⁢À propos de quelques expressions

N.B. Les notions évoquées ici sont liées entre elles.

Bien commun

Le bien commun est une notion complexe mais tout à fait fondamentale pour la vie en société, la vie économique et politique.[1] Nous nous intéresserons ici à l’entreprise mais bien des aspects relevés sont aussi importants ailleurs, dans la famille, dans la vie locale, nationale et même internationale.

Mais, tout d’abord, qu’est-ce que le bien ? On peut affirmer que tous les hommes cherchent le bien mais qu’ils ne s’entendent pas quant à sa définition. Pour un voleur, il est bien de dérober une somme importante sans se faire remarquer mais, en soi, est-ce bien de voler ? Il faut donc distinguer ce qui est bien ou mal pour un individu selon son intérêt particulier et passager et ce qui est bien ou mal en soi.

Un bien commun est un bien en soi pour tous et toujours. Ainsi, l’air, l’eau, la terre sont des biens communs matériels à préserver car ils sont indispensables à tout homme pour vivre et il en sera toujours ainsi. Il faut donc que ces biens soient accessibles à tous c’est pourquoi on parle du principe de la « destination universelle des biens ». D’autres biens sont aussi requis pour la croissance de l’homme : la sécurité, le logement, la santé, l’éducation, la culture, la vie spirituelle, et, par-dessus tout, la paix et tout ce qu’elle suppose : pas seulement l’absence de querelle voire de guerre mais aussi le respect de chaque personne, de sa dignité.

L’entreprise est et doit aussi être un lieu où vit et se développe le souci du bien commun de tous ceux qui y travaillent, qui font de l’entreprise un lieu de bien-être intégral pour eux-mêmes et au service d’autres personnes.

Pour que, dans l’entreprise, le bien de tous et chacun se développe, il faut veiller à ce que tous travaillent dans un environnement sain, sécurisé, paisible, que tous puissent, ne fût-ce que par un juste salaire, accéder aux soins de santé, à l’éducation des enfants, à la culture, que le travail ne soit pas une entrave à la vie familiale et même spirituelle.

L’entreprise comme lieu de développement du bien commun, doit être un lieu où sont respectées des valeurs fondamentales nécessaires aux personnes qui y travaillent : le respect des droits de l’homme qui découlent de la dignité humaine et sont la première garantie du bien de chaque personne ; le souci du développement intégral de la personne car chaque membre de l’entreprise est une personne et pas seulement une paire de bras ou un cerveau ; la justice sociale qui implique le respect de la dignité humaine dans les rapports sociaux ; la solidarité et la subsidiarité. Plus simplement encore, on pourrait dire que le bien commun est constitué par l’ensemble des conditions sociales permettant à toute personne, dans l’entreprise, de s’épanouir au mieux et plus facilement.

De plus en plus aujourd’hui, fort heureusement, on constate que, dans nombre d’entreprises, on commence à se soucier de ces principes. On veille de plus en plus à la qualité de vie au travail, à l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle.

Toutefois, vu la nature du bien commun, bien de tous, il faut se rendre compte que chaque membre de l’entreprise est responsable de ce bien commun qui n’est jamais donné au point de départ ni acquis une fois pour toutes. Il est le fruit de l’attitude de chaque membre de cette société qu’est l’entreprise et pas seulement du « patron » ou du « cadre ». Le bien commun réclame un effort collectif. Dans cet effort tous doivent respecter la liberté et la dignité de chaque personne : « Mépriser cette vérité, c’est oublier que le véritable bien commun est déterminé et reconnu, en dernière analyse, par la nature de l’homme, qui équilibre harmonieusement droits personnels et obligations sociales, et par le but de la société, déterminée aussi par cette même nature humaine. La société est […] le moyen d’amener à leur plein développement les dispositions individuelles et les avantages sociaux que chacun, donnant et recevant tour à tour, doit faire valoir pour son bien et celui des autres. » Dominique Coatanea[2] qui cite ce texte, est allée le chercher dans Mit brennender sorge (§ 37) qui est une vieille encyclique condamnant le nazisme, écrite en allemand par Pie XI, en 1937 ! Cette citation est très intéressante parce qu’elle nous montre que l’unité d’un groupe, d’une société, d’une entreprise ne s’oppose pas au respect de chaque membre. Au contraire, le respect du bien commun est la garantie ultime contre l’arbitraire et toute forme d’autoritarisme. Le bien commun fonde la légitimité du pouvoir et est la raison d’être de l’autorité.

N.B. Il ne faut pas confondre le bien commun avec l’intérêt général. Le bien commun est une notion qui est attachée à la nature de l’homme et qui présente donc des éléments immuables tandis que l’intérêt général est établi par l’autorité publique et est donc variable. Le bien commun, lui, implique, comme nous venons de le voir, bien plus que le respect de la loi. En outre, il nécessite un engagement de chacun en vue de sa réalisation. Il n’en reste pas moins souhaitable que l’autorité publique dans son action pour l’intérêt général soit la gardienne et la protectrice du bien commun, qu’elle le favorise et incite les citoyens à le chercher.[3]

Dignité

En quoi consiste la dignité de la personne humaine ?

Cette dignité est à la base des droits de l’homme reconnus dans la Déclaration universelle de 1948. Son Préambule le dit précisément mais sans définir cette dignité : « Considérant que la reconnaissance de la dignité humaine inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde… ».

À sa suite, l’article 1 de la Déclaration a connu plusieurs versions. Lors des travaux préparatoires, sa formulation fut simplement : « Tous les hommes sont libres et égaux ». Puis, en 1947, la Commission des droits de l’homme, proposa : « Tous les hommes sont frères. Ils sont doués par la nature de raison et de conscience. Ils naissent libres et égaux en dignité et en droits. » Enfin, la version définitive fut : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Il ressort clairement que cette dignité est inhérente c’est-à-dire qu’elle appartient à la nature de l’homme, être libre, raisonnable, doué de conscience et appelé, dans l’égalité, à la fraternité. C’est à cause de leur enracinement dans la nature de l’homme que les droits sont dits inaliénables c’est-à-dire imprescriptibles, inviolables, intangibles.

Le dictionnaire Robert, dans la définition de la dignité, tire une conclusion logique de ce qui vient d’être affirmé : la dignité, c’est « le principe selon lequel un être humain ne doit jamais être traité comme un moyen mais comme une fin en soi. » Il donne comme synonymes : « grandeur » et « noblesse ».

Pourquoi l’homme mérite-t-il ce traitement particulier, qu’a-t-il de grand ou de noble cet homme ? C’est le fait, rappelé dans l’article 1 de la Déclaration, qu’à la différence des animaux auxquels il peut ressembler par le corps, il est doué d’une intelligence réflexive et d’une volonté libre. C’est en fonction de ces caractéristiques majeures qu’Aristote définit l’homme comme « un animal politique » c’est-à-dire un animal social comme bien d’autres animaux mais qui est capable d’organiser d’une manière ou d’une autre la société dans laquelle il vit et notamment en vue du bien commun.

De plus, chaque homme est unique. En effet, si nous pouvons constater l’individuation psychologique de tous ceux que nous rencontrons et même entre frères et sœurs d’une même famille, la biologie le confirme. Le corps lui-même est marqué profondément par cette individuation comme le révèle la difficulté d’implanter un organe d’un homme à un autre homme.

Autre caractéristique mise en lumière par le philosophe Robert Spaemann[4] : l’homme est un animal qui promet et pardonne ce qui le différencie aussi radicalement parmi tous les êtres vivants.

Tout cela fonde, en chaque homme, sa dignité, sa grandeur, sa noblesse quelles que soient ses réussites ou ses capacités. Tous les hommes participent à la même dignité du simple fait qu’ils sont des hommes. Le « patron » n’est pas plus digne que l’apprenti, ni l’ingénieur que le manutentionnaire. C’est pourquoi, dans toute société, dans l’entreprise aussi donc, il faut porter une attention particulière aux plus faibles, à ceux qui paraissent moins bien armés pour le travail, ou qui sont attelés à des tâches réputées ingrates. L’entreprise peut être ainsi un lieu de croissance.

Pour rappel, le sociologue Léo Moulin (1906-1996), agnostique, cité plus haut, ne craint pas, lui, de faire découler cette dignité de la ressemblance de l’homme avec Dieu… C’est, pour lui, une autre manière de dire l’éminente dignité de toute personne* mais il n’empêche que, pour le croyant, cette ressemblance est le meilleur fondement de la dignité de la personne* humaine. Dignité encore renforcée, pour le chrétien, par le fait que Dieu, par amour, s’est incarné en la personne de Jésus.

Un dernier point important : la dignité de la personne* fonde la dignité du travail, de tout travail. Le travail est un bien utile par lequel la personne* peut grandir en tant que personne* à condition que celui qui l’exécute, l’exécute en sujet conscient, libre et responsable.

Justice

Dans la vie, nous constatons souvent qu’il semble plus facile de dénoncer l’injustice que de définir la justice. Cette punition est injuste ! Ma sœur a reçu un plus gros morceau de gâteau que moi, etc. Mais qu’est-ce que la justice ?

Le mot peut prendre des sens divers, tous intéressants.

Dans la tradition juive, à l’écoute de l’Ancien testament, il est question de « rendre justice » au faible, à l’orphelin, à la veuve, à l’étranger, au malheureux, au pauvre, au misérable, à l’indigent, à l’affligé, au nécessiteux. Le Talmud[5] ajoute à la liste : le sourd-muet, l’idiot le captif. Concrètement, « rendre justice » c’est offrir, à tous ces affligés, la tsedaka (tsedek : justice) c’est-à-dire « l’aide matérielle que doit accorder celui qui en a la possibilité à celui qui en a besoin. […] Il ne s’agit pas de procéder à une redistribution des richesses mais de garantir à chacun la satisfaction de ses besoins essentiels. […] Lorsque cela est nécessaire, l’autorité peut et doit imposer à chacun de donner ce qu’il convient, au besoin par la contrainte. »[6]

La tradition chrétienne, elle, va s’appuyer non seulement sur cet héritage mais aussi sur Aristote qui, dans l’Éthique à Nicomaque, écrit « La justice est un habitus[7] qui fait agir quelqu’un conformément au choix qu’il a fait de ce qui est juste »[8]. Thomas d’Aquin écrira dans la Somme théologique : « La justice est l’habitus par lequel on donne, d’une perpétuelle et constante volonté, son droit à chacun. »[9] Il ajoute en citant Cicéron : « C’est surtout à cause de la justice que les hommes sont appelés bons. »[10] On peut plus simplement traduire que, pour Thomas, la justice est une vertu qui consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. La justice est la vertu sociale par excellence, celle qui règle nos rapports avec autrui, qui nous « ajuste » à autrui, nous « égalise » car, toujours pour Thomas, l’objet de la justice, c’est « l’égalité dans les biens extérieurs »[11], égalité vers laquelle il faut toujours tendre.[12]

Mais, qu’est-ce qui est dû à l’autre ? Ce qui lui est dû prioritairement c’est sa pleine humanité. Il s’agit de le traiter « de manière à ce qu’il puisse être providence pour autrui et lui-même, c’est-à-dire responsable », et donc de mettre en place « un espace social humain » indispensable à son épanouissement.[13] Voilà une autre définition du bien commun !

On distingue habituellement, depuis Aristote, la justice commutative et la justice distributive. La justice commutative a pour objet les échanges (mutare en latin) selon la valeur des choses et indépendamment des situations personnelles. Elle s’établit de manière arithmétique selon un principe de réciprocité. C’est la justice qui préside aux rapports commerciaux par exemple. Tel objet vaut telle somme d’argent. On établit une équivalence entre l’objet et sa valeur monnayable. Dans les rapports humains, la justice commutative ignore les différences entre les individus et donne à chacun la même part. Quant à la justice distributive, elle s’établit de manière géométrique, c’est-à-dire proportionnellement au mérite de chacun : elle donne à chacun selon son mérite. Elle concerne la répartition des biens et des charges entre les membres de la société, de toute société et donc de l’entreprise.

L’expression « justice sociale » n’apparaît qu’au XIXe siècle sous la plume de Taparelli d’Azeglio[14]. Précisant et prolongeant la pensée de Thomas d’Aquin[15], il défend l’idée que « la justice sociale doit rendre tous les hommes égaux dans les droits de l’humanité ». Il appelle cette égalité dans les droits de l’humanité : « égalité spécifique », égalité qui est à la base des « inégalités individuelles ». La justice commutative établit l’« égalité spécifique » (égalité de l’espèce), liée à la nature de l’homme. La justice distributive procure ce qu’il appelle l’« égalité de proportion ».[16] La justice sociale englobe donc à la fois la justice commutative et la justice distributive et les dépasse par son souci de tous les droits humains.

En somme, la justice sociale comme le bien commun sont fondés sur la sociabilité naturelle de l’homme qui ne peut s’épanouir, en tant qu’homme, que dans et par la société. Ils se fondent aussi sur le fait que les biens de la terre sont destinés à tous et que l’égale dignité des hommes demande que la justice sociale s’applique en priorité à ceux qui sont dans le besoin, à qui manque telle ou telle possibilité de s’épanouir intégralement. Autrement dit encore, la justice sociale doit ordonner toute l’activité humaine et donc la vie économique au bien commun dans tous ses aspects, en n’oubliant pas qu’il doit être commun précisément. Il s’agit donc prioritairement de combattre toutes les formes de pauvreté et pas seulement la pauvreté matérielle. Il faut satisfaire autant que possible tous les besoins fondamentaux des personnes y compris les besoins immatériels.

Mais n’oublions pas que la justice est une vertu, « la plus parfaite des vertus » disait Aristote.[17] Les lois et les règles sont indispensables certes mais elles ne peuvent que créer un cadre qui doit être vivifié par la résolution de chacun à œuvrer dans le sens d’une vraie solidarité liée à l’indispensable subsidiarité.[18] La solidarité dynamique entre personnes (que l’on peut appeler aussi fraternité, amour, charité) donne à la justice non seulement son efficacité mais aussi son humanité. En effet, il ne suffit pas de proclamer une règle ou d’établir un règlement pour que la justice règne. Au contraire, déjà dans l’antiquité, les Romains qui furent de grands juristes, savaient que le comble de la justice est le comble de l’injustice (« summum jus, summa injuria »). Régulièrement nous sommes scandalisés parce que des « étrangers » bien intégrés dans notre société depuis parfois de nombreuses années, qui exercent un travail légal avec compétence, dont les enfants sont scolarisés, sont priés de quitter notre territoire en fonction d’une loi appliquée sans âme. Cette « justice » de la loi prise à la lettre, respecte-t-elle, comme elle le devrait, la dignité humaine? Cette justice-là n’est pas vertu.

Liberté

À l’origine, chez les Grecs, l’homme libre est celui qui n’est pas esclave. L’homme libre, en effet, peut aller et venir à sa guise, il est autonome, il obéit à sa propre loi sans contrainte extérieure. C’est, explique le philosophe Gustave Thibon[19], une liberté « physique » que l’homme a en commun avec les animaux sauvages, par exemple. Mais il est clair, que nous sommes là en présence d’une liberté minimale qui ne rend pas compte de toute la richesse humaine. La liberté chez l’homme est autre chose que celle de la fourmi, de la mésange ou du sanglier. Elle implique davantage car l’animal est tout de même tributaire de ses instincts. Chez l’homme, nous disent les biologistes, il n’y a qu’un seul instinct, celui de succion. Sinon, manger, s’accoupler, etc. sont des tendances instinctives qui toujours s’inscrivent dans une culture et auxquelles l’homme peut parfaitement résister. Qu’est-ce qui permet à l’homme de dire « non » aux injonctions de son corps sinon le fait qu’il n’est pas que « corps » mais aussi et surtout un être doué d’intelligence réflexive et de volonté libre, ce qu’on appelle esprit ou âme. La philosophe Alain, athée, disait que « l’âme c’est ce qui dit non, quand le corps dit oui ».[20] Certes l’homme est en grande partie influencé par ses gènes, l’éducation, les habitudes, la société mais il n’est pas entièrement programmé. Il peut toujours résister. Le biologiste Pierre-Paul Grassé disait : il est programmable ![21]

Influencés mais non conditionnés, nous sommes libres mais toujours relativement libres. Nous ne le sommes jamais totalement puisque nous sommes des êtres limités. Nous ne sommes pas capables de faire tout ce que nous voudrions non seulement parce que nos capacités physiques, psychologiques, intellectuelles peuvent nous en empêcher mais aussi parce que nous sommes nécessairement confrontés à des règles sociales. L’éducation en donnant plus de capacités permet justement de faire croître notre liberté au milieu des limites et des règles et de nous mettre à même de juger si les règles sociales la favorisent ou l’entravent. De plus, notre liberté est toujours ordonnée à un bien que nous recherchons.

Être libre ce n’est donc pas, comme on le croit parfois illusoirement, faire ce que l’on veut. La « loi », pour prendre un terme général, ne s’oppose pas nécessairement à la liberté. Il est des « lois » qui protègent la liberté : leur mission est de nous détourner de ce qui entraverait justement notre liberté. Autrement dit, la « loi » bien conçue nous détourne de ce qui ne peut nous rendre vraiment heureux. En effet, le vrai problème c’est de savoir à quoi sert notre liberté relative. Mais à quoi peut-elle bien servir sinon à nous permettre de chercher notre vrai bonheur ? Nous cherchons à combler nos « inclinations » fondamentales telles que Cicéron puis Thomas d’Aquin les décrivent : nous cherchons à transmettre la vie, à la conserver, nous cherchons la vérité et la compagnie des autres. C’est pour protéger ces inclinations indispensables au bonheur que, par exemple, les « dix commandements » bibliques existent. Commandements que l’on retrouve grosso modo dans la plupart des traditions à travers le monde et parfois sans qu’il y ait eu relations entre elles.[22] Ce sont des « balises » pour que nos aspirations se réalisent au mieux, c’est-à-dire pour notre bonheur. Notre liberté n’est donc pas simplement une liberté d’indifférence qui me permettrait de choisir entre des contraires, entre le bien et le mal pour faire court, une liberté qui serait nourrie de nos caprices, de nos désirs les plus immédiats.[23] Notre liberté doit être une liberté de qualité, c’est-à-dire un pouvoir de choisir le bien par la raison, choisir ce qui fait croître mon humanité, et de m’y tenir par la volonté. Elle suppose que l’on sache ce qui caractérise l’humanité pour que je puisse devenir ce que je suis. Le vieux poète Pindare dans son Exhortation à Hiéron[24], lui donne ce conseil toujours valable pour chacun de nous : « Deviens ce que tu es quand tu l’auras appris ». Il faut donc apprendre ce que nous sommes, connaître notre nature, connaître la vérité sur la personne humaine que nous sommes pour la faire grandir. Ainsi apparaît le lien entre liberté et vérité. C’est ce lien que découvre Winston Smith, le héros du roman 1984 qui, face au régime totalitaire qu’il subit, découvre que « la liberté, c’est de dire que deux et deux font quatre. »[25] La liberté donc s’acquiert au gré des vérités découvertes. C’est pourquoi le grand philosophe russe Nicolas Berdiaev[26] ne craint pas de dire que « la liberté n’est pas un droit, c’est un devoir. »[27]

L’exercice de cette liberté de qualité est néanmoins difficile. Paul lui-même l’avoue dans son épître aux Romains (7.19) : « Je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne veux pas ». Tout simplement parce que nous ne sommes pas parfaits et que notamment notre belle intelligence, comme l’a montré Pascal, est vite détournée par notre imagination, les habitudes, notre sensibilité, notre inconstance et les contrariétés, notre vanité, le divertissement, les préjugés, la concupiscence. Et même si notre pensée est droite, il n’est pas dit que notre volonté la suivra, perturbée par nos faiblesses, les tentations de plaisir et de domination, entravée par les modes, le qu’en dira-t-on, etc.

La liberté est difficile, elle demande un effort, un engagement, le dépassement de certaines inclinations paresseuses ou sensuelles. Sa croissance et son orientation engagent ma responsabilité personnelle. Et c’est pour cela que la liberté n’est pas toujours appréciée. Même si beaucoup peuvent risquer leur vie pour la liberté qui est un bien précieux, il en est d’autres qui préfèrent la servitude, le conformisme qui paraissent parfois et sont même souvent plus confortables. De nombreux auteurs l’ont remarqué. Ernest Renan écrit que « la liberté est en apparence un allègement ; en réalité, c’est un fardeau. »[28] Le grand dramaturge irlandais George Bernard Shaw met cette phrase dans la bouche de Don Juan : « La liberté n’est pas suffisamment universelle, les hommes mourront pour la perfection humaine et ils seront heureux de sacrifier leur liberté pour elle. »[29] Malheureusement, renoncer à sa liberté, c’est perdre de sa dignité !

Dernier point : si nous sommes tous égaux de nature, (l’égalité spécifique dont parle Taparelli d’Azeglio), l’égalitarisme qui nierait toute différence pratique tuerait la liberté. Comme disait Aristote : « Il n’y a pas de pire injustice que de traiter également des choses inégales. »[30]

Il n’empêche que dans l’entreprise, l’organisation et le climat social doivent favoriser, dans les limites des règles indispensables, la liberté de chacun, pour qu’il se sente comme « à son compte ». Si le travailleur n’est qu’un pion, en tout soumis à un autre, il est privé de sa pleine humanité puisqu’on l’empêche de « s’autodéterminer » et donc on l’empêche d’être « plus homme », d’être heureux.[31]

La liberté est le signe de la dignité de l’homme.[32]

Très concrètement, cette liberté qui s’ancre dans notre intériorité, intériorité c’est-à-dire dans notre conscience, s’exprime dans un certain nombre de libertés extérieures : liberté d’expression, liberté d’association, liberté de communication, liberté d’échange, liberté de création, etc., libertés consacrées par des droits. Si l’on met volontiers aujourd’hui l’accent sur les droits, les libertés, il ne faut pas oublier que ces droits sont liés à des devoirs[33] sans lesquels ils n’ont pas de sens et conduisent à l’individualisme et à l’anarchie. La liberté de conscience, par exemple, n’est pas la liberté de penser, croire, n’importe quoi mais est intimement liée au devoir de chercher la vérité et ainsi de se former. De plus, la liberté ne peut exister que si elle est protégée par le devoir des autres de la respecter et de la favoriser.

Nature humaine et loi naturelle

Le mot nature est embarrassant car il peut avoir plusieurs sens. André Lalande en relève onze ![34] Il propose d’employer des termes plus précis pour distinguer les différentes réalités qui se cachent derrière le mot « nature » mais ils peuvent aussi prêter à confusion. Dans le langage courant, « nature » désigne le monde physique : « je vais me promener dans la nature ». En parlant de l’homme, « nature » est souvent considéré comme synonyme de « tempérament » : « il est d’une nature violente ». Dans ce sens, les hommes ont des « natures » différentes.

Dans tout le texte, lorsque nous employons le mot « nature », nous pourrions le remplacer par le mot « essence » comme le texte de Pierre-Henri Simon cité plus haut le montre très bien : l’homme est essentiellement corps et esprit. Et la partie la plus importante est l’esprit qui guide la volonté et fonde la liberté. Dans ce sens, la nature humaine est commune à tous les hommes. Nous répondons tous à la même définition : Aristote, Mao Zedong, Nicole Kidman, André Petitjean, Nafissatou Thiam et le lecteur sont de même nature comme le Préambule de la Déclaration des droits de l’homme le laisse entendre. La nature humaine est ce qui nous caractérise tous en tant qu’hommes et nous distingue des animaux. On peut, si l’on veut, définir l’homme comme un animal rationnel et libre.

Quant à la loi naturelle, elle est déjà bien esquissée par Cicéron qui écrit dans La république : « Il existe certes une vraie loi, c’est la droite raison ; elle est conforme à la nature, répandue chez tous les hommes ; elle est immuable et éternelle ; ses ordres appellent au devoir ; ses interdictions détournent de la faute.(…) C’est un sacrilège de la remplacer par une loi contraire ; il est interdit de n’en pas appliquer une seule disposition ; quant à l’abroger entièrement, personne n’en a la possibilité. »[35] Le Catéchisme de l’Église catholique qui cite ce texte[36] précise que « le Décalogue contient une expression privilégiée de la « loi naturelle » »[37], une loi inscrite, comme le suggère Cicéron, « dans le cœur de l’homme ». Le Décalogue ne sert qu’à la lui rappeler. Accessible à la raison, comme Cicéron l’écrit, elle « exprime la dignité de la personne »[38], enseigne « la vraie humanité de l’homme » et met « en lumière les devoirs essentiels et donc, indirectement, les droits fondamentaux, inhérents à la nature de la personne humaine. »[39]

La philosophe Renée Toussaint nous explique que « l’homme n’est certes pas raison pure ou liberté pure, puisqu’il est aussi un corps. En tant que corps, il est par une « loi biologique » inscrite dans son corps (naître, se nourrir, se reproduire, etc.), et en tant qu’homme, il est régi par une loi spécifiquement humaine inscrite dans sa raison, pour s’adresser à sa liberté.

Et on constate en effet, et ce depuis l’aube de l’humanité, que les hommes entendent effectivement, à l’intérieur d’eux-mêmes, comme une voix, qu’ils appellent « voix de la conscience » qui, s’adressant simultanément à leur raison et à leur liberté, les invite à « faire le bien et éviter le mal ». Grande « règle » est si bien présente à l’intérieur de tous les hommes, qu’elle sera énoncée par toutes sous forme de « Règle d’or » ».[40] La philosophe montre alors, étrange concordance, que cette « règle » qui, en substance, consiste à ne pas faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’il nous fasse, se retrouve, sous des expressions diverses, dans le confucianisme, le taoïsme, l’hindouisme, le bouddhisme, le mazdéisme, le judaïsme, le christianisme, l’islamisme et se retrouve encore, d’une autre manière, chez un philosophe comme Kant quand il écrit : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature. »[41] Règle qui s’adresse à notre liberté, qui nous invite sans nous obliger mais qui nous permet de nous réaliser si nous la suivons.

Finalement, on peut dire que la loi naturelle chez l’homme inclut, bien sûr, puisque nous sommes aussi essentiellement corps, les lois biologiques qui sont contraignantes et les invitations non contraignantes de notre conscience. Comme nous sommes aussi, ne l’oublions pas, des animaux sociaux vivant dans diverses structures, nous sommes aussi soumis à des lois « politiques » au sens large du terme, des lois, des règles qui obligent parce qu’elles nous permettent de vivre, travailler ensemble.

Personne humaine

La personne est corps et esprit. Si l’esprit est ce qu’il y a de plus fondamental dans l’homme, il ne s’agit pas pour autant de dédaigner sa vie corporelle (« Qui veut faire l’ange fait la bête »). Sa liberté est le signe le plus manifeste de sa dignité. Par ailleurs, la personne est essentiellement sociale, relationnelle.[42] Elle naît, vit dans une famille particulière, dans un pays déterminé et exerce une profession donnée. C’est au sein de toutes ces sociétés petites et grandes que l’homme doit se développer, sa liberté de conscience étant toujours sauve. Sa dignité ne peut se réaliser et être protégée qu’au sein d’une communauté d’échanges et de fraternité mais cette dignité « doit être le principe, le sujet et la fin de toutes les institutions », le principe, le sujet et la fin donc de toute entreprise.[43] Cette centralité de la personne « est la source des principes de solidarité et de subsidiarité ». [44]

Encore faut-il veiller au développement intégral de la personne et pas seulement à sa croissance professionnelle ou économique : toutes ses potentialités doivent pouvoir s’épanouir. De plus, quand nous parlons de la personne, en général, il s’agit de toute personne sans exclusive.

Solidarité

« En vertu de la solidarité, écrit Alain Thomasset, la personne doit contribuer avec ses semblables au bien commun de la société. »[45] Dans l’entreprise, comme ailleurs, le bien commun est sous la responsabilité de chacun.

Mais en quoi consiste la solidarité ?

« La solidarité n’est pas un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun, c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun, parce que, tous, nous sommes vraiment responsables de tous. »[46] La pape Jean-Paul II, auteur de ces lignes, ne craint pas de dire que c’est une « vertu ».

Une vertu sociale qui nous amène à lutter contre certaines de nos tendances corporelles comme la soif de pouvoir et le désir de profit qui pourrissent les relations sociales dans l’entreprise car elles font fi du bien d’autrui. Cette vertu de solidarité nous « aide à voir l’autre […] non comme un instrument dont on exploite les capacités mais comme notre semblable « [47]

Elle est une « détermination ferme et persévérante ». En effet, la proximité, le compagnonnage et la communauté de destin ne créent pas automatiquement une solidarité dynamique. Encore faut-il que l’on reconnaisse la dignité de l’autre, quel qu’il soit, et que la volonté de veiller à son bien soit mobilisée. D’une manière ou d’une autre, nous sommes toujours responsables du bien des autres. La solidarité passe par la justice sociale et aussi par une véritable organisation des échanges dans l’entreprise. [48]

Il est inutile de préciser que la solidarité ne peut être sélective. Il ne s’agit pas de préconiser une solidarité de quelques-uns contre quelques autres, une solidarité de classe qui se dresserait contre une autre classe. Dans l’entreprise, tout le monde doit être solidaire : il en va de la vie harmonieuse de l’ensemble.

La solidarité est inséparable de la subsidiarité car sans la subsidiarité, la solidarité étouffe les personnalités, les soumet au groupe en leur enlevant toute initiative.

Subsidiarité

Ce principe est l’expression de la liberté de chaque personne et manifeste le respect dû à la dignité de chacun des membres d’une société, d’une entreprise. En vertu de la subsidiarité, aucune autorité ne peut se substituer à l’initiative et à la responsabilité des personnes et des petites équipes au niveau où elles peuvent agir.[49]

L’organisation de la vie sociale, du travail, « doit pouvoir être prise en charge au plus bas niveau possible, c’est-à-dire au plus près des individus. Grâce à ce principe, l’autorité exercée est transmise aux corps intermédiaires, et donc tempérée. Le site RH info définit par exemple ainsi l’application du principe de subsidiarité en entreprise : « toute responsabilité doit être assumée par le niveau directement confronté à la problématique à résoudre, les échelons supérieurs n’intervenant que si la réponse à donner excède les capacités du niveau évoqué. » En d’autres termes, les salariés doivent pouvoir être pleinement responsables en ayant la liberté d’agir sur les sujets qui dépendent de leur rôle dans l’entreprise. »[50]

Selon le principe de subsidiarité, chaque personne et chaque communauté doit pouvoir agir en faveur du bien commun. Comme l’affirme Jean-Dominique Senard, : « Pour les concepteurs du principe de subsidiarité, il s’agissait de répondre à deux besoins essentiels : d’une part respecter la dignité humaine en donnant à chacun la possibilité d’exprimer la plénitude de ses talents ; d’autre part assurer la capacité de la cité à se gouverner efficacement en évitant de disperser l’esprit et la volonté des organes dirigeants dans des affaires qui n’étaient pas de leur niveau, au risque d’amoindrir leur capacité à prendre la hauteur nécessaire à un bon gouvernement. » Il ajoute : « Il suffit que chacun, bien intégré au sein d’équipes à la fois protectrices et stimulantes, reçoive les compétences et les autorisations grâce auxquelles il pourra s’acquitter des affaires de son niveau. »[51]

Par une organisation subsidiaire, chacun peut agir en faveur du bien commun et l’on évite à la fois le centralisme étouffant et l’individualisme qui, méprisant la solidarité, conduit à la jungle.

Une entreprise qui veille à la solidarité et à la subsidiarité et est soucieuse de son utilité sociale adopte un mode de gestion démocratique et participatif et encadre, au profit de tous, l’utilisation des bénéfices qu’elle réalise. Dans une économie sociale et solidaire, par exemple, les bénéfices peuvent être, pour une part, réinvestis dans l’entreprise pour son perfectionnement ou la création de postes de travail pour les exclus du système économique. Pour une autre part ils peuvent être injectés dans d’autres projets sociaux et solidaires ou encore pour intervenir dans des situations d’urgence.

Vérité

« Qu’est-ce que le vérité ? » s’écrie le sceptique en haussant les épaules. En fait, il pense : « Il n’y a pas de vérité », mais intelligemment, il ne le dit pas car s’il le disait il proférerait… une vérité ! Et donc il devrait reconnaître que la vérité est possible !

Aristote a fourni une définition simple du faux et du vrai, une définition finalement de bon sens : dire « que ce qui est n’est pas ou que ce qui n’est pas est, c’est faux, tandis que dire que ce qui est et que ce qui n’est pas n’est pas, c’est vrai. »[52]

Thomas d’Aquin, va très longuement développer la pensée de son illustre prédécesseur en y ajoutant les définitions données par divers auteurs chrétiens ou non[53]. En définitive, la formule la plus simple proposée pour définir la vérité est « adaequatio rei et intellectus », l’adéquation de la chose et de l’intelligence. Dire que l’homme est un être social doué d’intelligence réflexive et de volonté libre, etc., est une vérité car cela correspond à la réalité.

Vertu

La vertu, quelle que soit sa spécificité, est définie par le dictionnaire Robert comme une « disposition constante à accomplir une sorte d’actes moraux par un effort de la volonté ». Une disposition constante et non simplement accidentelle, en vue du bien, une disposition donc qui s’acquiert à condition de connaître ce qui est bien, de le vouloir et de le faire.

Lalande[54] énumère comme vertus et selon divers auteurs : la prudence, le courage, la tempérance, la justice, le fait de chercher prioritairement le bien de l’autre plutôt que le sien, la fidélité, le patriotisme.[55] André Comte-Sponville ajoute : la politesse, la générosité, la compassion, la miséricorde, la gratitude, l’humilité, la simplicité, la tolérance, la pureté, la douceur, la bonne foi, l’amour, et même l’humour.[56] Et, pour définir la vertu, il cite[57] Spinoza[58] : « Par vertu et puissance, j’entends la même chose ; c’est-à-dire que la vertu, en tant qu’elle se rapporte à l’homme, est l’essence même ou la nature de l’homme en tant qu’il a le pouvoir de faire certaines choses se pouvant connaître par les seules lois de sa nature. »

Le « Robert » précise encore que la vertu n’est pas la même chose qu’une qualité qui, elle, est considérée comme « naturelle » alors que la vertu s’acquiert. Mais, il faut reconnaître que l’on confond souvent les deux.


1. Plusieurs auteurs contemporains et non des moindres s’intéressent à cette notion ou s’en approchent dans leurs recherches. On peut citer notamment : Amartya Sen (prix Nobel d’économie en 1998), Robert Putman (professeur dans plusieurs universités américaines) ou encore Elinor Ostrom (économiste américaine détentrice de plusieurs prix prestigieux). (Cf. LASIDA Elena, Des biens communs au bien commun, Transversalités, octobre-décembre 2014, n° 131, pp. 72-75.
2. COATANEA Dominique (1963-), Bien commun, Ceras, 2 avril 2019. Cette enseignante est membre du département Éthique philosophique et théologie morale du Centre Sèvres à Paris.
3. Pour ceux qui veulent approfondir cette question : PONTIER Jean-Marie (1946-), Bien commun et intérêt général, in Les Cahiers Portalis, 2017/1, n°4, pp. 33-52. Jean-Marie Pontier a été professeur de droit à la Sorbonne et à l’université d’Aix-Marseille.
4. 1927-2018.
5. Un des textes fondamentaux du judaïsme. Il s’agit de la mise par écrit d’une tradition orale inspirée par la Bible.
6. HANSEL Georges (1936-), Travail et justice sociale, Conférence à Gesher, 22 février 1997, disponible sur http://ghansel.fr/justice.
7. On définit l’habitus comme une disposition permanente de la volonté. Pour Thomas, un bon habitus est une vertu.
8. V, 5.
9. II-IIae, qu. 58, a.1.
10. IIa IIae, qu. 58, a 3.
11. IIa IIae, qu. 59, a2.
12. Thomas ne fait que reprendre un souhait exprimé avec force dès l’origine par les Pères de l’Église. Saint Basile (330-379) écrit : « … si chacun se contentait du nécessaire et laissait aux indigents son superflu, il n’y aurait ni riches ni pauvres ! » (Cité in HAMMAN A.-G., Riches et pauvres dans l’Église ancienne, Desclée de Brouwer, 1982, p. 76). Grégoire le Grand (540-604) explique : « quand nous donnons aux miséreux les choses indispensables, nous ne leur faisons point une générosité personnelle, nous leur rendons ce qui est à eux. Nous remplissons bien plus un devoir de justice que nous n’accomplissons un acte de charité… Il est juste en effet que ceux qui ont reçu quelque chose de Dieu, le commun maître, s’en servent pour le bien de tous » (Pastoral, 3e partie). On tend à cet idéal par conviction. Il ne s’agit pas de l’imposer par force.
13. HERR Edouard (1943-2017), Justice et vie en société, in La justice sociale en question ?, Facultés universitaires Saint-Louis, 1985, pp. 296-297.
14. 1793-1862.
15. Thomas d’Aquin parlait, dans un sens un peu différent, de « justice légale » ou de « justice générale » pour désigner les décisions du pouvoir politique.
16. TAPARELLI d’AZEGLIO, Luigi, Essai théorique de droit naturel, Casterman, Deuxième édition, , 1875, n° 353-358, pp. 145-146.
17. Éthique à Nicomaque, V, 3.
18. Cf. GREINER Dominique, Justice sociale, Ceras 22 novembre 2012.
19. THIBON Gustave (1903-2001), L’avenir de nos libertés, L’actualité rurale, 1977.
20. Cité in THIBON Gustave, op. cit..
21. GRASSE Pierre-Paul (1895-1985) L’homme en accusation : de la biologie à la politique, Albin-Michel, 1980.
22. Cf. Commission théologique internationale, A la recherche d’une éthique universelle, Nouveau regard sur la loi naturelle, Cerf, 2009.
23. Le philosophe éclectique Victor Cousin (1792-1867) écrit : « Une fois que le désir est pris comme le type de l’activité humaine, c’en est fait de la liberté et de la personnalité. » (Du vrai, du beau et du bien, Adolphe Garnier, 1836, IIIe partie, XIIe leçon ; cité in VAUTE Paul, Plaidoyer pour le vrai, Un retour aux sources, L’Harmattan, 2018, pp.283-284).
24. PINDARE (518-438 av. J.-C.), in Pythiques, II, 72 : Γένοι’ οἷος ἐσσὶ μαθών.
25. ORWELL George (1903-1950), 1984, Folio, 2020. Le livre écrit en 1949 se présente comme un roman d’anticipation mais basé sur l’expérience des pouvoirs totalitaires de l’époque.
26. 1874-1948.
27. Article inédit publié en 1936 dans la revue russe Put. Cf. BERDIAEV Nicolas, Royaume de l’Esprit et royaume de César, Les classiques des sciences sociales, 1951. Disponible sur http://bibliotheque.uqac.ca/
28. RENAN Ernest (1823-1892), Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand, 7 août 1883.
29. SHAW G.B. (1856-1950), L’homme et le surhomme.
30. ARISTOTE, Éthique à Nicomaque, Chapitre III, § 5.
31. Ces expressions se trouvent in JEAN-PAUL II, Le travail humain, 1981.
32. Cf. VAUTE Paul (1955-), op. cit., p. 283 : « A la différence de l’animal, l’homme peut envisager son rapport au monde de manières différentes, selon qu’il poursuit uniquement son adaptation à son environnement, au prix de concessions à celui-ci, modifiant au besoin ses caractéristiques propres, ou qu’au contraire il entend maintenir ou développer l’essentiel de son être, obtenant du monde les moyens nécessaires à cette fin. Celui qui n’obéit qu’à ses instincts peut difficilement appartenir à la catégorie des proactifs. Il est « libre », si tant est qu’on puisse l’être sous la loi de la jungle. » (C’est moi qui souligne).
33. Cf. l’article 29 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 27 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Bien des constitutions établissent les droits et les devoirs de la personne humaine. C’est le cas de la Constitution espagnole de 1978. De plus en plus, partout on parle, de « Droits et devoirs environnementaux ». Le cardinal Cardijn (1882-1967), fondateur de la Jeunesse ouvrière catholique écrivait même qu’« une personne a essentiellement des devoirs. Elle doit se réaliser, devenir de plus en plus personne. La personne n’est pas comme le petit animal qui devient nécessairement ce qu’il doit devenir. Une personne progresse et doit devenir toujours plus une personne. » (Va libérer mon peuple, Éditions ouvrières, 1982, p. 35).
34. LALANDE André (1867-1963), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, PUF, 1983.
35. CICERON (106-43 av. J;-C.), La république, 3, 22, 33.
36. Catéchisme de l’Église catholique, Mame/Plon, 1992, n° 1956.
37. Id., n° 2070.
38. Id., n° 1956.
39. Id., n° 2070.
40. TOUSSAINT Renée, Droit naturel et philosophie politique, Studium Notre-Dame, 2010-2011, p. 11. Pour aller plus loin, on peut lire : DU ROY Olivier, La Règle d’or, Le retour d’une maxime oubliée, Cerf, 2009.
41. KANT Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs.
42. Dominique Coatanea souligne, avec raison, le fait que nous ne sommes pas seulement des êtres en relation avec les autres mais aussi des êtres en relation avec le monde naturel qui nous entoure. C’est pourquoi elle relie la notion de bien commun à celle d’écologie intégrale, chère au pape François et développée dans l’encyclique Laudato si’ (LS) (2015). Ce concept d’écologie intégrale, écrit-elle, « rend compte de ces interdépendances mutuelles » et souligne qu’« aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres ». (LS 49). Sur une terre surexploitée et dévastée, la quête d’un ordre de droit plus juste que l’ancien suppose d’écouter avec une attention renouvelée tant la clameur de la terre que celle des pauvres qui peinent à y survivre. Dans ces tensions et inégalités sociales « le principe du bien commun devient immédiatement comme conséquence logique et inéluctable, un appel à la solidarité et à une option préférentielle pour les plus pauvres […​] Il suffit de regarder la réalité pour comprendre que cette option est aujourd’hui une exigence éthique fondamentale pour la réalisation effective du bien commun. » (LS 158). Ce bien commun à faire advenir comme un nouvel imaginaire social est une option pour un « style de vie » sobre et responsable où « moins c’est plus » (LS 222), vision hospitalière du monde pour apprendre à jouir des choses les plus simples avec humilité. Les générations futures entrent pleinement dans cette attention, suscitant une responsabilité accrue pour transmettre un monde habitable pour tous. Ce renouveau de la visée d’un bien commun intergénérationnel relève d’une question fondamentale de justice, où le point de vue des plus fragiles est premier. Cette nouvelle dynamique passe par un consentement à la régulation de nos modes de vie insoutenables et suppose une véritable conversion des mentalités (individualisme et égoïsme) et des paradigmes technoscientifiques qui colonisent nos imaginaires (toute-puissance et utilitarisme). La visée d’un bien commun « intégral » articulant nature et culture pourrait être cette « traduction salvatrice » que les traditions religieuses et notamment chrétienne, pourraient apporter à la discussion commune afin de faire advenir un nouvel imaginaire social, politique et économique soucieux de la « clameur de la terre et des pauvres » dans le respect de la pluralité des approches culturelles. » (COATANEA Dominique , Bien commun, Ceras, 2 avril 2019).
43. Concile Vatican II, Constitution pastorale Gaudium et spes, 1965, §25.
44. THOMASSET Alain, Dignité de la personne humaine, Ceras, 3 décembre 2012.
45. Id..
46. JEAN-PAUL II, Encyclique Sollicitudo rei socialis (SRS), 1987, § 36-38.
47. Id., § 39.
48. CASSAIGNE Bertrand, Solidarité, Ceras, 3 décembre 2012.
49. Dans la société civile qui règle les rapports entre les individus et entre les sociétés (ou corps) intermédiaires, « il est impossible de promouvoir la dignité de la personne si ce n’est en prenant soin de la famille, des groupes, des associations, des réalités territoriales locales, bref de toutes les expressions associatives de type économique, social, culturel, sportif, récréatif, professionnel, politique, auxquelles les personnes donnent spontanément vie et qui rendent possible leur croissance effective ». On ne peut enlever aux individus pour les transférer à une communauté les tâches qu’ils sont capables d’assumer. De même, les fonctions qu’une association « inférieure » peut remplir ne peuvent lui être enlevées pour être transférées à un corps de rang supérieur. Ce que la famille peut assumer ne doit pas être attribué, par exemple, à l’État. Ce qu’un État peut assumer ne doit pas devenir l’apanage de l’Europe. Au contraire, L’Europe, l’État, la commune et toutes les sociétés intermédiaires n’assument que les fonctions qu’ils sont seuls à pouvoir assumer et n’interviennent « plus bas » que dans le but d’aider. En effet, dans un sens positif, la subsidiarité est « une aide [subsidium en latin] économique, institutionnelle, législative offerte aux entités sociales plus petites ». Dans un sens négatif, l’État doit « s’abstenir de tout ce qui restreindrait, de fait, l’espace vital des cellules mineures et essentielles de la société. Leur initiative, leur liberté et leur responsabilité ne doivent pas être supplantées. » (Cf. Compendium de la doctrine sociale de l’Église, Cerf, 2005, n° 185 et 186).
50. Alain Giffard, sur le site : https://www.lebiencommun.info/definition-bien-commun#agir. Alain Giffard est, en France, secrétaire national à l’économie et à l’industrie de la CFE-CGC (Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres).
51. Jean-Dominique Senard a été président du groupe Michelin avant de devenir en 2019 PDG de Renault. (Cf. https://www.lebiencommun.info/definition-bien-commun#agir)
52. Métaphysique, livre Γ, 7, 101 1b. Cf. VAUTE Paul, op. cit., pp. 34-36.
53. Il cite aussi bien saint Augustin (354-430) que le philosophe et médecin musulman Avicenne (980-1037) ou le philosophe et médecin juif Isaac Israeli (IXe-Xe siècles), et d’autres. Cf. Les 29 questions disputées sur la vérité, article 1. Texte disponible sur: http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/questionsdisputees/questionsdisputeessurlaverite.htm#_Toc333932555. Cf. VAUTE Paul, op. cit., pp. 46-50.
54. Op. cit.
55. Pour les Grecs, depuis Platon, il y a quatre vertus « cardinales », fondamentales, primordiales, d’où découlent toutes les autres vertus et qui orientent vers le bonheur : prudence, tempérance, force d’âme et justice. Elles sont indissociables. Cardinalis en latin est dérivé du substantif cardo : le pivot, le gond, « autour duquel tout tourne ».
56. COMTE-SPONVILLE André, Petit traité des grandes vertus, PUF/Perspectives critiques, 1995. Jean-Paul II parle aussi de la vertu de solidarité.
57. Id., p. 9.
58. SPINOZA Baruch, (1632-1677), Éthique, IV, déf. 8, Garnier-Flammarion, 1965.
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