment M. Schooyans définit ces notions : la justice commutative « règle les échanges entre particuliers selon l’égalité arithmétique. C’est la justice des contrats, qui ignore les différences de conditions entre les individus. Le juste prix d’un appareil est celui où il y a égalité entre le prix de vente et le prix de revient augmenté d’un bénéfice normal. La justice commutative se retrouve non seulement dans les rapports entre individus, mais aussi dans les rapports entre États.
   La justice distributive règle les rapports entre la société et ses membres et distribue biens, charges et peines proportionnellement aux mérites. A travail égal, un père de famille nombreuse paie moins d’impôts qu’un célibataire. » ( La dérive totalitaire du libéralisme, Mame, 1995, p. 98).
3. Allocution aux participants au Congrès des études humanistes, 25-9-1949.
4. PT, 1963, n° 10. A cet endroit, Jean XXIII renvoie à Pie XII, Radiomessage, Noël 1942, puis, au n° 11, ajoute, en théologien : « Si nous considérons la dignité humaine à la lumière des vérités révélées par Dieu, Nous ne pouvons que la situer bien plus haut encore. »
5. DH, 1965.
6. Avec, en tête, référence à PT, n° 10 et à Pie XII, Noël 1942.
7. CEC, Mame-Plon, 1992, n° 1954-1960.
8. Pour étudier davantage cette question, on peut se rapporter à BUTTIGLIONE Rocco, La pensée de Karol Wojtyla, Fayard, 1982, chapitres 3, 4 et 5 ; ou à JOBERT Dom Philippe, Iniciacion a la filosofia de Juan Pablo II, in Tierra nueva, n° 47, octubre de 1983, pp. 5-25.
9. Cette thèse fut publiée en polonais en 1959 et en italien en 1980.
10. Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, op. ct., n°72.
11. Id., op. cit. n° 72. Cf. également Gaudium et spes (GS), 43, par. 6: « Pour développer ses rapports avec le monde, l’Église sait également combien elle doit continuellement apprendre de l’expérience des siècles ».
12. in Pour une civilisation de l’amour, Le message social chrétien, Fayard, 1990, pp. 147 et svtes.
13. Accessible dans l’édition critique parue chez Droz, Genève, 1967.
14. Une pensée sociale catholique s’est développée au XVIIe siècle à partir de principes qui fondent encore aujourd’hui la doctrine sociale de l’Église mais elle fut le fait d’écrivains dont le XVIIIe siècle déforma quelque peu l’image. Cf. CUCHE Fr.-X., Une pensée sociale catholique, Fleury, La Bruyère, Fénelon, Cerf, 1991.
15. Cf., à ce propos, BAUSOLA Adriano, La tradition philosophique européenne, enjeux et défis de la modernité, in Christianisme et culture en Europe, Colloque présynodal, Vatican, 28-31 octobre 1991, Mame, 1992, pp. 45 et svtes.
16. Le marché et la justice, A partir d’une lecture critique des encycliques, Duculot, 1987, p. 15. L’auteur estime que la description de la situation des travailleurs et des classes possédantes est sans nuance (RN, n° 1-2).
17. L’encyclique Rerum novarum, point d’aboutissement d’une lente maturation, in Conseil pontifical Justice et Paix, De Rerum novarum à Centesimus annus, Cité du Vatican, 1991, p. 25.
18. Octogesima adveniens (OA), n° 40.
19. CA, n° 54.
20. Benoît XVI renchérira : « La doctrine sociale de l’Église, qui a « une importante dimension interdisciplinaire », peut remplir, dans cette perspective, une fonction d’une efficacité extraordinaire. Celle-ci permet à la foi, à la théologie, à la métaphysique et aux sciences de trouver leur place en collaborant au service de l’homme. » (Caritas in veritate, (CV) 31).
21. Id., n° 59.
22. MUSU Ignazio and ZAMAGNI Stefano, in Social and ethical aspects of economics, Pontifical Council for Justice and Peace, Vatican City, 1992, p. 7.
23. Id., pp. 145-146.
24. REVEL J.-Fr. dans La connaissance inutile, Grasset, 1988, p. 350, reproche aux évêques américains dans leur Projet de lettre pastorale sur l’économie américaine (DC, 3-2-1985, pp. 191-194) d’affirmer « que la pauvreté n’a pas cessé de s’aggraver aux États-Unis depuis vingt ans, ce qui est tout à fait contraire à toutes les statistiques les plus facilement accessibles ». Ce projet (4 pages) annonce en novembre 1984 une étude qui sera terminée en novembre 1984 (DC, 21-6-1987, pp. 617-681). Non seulement elle s’appuie sur les statistiques officielles du gouvernement américain mais prend la peine d’énumérer les personnes consultées par le comité de la conférence nationale des évêques catholiques. Plus de 150 spécialistes ont été consultés (DC, op. cit., pp. 679-681): économistes, chercheurs, théologiens, de toutes confessions et de tous continents. On peut lire à ce sujet mon article Réponse à J.-Fr. Revel, in Cohérence, n° 70, Janv.-Févr. 1989, pp. 2-8).
25. CA, n° 59.
26. Op. cit., pp. 5-20.
27. Il est sûr aussi que Léon XIII a été interpellé par les pélerinages d’ouvriers (« La France au travail »), organisés par Léon Harmel (1829-1915), pionnier du catholicisme social.
28. La Sacrée congrégation du Saint-Office a remplacé, en 1909, la Sacrée congrégation de l’inquisition romaine et universelle. En 1965, le Saint-Office à laissé place à la Congrégation pour la doctrine de la foi.
29. Cf. THWAITES James D., Travail et syndicalisme : origines, évolution et défis d’une action sociale, PUL (Presses universitaires de Laval), 2007, pp. 93-95.
30. Le premier eut lieu en 1886.

⁢d. Le magistère

Permanences…​

A consulter une liste des documents pontificaux consacrés aux problèmes de la société, on ne peut qu’être frappé par une certaine continuité.

Dans Rerum novarum, la recherche des racines du mal et des remèdes appropriés a été si profonde, si fondamentale que régulièrement, dans des contextes différents, les pontifes ont profité d’une date anniversaire de la publication de la célèbre encyclique pour faire le point sur les problèmes de la société contemporaine. Ainsi en est-il de Quadragesimo anno (QA) de Pie XI (1931), du Radiomessage pour le cinquantième anniversaise de Rerum novarum de Pie XII (1941), de Mater et magistra (MM) de Jean XXIII (1961), d’Octogesima adveniens (OA) de Paul VI (1971), de Laborem exercens (LE) et de Centesimus annus (CA) de Jean-Paul II (1991). Il ne s’agit pas d’entretenir un pieux souvenir comme devant un monument aux morts mais de rappeler régulièrement que les « principes, critères et directives » restent valables puisqu’ils sont enracinés dans la parole de Dieu, construits ou éclairés par les forces limitées mais bien réelles de la raison humaine. Ils n’ont jamais changé et ne changeront pas.

…​ et évolutions.

Toutefois, dans la mesure même où les souverains pontifes reviennent à l’enseignement fondateur de Léon XIII, c’est visiblement parce qu’ils estiment que des éléments nouveaux doivent être pris en considération pour que l’enseignement social de l’Église reste pertinent et efficace face aux sociétés et à leur évolution.

Trois facteurs interviennent dans la modernisation constante de la doctrine sociale que l’Église, jusqu’à la fin des temps, devra réécrire.

Tout d’abord, les temps changent, les hommes modifient les lois et les structures qu’ils créent, leur mentalité, elle aussi, subit des mutations. Le socialisme dont parle Léon XIII dans Quod apostolici muneris (1878) et dans Rerum novarum n’a plus exactement le même visage en 1931 et Pie XI (QA) en tient compte tout en précisant la condamnation du communisme athée (Divini redemptoris, 1937). E ; 1971, Paul VI (OA) doit encore nuancer la pensée de son prédécesseur sur le socialisme.

d’autre part, de nouveaux problèmes apparaissent. Pie XI doit réagir face à l’apparition du fascisme (Non abbiamo bisogno, 1931), du nazisme (Mit brennender Sorge, 1937) ; Paul VI éveille la conscience chrétienne aux « exigences de la justice entre pays inégalement développés » (MM, 1961) ; devant les troubles que jettent dans les esprits certaines théologies de la libération, la Congrégation pour la doctrine de la foi intervient (Libertatis nuntius (1984) et Libertatis conscientia (1986)) ; Jean-Paul II dénonce les excès de la société de consommation et insiste sur la nécessité de l’écologie (CA, 1991). Les crises économiques et financières pousseront Benoît XVI à prendre position dans Caritas in veritate (CV 2009). En 2015, François reviendra sur la crise écologique (Laudato si’)

Enfin, toutes les tribulations du monde réclament et les mutations culturelles, à certains moments, des adaptations pédagogiques. A ce point de vue, le pontificat de Pie XII amorce un tournant dans l’enseignement de l’Église⁠[1]. Jusque là, les papes, tout en proposant la conception chrétienne de la société, ont réagi devant les erreurs diffusées et incarnées durant le XIXe siècle et le début du XXe à propos de l’origine du pouvoir civil (Léon XIII, Diuturnum illud, 1881), des relations entre l’Église et l’État (Léon XIII, Immortale Dei, 1885 ; Pie X, Vehementer nos, 1906 ; Pie XI, Quas primas, 1925), de la liberté (Léon XIII, Libertas praestantissimum, 1888), de l’organisation économique et sociale (RN ; Pie X, Singulari quadam, 1912 ; QA), de la démocratie (Léon XIII, Au milieu des sollicitudes, 1892 ; Graves de communi, 1902), de l’engagement politique des chrétiens (Léon XIII, Sapientiae christianae, 1890 ; Pie X, Lettre sur le « Sillon »), des races (Léon XIII, In plurimis, 1888), de l’argent (Léon XIII, Custodi, 1892), de la guerre (Benoît XV, Ubi primum, 1914 ; Dès le début, 1917 ; Pie XI, Radiomessage, 1938 ; Pie XII, Radiomessage, 1939), des relations internationales (Léon XIII, Praeclara gratulationis, 1894 ; Pie XI, Ubi arcano, 1922), etc..

Pie XII, tout au début de son pontificat, dans l’encyclique Summi pontificatus (1939), dénoncera encore, comme ses prédécesseurs, une fausse conception de l’État mais, par la suite , il s’attachera surtout à jeter les bases d’une construction ou d’une reconstructuion sociale chrétienne. Il n’y aura pas de grande encyclique sociale sous son pontificat mais des centaines de discours très concrets adressés aux catégories professionnelles les plus diverses pour orienter humainement et chrétiennement leurs activités. En même temps, le pape accentue deux thèmes qui deviendront des thèmes majeurs par la suite : la solidarité et les droits de l’homme.

Le Concile Vatican II va poursuivre dans la direction prise par Pie XII et confirmée par Jean XXIII. On constate dans la constitution pastorale Gaudium et spes (GS, 1965)⁠[2] consacrée au rôle de « l’Église dans le monde de ce temps » que la réfutation des erreurs a cédé la place à une approche très positive des problèmes du monde. Attentive aux aspirations des hommes contemporains, l’Église affirme qu’elle peut aider à y répondre et propose ses solutions. En même temps, alors que dans l’enseignement social, depuis Léon XIII, la philosophie était au moins aussi souvent sollicitée que la théologie, cette fois, l’approche théologique l’emporte car l’athéisme ambiant de la deuxième moitié du XXe siècle réclame le rappel des fondements ultimes. Plus que jamais, le lien entre évangélisation et action temporelle a besoin d’être souligné. C’était moins urgent dans des sociétés comme celles du XIXe siècle qui étaient encore très chrétiennes ne fût-ce que culturellement.

Valeur de cet enseignement ?

Quelle autorité attribuer à un enseignement qui compte les deux aspects décrits ci-dessus ? Une réponse récente est donnée dans Centesimus annus : « La présente encyclique, écrit Jean-Paul II, cherche à mettre en lumière la fécondité des principes exprimés par Léon XIII, principes qui appartiennent au patrimoine doctrinal de l’Église et, à ce titre, engagent l’autorité de son Magistère. Mais la sollicitude pastorale m’a conduit, d’autre part, à proposer l’analyse de certains événements récents de l’histoire. Il n’est pas besoin de souligner que la considération attentive de l’évangélisation, relève des devoirs qui incombent aux Pasteurs. Toutefois, on n’entend pas exprimer des jugements définitifs en développant ces considérations, car, en elles-mêmes, elles n’entrent pas dans le cadre du Magistère »[3].

Nous aurons l’occasion d’étudier les principes fondamentaux auxquels Jean-Paul II fait allusion. Principes immuables puisqu’ils découlent de la nature même de l’homme. Ces principes éclairent des situations changeantes, par définition, et connaîtront des incarnations différentes selon les époques et les lieux. Cette réalité montre déjà clairement que la doctrine sociale de l’Église n’appartient pas au domaine de l’idéologie. Nous y reviendrons.


1. Cf. CASTERA B. de, Ouvrez les frontières ! Introduction à la Doctrine Sociale de l’Église, Mame, 1991, pp. 49-50.
2. Nous reviendrons, dans le dernier chapitre, sur la révolution pédagogique de GS.
3. CA, n° 3.

⁢e. Remarques

Une « non-idéologie ».

Le mot « idéologie » est un mot difficile à définir⁠[1]. Dans le vocabulaire courant, il désigne tout simplement, la « doctrine qui inspire ou paraît inspirer un gouvernement ou un parti »[2]. Ce sens général ne soulève évidemment pas de difficultés. Par contre, dans la mouvance marxiste, le mot a pris un sens plus précis. L’idéologie, écrit Engels, est « un ensemble d’idées vivant d’une vie indépendante et uniquement soumis à ses propres lois. Le fait que les conditions d’existence matérielle des hommes, dans le cerveau desquels se poursuit ce processus idéologique, déterminent en dernière analyse le cours de ce processus, ce fait reste entièrement ignoré d’eux, sinon c’en serait fini de toute idéologie »[3]. Très concrètement, Marx et ses disciples visaient « l’ensemble des idées et représentations que la classe dominante produit à partir de sa situation de force, pour défendre ses intérêts de classe et pour consolider sa domination »[4]. A partir de là, idéologie est devenu un terme péjoratif qui désigne un système de pensée qui refuse de voir la réalité dans toute sa complexité, sa diversité, ses changements, voire ses contradictions. Elle simplifie le réel pour qu’il soit conforme aux idées qu’elle s’est forgées a priori ou en ne considérant qu’un aspect des choses. Elle est, par le fait même, imperméable à l’expérience tout en prétendant prévoir et expliquer tous les événements. Enfin, elle a de l’histoire et des êtres, une vision manichéenne : elle incarne le Bien et tout ce qu’elle n’est pas est le Mal⁠[5].

On comprend qu’il est grave alors de présenter la doctrine sociale de l’Église comme une idéologie⁠[6]. Or, tout ce que nous avons vu précédemment prouve le contraire. Le corps de doctrine interpelle l’histoire et se laisse interpeller par elle. Attentive aux signes des temps⁠[7], l’Église invite à examiner de près les idéologies⁠[8]et les événements du monde. Ouverte à l’expérience et aux sciences profanes, la doctrine sociale « n’est pas un discours homogène ; il faut, au contraire, y distinguer divers niveaux, et en reconnaître les composantes qui sont d’inégale importance et d’inégale valeur[9]. Cela tient à la nature même d’un discours pastoral qui suppose un diagnostic portant sur « l’actualité historique » et le souci d’éclairer la pratique. Se vérifie ainsi un va-et-vient entre l’énoncé doctrinal des principes et le jugement pastoral prudentiel ; or qui dit prudence dit nécessairement part de contingence. Mais d’autre part, il n’y a pas de jugement prudentiel qui ne s’appuie sur des principes vrais »[10].

Dans Centesimus annus, Jean-Paul II confirmera : « N’étant pas une idéologie, la foi chrétienne ne cherche nullement _ enfermer dans le cadre d’un modèle rigide la changeante réalité sociale et politique et elle admet que la vie de l’homme se réalise dans l’histoire de manières diverses et imparfaites. Cependant l’Église, en réaffirmant constamment la dignité transcendante de la personne, adopte comme règle d’action le respect de la liberté »[11].

Un instrument de dialogue.

Fruit d’un dialogue entre la foi et la raison, entre la Révélation et le monde, la doctrine sociale de l’Église « a, par elle-même, la valeur d’un instrument d’évangélisation »[12]. Et Mgr Nguyen Van Thuan⁠[13] de préciser encore : « un instrument privilégié du dialogue avec la société nouvelle », et « d’évangélisation », car la doctrine sociale de l’Église « rencontre les personnes dans leur situation concrète de recherche de plus de justice et de vérité ».

Une pédagogie à double sens.

Le lien essentiel et existentiel entre les « œuvres » et la foi peut suggérer que le débat classique entre la méthode « descendante » qui consiste à déduire de la foi les exigences sociales et la méthode « ascendante » qui tente, à partir de la raison d’établir les conditions d’accueil de la foi, est un faux débat. Comme l’écrit Mgr Walter Kasper: « Les deux traditions se retrouvent non seulement dans les documents du Concile, mais également dans l’enseignement de Jean-Paul II »[14]. d’une part, une foi cohérente doit se vivre dans toutes ses conséquences et transformer tous les aspects de l’existence humaine sans exception et d’autre part, l’effort persévérant d’humaniser, le plus pleinement possible, le monde et la société, ne peut être éclairé et soutenu que par la foi. Il n’est pas superflu de rappeler ici que le même problème se pose en morale conjugale. On peut y adhérer, par exemple, pour des raisons économiques ou écologiques ou encore par pure obéissance au Magistère de l’Église. Mais on constatera souvent que sans éclairage théologique, sans prière ni sacrements, cette morale se dessèche en moralisme ou se dissout sous l’action du modèle social ambiant dans la mesure où toute une culture contemporaine érotisée contredit l’attitude recommandée par l’Église.

Depuis Vatican II, l’Église, tout en continuant à garder les deux voies, comme l’écrit Mgr Kasper, a eu tout de même tendance à privilégier la méthode « descendante ». Pour des raisons œcuméniques, nous allons le voir. Pour cause de déchristianisation, nous l’avons déjà dit. Pour s’ouvrir aussi aux cultures qui ont grandi loin des concepts gréco-latins du droit naturel ; que ce soient les cultures non-européennes ou la culture très pluraliste du monde occidental. Enfin, l’Église veut éviter, en commençant par les fondements ultimes, un « consensus minimaliste ».

Si, idéalement, il est souhaitable de faire tout le trajet proposé par la vision chrétienne, dans le sens ascendant ou descendant, il est clair, que dans la réalité, bien des obstacles surgiront et empêcheront de cheminer plus avant. Mais, dans tous les cas, il peut être opportun d’évoquer les conditions de la cohérence chrétienne,

Un dialogue tous azimuts

Il est nécessaire de commencer par rencontrer les préoccupations de son interlocuteur et d’avoir le sens des étapes.

Avec certains, c’est par le biais de la philosophie, des sciences humaines ou, tout simplement, comme cela arrive très souvent aujourd’hui, au cours d’expériences heureuses ou malheureuses que l’échange pourra commencer.

Avec d’autres, c’est l’affirmation de la foi en un Dieu unique ou de la divinité du Christ que le dialogue s’installera.

Nous aurons l’occasion, dans le dernier chapitre, de méditer plus particulièrement la rencontre du message chrétien et du monde dans lequel nous vivons, matérialiste ou livré aux superstitions. C’est pourquoi nous nous bornerons ici à développer un peu les perspectives offertes par le souci social de l’Église d’accentuer le rapprochement entre les Églises chrétiennes.

L’éthique sociale et les Églises protestantes

Roger Mehl⁠[15] a écrit, à l’époque de Jean XXIII, une synthèse éclairante des positions protestantes⁠[16]. Dès l’abord, il souligne très fortement l’« embarras de la conscience chrétienne devant l’éthique sociale »[17] dans la mesure où cette conscience individuelle se sent interpellée au plus profond d’elle-même par un texte sacré qui est le texte de la Bible.

A travers l’histoire, les protestants ont réagi de manières très différentes.

Le piétisme

Le piétisme sépare les deux « règnes », celui de Dieu et celui de César. L’éthique sociale est affaire de césar, c’est-à-dire de l’État. L’Église, quant à elle, est neutre sur le plan économique ou social. elle est confinée dans le souci de l’âme et de la vie privée.

C’est la tendance d’un certain luthéranisme⁠[18] que Mehl critique non seulement sur un plan sociologique en dénonçant l’« idée insoutenable et ruineuse d’une séparation radicale en l’homme entre la personne individuelle et l’être social »[19] mais il s’attaque aussi à cette conception d’un point de vue théologique en rappelant l’« affirmation néotestamentaire de la Seigneurerie du Christ glorifié sur l’Église et sur le monde » ; négliger cela, c’est « aller dans le sens où la sécularisation pousse l’Église »[20].

Le biblicisme naïf

Mehl dénonce également le biblicisme naïf de ceux qui utilisent « tel ou tel verset biblique ou tel ou tel ensemble de versets pour en déduire immédiatement une règle d’action. (…) des préceptes bibliques concrets relatifs à une situation donnée et ayant pour visée la mise en évidence de l’action rédemptrice de Dieu sont transformés en règles universelles d’éthique sociale »[21]. Telle est la tentation d’un certain calvinisme qui, avec de tels principes de lecture, a pris des positions contestables et a privilégié l’Ancien testament au détriment du Nouveau.

Le Conseil œcuménique des Églises

Il est indéniable que les grandes conférences œcuméniques organisées à Stockholm (1925) ou à Oxford (1937) ont sensibilisé les Églises protestantes à des problèmes d’éthique sociale⁠[22]. Depuis lors, le Conseil œcuménique des Églises n’a cessé de prendre position sur toute une série de questions sociales. Toutefois, beaucoup de protestants critiquent les déclarations du Conseil qu’ils jugent trop engagées et souvent mal engagées car appuyées par des justifications contestables⁠[23].

La critique de la référence au droit naturel

Ayant pris ses distances par rapport aux « désengagés » et aux « littéralistes », Mehl se penche sur les encycliques de Jean XXIII⁠[24]. Il note la volonté du Saint père de rattacher la doctrine sociale au droit naturel. Il juge cette référence « inconsistante » dans une civilisation qui n’est plus chrétienne, ce qui semble rejoindre la préoccupation des Pères conciliaires. Mais il va plus loin, soulignant le « caractère relatif et sociologique » du droit naturel. Cette affirmation n’est guère convaincante dans la mesure où l’auteur simplifie quelque peu la position de l’Église. Nous verrons en effet plus loin qu’il n’est pas possible de déduire le caractère évolutif du droit naturel du fait que Jean XXIII approuverait un certain socialisme alors que l’Église auparavant se serait attachée à la diffusion de la propriété privée.

En fait, la position protestante en la matière s’explique par une louable et très sourcilleuse exaltation de la foi qui rejette un peu trop vite au second plan les forces naturelles de l’intelligence. Mehl, et beaucoup de protestants auront ce réflexe, refuse de donner la priorité au discernement naturel sur le discernement spirituel qui est, dit-il, « l’une des promesses majeures faites au croyant ». Il est bien entendu, pour le catholique, que la priorité pédagogique n’implique pas une priorité absolue, essentielle. Mais le protestant persiste en écrivant qu’il n’y a pas d’universalité de la raison qui est toujours située historiquement : l’unique « universalité concrète » est celle de « la Seigneurerie du Christ ».

Le seul fondement possible

En somme, le seul fondement possible d’une éthique sociale chrétienne est la parole de Dieu. Et R. Mehl de se réjouir, malgré certaines réserves, que le concile Vatican II, dans Gaudium et spes, rejoigne les préoccupations de l’Église réformée : « il faut souligner, écrit-il, que son mérite inaliénable est précisément de s’ouvrir par une description biblique de l’homme et de sa destinée »[25].

Le Nouveau Testament fonde une éthique sociale en offrant une double vision nouvelle : celle de l’homme devenu, en Jésus-Christ, un frère dont je suis responsable et celle de la marche de l’humanité vers un Royaume déjà inséré dans notre histoire.

L’Évangile crée ainsi un « esprit » qui nous permet de réaliser analogiquement dans la société ce que le Ressuscité réalise déjà dans l’Église qui est son corps. Analogiquement car il n’y pas d’identité entre l’Église et le monde mais il n’y a pas de coupure non plus entre les deux⁠[26]. Fruit d’un « esprit », l’action sociale se greffera sur le témoignage dont elle est indissociable plus que sur les fameux principes auxquels l’Église catholique fait constamment référence.

Les convergences et les rencontres entre catholiques et protestants

Il y a donc entre l’accentuation théologique qui marque la doctrine sociale de l’Église depuis Vatican II et les exigences protestantes une convergence intéressante et prometteuse.

Certains théologiens protestants vont plus loin que Mehl et découvrent à partir de l’Évangile des exigences plus précises. Le célèbre pasteur Dietrich Bonhoeffer (1906-1945), grand résistant au nazisme, parlera des « mandats divins » qui ne concernent pas seulement l’Église mais aussi le mariage, le travail et l’autorité. Il mettra en évidence des droits et devoirs naturels indispensables à la vie de l’Église et de la société. N. H. Soe qui ne cache pas sa sympathie pour Jacques Maritain et pour le pape Jean XXIII essaiera de repenser le droit naturel tandis que l’Allemand H. Gollwitzer (1908-1993) n’hésitera pas à proposer des « principes directeurs » qui doivent guider l’engagement chrétien en politique.

Sur le terrain, il n’est pas rare, dans des pays comme l’Allemagne, déjà avant la seconde guerre mondiale, ou la Suisse, au sein, par exemple, du Centre patronal de Lausanne, de rencontrer des groupes mixtes engagés dans la réflexion et dans l’animation de certains secteurs de la société.

En 1991, avant la publication de l’encyclique Centesimus annus, mais pour célébrer conjointement le centenaire de l’encyclique Rerum novarum et le premier congrès social-chrétien de l’Église réformée des Pays-Bas (1891), l’UNIAPAC (Union internationale chrétienne des dirigeants d’entreprise) a publié un ensemble de réflexions et de documents sur l’enteprise⁠[27]. On y affirme, à propos de l’entreprise, bien sûr, que « le discours social des Églises protestantes rejoint dans ses lignes essentielles l’enseignement de l’Église catholique ». Les auteurs notent toutefois qu’« il se caractérise par une approche plus générale, d’autre part sources sont diffuses. Aucun texte n’exprime, globalement et de façon autorisée, l’enseignement des Églises protestantes dans ce domaine »[28].

Néanmoins, on peut lire, sous la plume du Dr Adrian Kouwenhowen⁠[29] et à propos de la chute du communisme, ces considérations qui ne sont pas très éloignées, nous le verrons, des réflexions qui seront développées dans Centesimus annus. Après avoir analysé les tares de l’économie centralisée, l’auteur reconnaît la libre concurrence comme « l’expression d’un droit fondamental d’initiative personnelle reconnu à l’être humain » et qui « s’inscrit donc parfaitement dans les traditions de la pensée sociale-chrétienne. Le fait que l’aspiration à la liberté ne doive pas être illimitée s’y inscrit également. Les activités économiques et les initiatives de chaque individu doivent être mesurées à partir de normes et de valeurs fondées sur la conception de la vie et du monde, telles que la solidarité, la responsabilité au sein de la société et l’équité sociale ». Enfin, le Dr Kouwenhowen conclut : « C’est sur ce terrain commun que la doctrine sociale catholique et la pensée sociale chrétienne protestante se sont rencontrées au cours des dernières années »[30].

L’éthique sociale et l’Église orthodoxe russe

En 1998, le P. Jean-Yves Calvez⁠[31] et une personnalité russe, Anatole Krassikov⁠[32], ont publié conjointement à Moscou et à Paris, des réflexions catholiques et orthodoxes sur la question de l’éthique sociale.

  1. Krassikov⁠[33] déclare d’emblée qu’« à la différence des catholiques romains, l’Église de la majorité des croyants de Russie a pendant mille ans de son histoire été pratiquement toujours dans la dépendance du pouvoir séculier qui s’est servi d’elle comme d’un ministère de l’idéologie pour la justification de sa politique ». Et donc il ne faut pas s’étonner que « l’Église orthodoxe russe n’ait pas jusqu’à ce jour élaboré sa propre doctrine sociale, une doctrine sociale se distinguant des programmes des gouvernants de l’époque tsariste d’abord, de l’époque soviétique ensuite »[34].

La situation a changé à partir de 1988, après la célébration du millénaire du baptême de la Russie. Ainsi, en 1990, le nouveau patriarche de Moscou, Alexis II, a déclaré, le jour même de son intronisation : « Notre Église - nous le voyons clairement - se met sur le chemin d’un ample service de la société. Au temps de difficiles transformations - d’importance capitale - pour notre pays, l’Église ne reste pas simple spectatrice sans participer aux événements en cours: elle appuie tous les efforts inspirés par le bien et l’humanité qu’entreprend aujourd’hui notre société pour la résolution des problèmes de la construction d’une vie établie sur des principes de légalité et de justice »[35].

En 1994, l’assemblée des archevêques reconnaît la nécessité d’élaborer une doctrine sociale et à partir de 1997, un groupe de travail s’est mis à l’oeuvre⁠[36].

La tâche n’est pas simple. Selon Krassikov toujours, l’Église russe se trouve devant trois difficultés. Tout d’abord, elle n’a aucune expérience en la matière⁠[37]. De plus, elle manque de théologiens non seulement capables de porter un regard critique sur l’histoire de l’Église orthodoxe et de la Russie mais aussi qui soient au courant de ce qui existe ailleurs comme réflexion sociale. Enfin, l’Église russe connaît de fortes pressions nationalistes et anti-œcuméniques.

J.-Y. Calvez, sur le témoignage d’autres collaborateurs russes souligne encore deux autres difficultés. Nombre d’orthodoxes craignent d’une part que la spécificité chrétienne ne se dissolve dans la recherche de valeurs humaines communes et, d’autre part, dénient toute valeur à la morale naturelle.

Il est donc clair devant de telles réticentes qui nous rappellent celles des protestants, que le dialogue avec les orthodoxes peut être aussi facilité par l’approche théologique de la doctrine sociale, à partir des Écritures.

Malgré tous les obstacles énumérés, quelques signes encourageants de dialogue peuvent être signalés. Ainsi, durant l’automne 1999, divers colloques sur l’enseignement social chrétien, les droits de l’homme, la famille, etc., ont été l’occasion de rencontres entre la minorité catholique et les milieux orthodoxes⁠[38]. Le métropolite de Smolensk et Kalingrad, Kirill⁠[39], déclarait lors du 7e Congrès œcuménique de Bose (Italie), en 1999: « L’Église, en Russie, a le devoir de sauver le peuple russe. Elle doit insuffler une dynamique évangélique dans la vie privée de chaque citoyen aussi bien que dans la vie civile de la nation elle-même. Aujourd’hui, nous avons en Russie un grand nombre de croyants, de pratiquants scrupuleux, mais qui ne comprennent même pas quand on leur parle de la relation qu’il peut y avoir entre leur foi et leur vie quotidienne dans la cité.

Nous souhaitons un renouveau de la foi chez les Russes, car nous sommes convaincus que c’est ainsi que l’on pourra reconstruire très concrètement des relations qui permettront à la société de se forger une identité propre respectée, de se développer économiquement, et d’avoir un rôle pacificateur dans le monde ». C’est la doctrine sociale catholique qui servira, en 2000, de référence à une version orthodoxe « élaborée sur la base d’une expérience de plusieurs années (…). Nous ne voulons pas nous replier sur nous-mêmes ; nous voulons être témoins dans le monde (…) »⁠[40].

Et le 16 août 2000, l’Assemblée plénière des 144 évêques de l’Église orthodoxe russe réunie à Moscou a adopté « un document d’une centaine de pages développant les conceptions d’une véritable doctrine sociale de l’Église orthodoxe russe […]. Sont abordées les relations Église-État (stricte séparation, droit à la désobéissance civile en cas de conflit), l’engagement chrétien dans la vie politique et sociale, la justice (partage équitable du produit du travail mais reconnaissance du bien-fondé de la propriété privée), la suppression souhaitable de la peine de mort, la politique de la famille (importance du mariage, opposition à l’avortement), la morale sexuelle, la bioéthique, la protection de l’environnement et des relations entre l’Église et les médias. »[41]


1. Le mot a été créé par Destutt de Tracy en 1796 et peut se définir comme la « science qui a pour objet l’étude des idées (au sens général de faits de conscience) de leurs caractères, de leurs lois, de leur rapport avec les signes qui les représentent et surtout de leur origine » (Lalande).
2. Lalande.
3. In Ludwig Feuerbach, cité par Lalande.
4. COTTIER G., La « doctrine sociale » comme non-idéologie, in Communio, n° 2, mars-avril 1981, p. 46. Le cardinal Cottier, dominicain suisse, fut secrétaire général de la Commission théologique internationale.
5. Cf. SIMON Michel, Comprendre les idéologies, Chronique sociale, 1978, pp. 242 et svtes. Pour une étude plus fouillée : BAECHLER Jean, qu’est-ce que l’idéologie ?, Idées-Gallimard, 1976 ; DELSOL Jean-Philippe, Le péril idéologique, NEL, 1982.
6. C’est la thèse qui fut défendue un peu inconsidérément par CHENU M.-D., in La « doctrine sociale » de l’Église comme idéologie, Cerf, 1979. Pour l’auteur, le concept de doctrine sociale « unanimise des catégories socio-culturelles qui sont la réfraction d’une situation historique et géographique déterminée, et qui, par conséquent, blessent les réalités qu’elles n’ont pas intégrées. Il détemporalise des notions qui sont le produit du temps dans lequel elles furent élaborées. (…) Etaient idéalisées et universalisées des situations locales temporaires : référence à la vie paysanne, régime de civilisation pré-industrielle, coutumes pré-capitalistes, organisations professionnelles, corporatisme, syndicalisme, intervention de l’État, etc. A la limite, c’est la représentation même de Dieu qui préside à cette idéalisation : un Dieu qui éternellement a établi des lois constitutives de l’ordre du monde, qui gouverne par son imperturbable providence, vis-à-vis de laquelle la docilité plus ou moins passive des êtres humains garantit la stabilité sociale et l’autorité » (pp. 88-90). L’article de G. Cottier, déjà cité, répond parfaitement à ces reproches de même que celui de EPP René, A propos de La « doctrine sociale » de l’Église comme idéologie, de M.-D. Chenu, Revue des sciences religieuses, janvier 1980, n° 1, pp.78-88.
7. « L’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique » (GS 4, 1).
8. « Dans cette approche renouvelée des diverses idéologies, le chrétien puisera aux sources de sa foi et dans l’enseignement de l’Église les principes et les critères opportuns pour éviter de se laisser séduire, puis enfermer, dans un système dont les limites et le totalitarisme risquent de lui apparaître trop tard s’il ne les perçoit pas dans leurs racines. Dépassant tout système, sans pour autant omettre l’engagement concret au service de ses frères, il affirmera au sein même de ses options la spécificité de l’apport chrétien pour une transformation positive de la société » ( OA, n° 36).
9. C’est bien ce que dit Jean-Paul II dans CA (n° 3) : « La présente encyclique cherche à mettre en lumière la fécondité des principes exprimés par Léon XIII, principes qui appartiennent au patrimoine doctrinal de l’Église et, à ce titre, engagent l’autorité de son magistère. Mais la sollicitude pastorale m’a conduit, d’‘autre part, à proposer l’analyse de certains événements de l’histoire. Il n’est pas besoin de souligner que la considération attentive du cours des événements, en vue de discerner les exigences nouvelles de l’évangélisation, relève des devoirs qui incombent aux pasteurs. Toutefois, on n’entend pas exprimer des jugements définitifs en développant ces considérations, car, en elles-mêmes, elles n’entrent pas dans le cadre propre du magistère ». (Ndlr)
10. COTTIER G., op. cit., p. 45.
11. N° 46.
12. CA, n° 54. Dans SRS (n° 41), Jean-Paul II affirme de même que « l’enseignement et la diffusion de la doctrine sociale de l’Église font partie de la mission de l’évangélisation de l’Église ».
13. Président du Conseil pontifical Justice et Paix, in Famille chrétienne, 21-10-1999.
14. in Les droits de l’homme et l’Église, Réflexions historiques et théologiques, Conseil pontifical « Justice et Paix », Cité du Vatican, 1990, p. 66.
15. Il fut professeur d’éthique à la Faculté de théologie protestante de l’Université de Strasbourg.
16. In Pour une éthique sociale chrétienne, Delachaux et Niestlé, 1967.
17. Op. cit., p. 20.
18. On peut sans doute ranger dans cette tendance Rudolf Bultmann et Karl Barth. Au premier, A. Manaranche (in Attitudes chrétiennes en politique, Seuil, 1978, pp. 182-184) reproche un individualisme très libéral qui pousse l’illustre théologien à s’opposer à une quelconque sécurité sociale dans la mesure où l’organisation de la lutte contre la pénurie appauvrit la vie individuelle et communautaire et efface la bonté. Bultmann, toujours selon Manaranche, « voit dans une réalisation sociale chrétienne une « œuvre » s’opposant à la gratuité de la foi, ou bien une apologie de cette foi qui passerait par une démonstration (historique ou politique : c’est le même problème) ; or de telles tentatives lui semblent impies ».
   Au second qui tient à la séparation des deux « règnes », Manaranche impute un « fondamentalisme étroit. Ce n’est pas l’application de la théologie qui est regrettable, mais l’oubli permanent d’une véritable réflexion sur le politique, avec les ressources de la philosophie et des sciences humaines. Bondir prématurément sur le péché ou sur l’eschatologie, c’est se borner à la prophétie en oubliant la sagesse, qui elle aussi appartient à l’Écriture » (id., p. 179).
19. Id., p. 29.
20. Id., p. 30.
21. Op. cit., p. 31.
22. MEHL Roger, op. cit., p. 7. L’auteur se contente de constater le fait sans s’y attarder ni émettre d’avis sur l’engagement du COE.
23. On peut lire à ce propos l’analyse de MUTZENBERG Gabriel, L’éthique sociale dans l’histoire du mouvement œcuménique, Labor-Fides, 1992. L’auteur reproche, par exemple, au COE son soutien son soutien à des mouvements révolutionnaires, son indifférence à la condition de la femme dans certains pays, et des positions radicales et utopiques en matière d’écologie.
24. Op. cit., pp. 37-39.
25. Op. cit., p. 48, note 1.
26. Cf. op. cit., pp. 50-51.
27. Les Églises face à l’entreprise, Cent ans de pensée sociale, Réflexions et documents réunis pour l’UNIAPAC par Philippe Laurent s.j. et Emmanuel Jahan, Centurion, 1991.
28. Op. cit., p. 45.
29. Professeur d’éthique à la Faculté des Sciences économiques de la Vrije Universiteit d’Amsterdam.
30. Op. cit., pp. 51-52.
31. Auteur de nombreux livres sur la doctrine sociale de l’Église (cf. la bibliographie récapitulative), J.-Y. Calvez appartient au Département d’éthique publique du Centre de Sèvres (Paris) et préside le groupe d’études Religion et politique de l’Association internationale de science politique.
32. Ancien secrétaire général du Conseil présidentiel pour la coopération avec les communautés religieuses de Russie, directeur du Centre pour les problèmes de la religion et de la société à l’Institut d’Europe de l’Académie des Sciences de Russie.
33. Église et société, Un dialogue orthodoxe russe-catholique romain, Cerf, 1998, pp. 151-152
34. On peut lire, par exemple, la Lettre ouverte au Patriarche Pimène d’A. Soljénitsyne, in Catacombes, avril 1972 ou Permanences, août-septembre 1972.
35. Cité in CALVEZ-KRASSIKOV A., op. cit., p. 152.
36. Les problèmes qui seront abordés sont classiques et leur énumération évoque irrésistiblement la table des matières de n’importe quel manuel catholique : « les fondements théologiques des relations de l’Église avec l’État dans la société profane ; l’Église et la politique ; l’Église et la nation ; les domaines concrets et les limites de la coopération avec le gouvernement ; l’Église et le sécularisme ; la morale et le droit ; la moralité personnelle, familiale et sociale ; la question du travail et de la répartition de son fruit ; celle de la propriété ; les problèmes de la guerre et de la paix ; la loi et le crime ; les problèmes de la bioéthique ; les problèmes écologiques ; la science, la culture, la formation profanes ; les principes des relations avec les moyens de communication de masse ; les relations internationales » (cf. KRASSIKOV A., op. cit., p. 153).
37. De grands penseurs religieux comme Serge Boulgakov (1871-1945) ou Nicolas Berdiaev (1874-1948) n’ont touché qu’une élite intellectuelle (J.-Y. Calvez, op. cit., p. 157)
38. Cf. Catholiques et orthodoxes en Russie, Eléments pour un dialogue, in L’Homme Nouveau, 7-11-1999.
39. Ministre des Affaires étrangères du Patriarche de Moscou Alexis II, il est le n°2 dans la hiérarchie de l’Église orthodoxe russe.
40. L’Église orthodoxe à la recherche de son identité, in Dimanche, 10-10-1999.
41. Documentation catholique (DC), 1er octobre 2000.